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Le Maroc participe à l'étouffement du terrorisme
Publié dans La Gazette du Maroc le 16 - 06 - 2003

-En matière de lutte contre le terrorisme, le paysage juridique a considérablement changé au cours des mois écoulés. Le procureur peut demander une levée du secret bancaire.
-On n'en est pas encore à la création "d'une cellule de répression des transactions financières" d'origine ou à but criminel, comme c'est le cas chez les voisins algériens depuis 1993, mais des progrès sont réalisés avec la nouvelle loi.
-Les professionnels du secteur préfèrent se montrer sereins et affirment que ces dispositions légales ne sont pas de nature à limiter le développement de leur activité. Mais ils ne parlent que "off-the-record", c'est-à-dire hors micro. Une prudence induite surtout par la délicatesse du sujet.
D'une part, il y a lieu de signaler la ratification de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, adoptée en janvier 2000 par les Nations Unies. Le décret royal consacrant cette ratification a été publié le 12 décembre 2002 au bulletin officiel. D'autre part, en réaction, somme toute légitime, contre les odieux attentats du 16 mai dernier, la loi antiterroriste a été adoptée par les deux chambres de manière presque unanime.
Ces deux textes ont une conséquence immédiate sur les banques marocaines qui sont appelées à ne plus faire prévaloir le secret bancaire dans le cadre des enquêtes antiterroristes. Dans tous les pays où cette convention a été adoptée, le débat sur la fin du secret bancaire s'est posé. C'est donc de manière logique que certaines voix se lèvent, après l'exaspération du 16 mai, en se demandant si ces dispositions marquent la fin de l'ère du secret bancaire si cher aux juristes, notamment aux avocats.
Secret professionnel, une protection pénale
Les clients des banques marocaines ont été jusqu'ici à l'abri des regards inquisiteurs sur leurs comptes bancaires. Il convient de rappeler que le secret bancaire est protégé par le fameux article 446 du code pénal, traitant en général du secret professionnel. Cependant, ce code prévoit de le lever dans trois cas possibles : une disposition légale, une décision de justice et un accord entre les parties. Jusqu'ici, s'il y eut de par le passé des décisions de justice allant dans ce sens, la loi s'est bien gardée de prévoir des procédures de levée de ce secret professionnel.
Cette ère est-elle désormais terminée avec la nouvelle loi contre le terrorisme ? En effet, cette dernière donne aujourd'hui le pouvoir au procureur du Roi de s'intéresser aux comptes bancaires suspectés de liens avec le terrorisme.
C'est ainsi que l'article 595-2 de cette nouvelle loi dispose que «le procureur du Roi peut, lorsde l'enquête judiciaire, demander des informations concernant des mouvements ou opérations financières suspectées de financer le terrorisme, de la part des banques, y compris les banques offshore». Au juge d'instruction également, sont données les mêmes prérogatives qu'au procureur du Roi dans le cadre de la procédure. Dans ce même contexte, il sera désormais possible d'ordonner le gel ou la saisie de fonds suspects.
Si besoin est, le soutien de Bank Al Maghrib, qui est également une autorité du secteur, peut être demandé. Et d'après la loi, les banquiers sont obligés de s'exécuter dans les trente jours suite à cette requête du procureur ou du juge d'instruction.
Les banquiers sereins
Pourtant, chez les banquiers, la mesure ne semble pas inquiétante pour autant. Bien que l'on sente une certaine réticence à évoquer le sujet. Une grande banque de la place contactée pour un avis sur ce sujet a préféré ne pas émettre de commentaire. D'après un responsable du secteur qui préfère parler sous couvert de l'anonymat, il estime qu'il n'y a aucune difficulté majeure à ce niveau. Ce mutisme ou plutôt cette prudence provient sans doute du choc provoqué par les attentats du 16 mai. L'autre raison, c'est que le Maroc ne peut en aucun cas être considéré comme une plaque tournante des fonds servant à financer le terrorisme. Ces transactions suspectes préféreront au Royaume des paradis fiscaux où le secret bancaire est fréquemment évoqué.
Par ailleurs, on préfère relativiser en expliquant que si au Maroc, il faut attendre d'être sollicité par les autorités judiciaires avant de s'exécuter, dans d'autres pays, les banquiers sont tenus de fournir de manière spontanée les informations sur tout compte réalisant des opérations suspectes. De plus, par opérations suspectes, on n'entend pas seulement le financement du terrorisme, mais aussi et surtout le blanchiment de l'argent de la drogue et des crimes en tout genre. C'est donc avec raison que les banquiers marocains peuvent s'estimer heureux de n'avoir pas à jouer le rôle d'une police financière. De plus, le texte ne prévoit, fort heureusement, aucune sanction majeure à l'encontre des banquiers. Dans certains pays, ils peuvent être l'objet d'examen et encourent jusqu'à des peines de prison s'ils sont convaincus d'avoir délibérément caché la nature suspecte des fonds aux autorités compétentes.
Risques pénaux en Europe
L'histoire récente a d'ailleurs montré que les directeurs de banques des plus prestigieuses en France ont pu faire l'objet d'un examen ou même d'une garde-à-vue pour cause de blanchiment d'argent. Même la Suisse, qui passe pour être le royaume du secret bancaire, va dans le sens de la détente en matière de secret bancaire. En effet, il y a tout juste une dizaine de jours, UBS qui est la plus grande banque de la place financière suisse vient d'établir une liste de 400.000 noms
de "personnes politiquement exposées", donc susceptibles de se livrer au blanchiment. Pour ces dernières, la banque suisse promet de mener des enquêtes plus sévères au moment de l'ouverture de comptes par ces personnes. Chez les voisins algériens, la loi de finances de 2003 a introduit la mise en place d'une brigade financière chargée de veiller tant au financement du terrorisme qu'au blanchiment de l'argent sale. Cette dernière est habilitée à demander aux banques tout renseignement jugé utile dans ce sens.
Le Maroc ne fait donc pas exception et le 16 mai a appris à l'ensemble des observateurs qu'il faut savoir être prévenant en matière de lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, les études menées un peu partout ont permis de mettre en exergue le rôle joué par le financement dans la perpétration des actes terroristes. Rien n'est jamais trop bon pour que ce qui s'est passé n'arrive plus jamais.
L'argent du terrorisme n'a droit de cité nulle part
Après les attentats du 11 septembre, les Nations Unies ont adopté une convention pour renforcer la coopération internationale afin d'élaborer et d'adopter des mesures efficaces destinées à réprimer le terrorisme. Cette convention dont le Maroc fait partie des pays à l'avoir ratifiée, prévoit justement un échange entre pays signataires. Aujourd'hui, dans le cadre des enquêtes menées dans d'autres pays, un gouvernement étranger pourrait éventuellement s'adresser aux autorités marocaines afin de disposer d'informations sur un compte bancaire donné. Cette demande est toujours formulée dans des règles précisées par la Convention internationale. Il n'en demeure pas moins que ceux qui pourraient être convaincus de financer des actes terroristes ailleurs qu'au Maroc ne pourront prétendre à aucune protection au niveau du Royaume. Leur fonds pourraient être saisis ou gelés comme si les actes en question avaient été commis au niveau du Maroc.
Crédit du Maroc et Money Gram
"Nous veillons à éviter les transferts suspects"
Lors de la rencontre avec la presse du 12 juin dernier, Jamal Lemridi, membre du directoireet directeur central des particuliers et professionnels du Crédit du Maroc a expliqué à la Gazette du Maroc que sa banque fonctionne suivant les règles du groupe dont il est la filiale, à savoir le Crédit Lyonnais. Il affirme que l'institution ne saurait s'associer dans aucune transaction suspectée d'avoir des liens avec le terrorisme sans prendre les dispositions qui s'imposent. Son partenaire en matière de transferts internationaux de fonds, Money Gram, a également eu l'opportunité de s'exprimer sur le sujet. Alex Garay, directeur général de l'Europe du Sud et du Maghreb de Money Gram est allé dans le sens de son partenaire en expliquant que les normes du groupe sont des plus sévères à travers le monde.
C'est dire qu'au-delà des dispositions législatives d'ordre général, les banques travaillent de plus en plus dans cet esprit de lutte contre le financement du terrorisme.
Financement du terrorisme
Dispositions particulières de la loi
595-1 Le procureur général du Roi peut, dans le cadre de l'enquête judiciaire, demander des informations concernant des mouvements ou opérations financières suspectées de financer le terrorisme, de la part des banques soumises au dahir 1.93.147 en date du 15 moharrem 1414 (6 juin 1993) relatif aux sociétés de garanties et leur contrôle de la part des banques off shore régies par la loi 58.90 sur les places financières off shore selon le dahir 1.93.131 en date du 23 chaâbane 1412
(26 février 1992).
Le juge d'instruction peut dans le cadre de la procédure demander plus d'informations, tel que stipulé par le premier paragraphe.
595-2 Les autorités judiciaires peuvent ordonner le gel ou la saisie de fonds suspects….
Les autorités judiciaires peuvent demander le soutien de Bank Al Maghrib pour l'exécution de ces décisions.
595-3 Le gel signifie la suspension provisoire des opérations de mouvement des capitaux ou de change ainsi que son contrôle.
595-4 Les institutions bancaires doivent fournir toutes les informations demandées dans un délai ne dépassant pas 30 jours.
Les banques ne doivent pas opposer à la requête judiciaire le principe du secret professionnel.
La banque du Maroc et toutes les banques, leurs dirigeants et personnels ne peuvent être poursuivis selon les termes de l'article 446 du code pénal et ne peuvent être poursuivis pour responsabilité civile dans le cadre de l'exécution de ces dispositions.
595-6 Le gouvernement peut, dans le cadre de l'application des conventions et accords internationaux relatifs à la lutte contre le terrorisme, soumettre à la demande d'un gouvernement étranger une requête au Procureur général du Royaume pour:
‡ enquêter sur les fonds ayant servi à financer l'acte terroriste.
‡ geler ces fonds et biens.
‡ ordonner la saisie conservatoire.
Le procureur peut refuser cette requête si son application peut porter atteinte à la souveraineté de l'Etat ou à l'ordre public et si les actes ayant fait l'objet de la requête ont été sanctionnés de manière définitive sur le territoire national.
Si l'application d'une décision judiciaire étrangère n'a pas fourni suffisamment de garanties pour la défense et si les actes n'ont aucun lien avec le financement du terrorisme.
595-7 Toute décision de gel ou de saisie conservatoire sur le territoire national émanant d'une juridiction étrangère est conditionnée par une autorisation du procureur général. L'application d'une décision judiciaire étrangère doit remplir deux conditions:
‡ La décision judiciaire doit être définitive et conforme à la loi du pays demandeur.
‡ La saisie des biens ou fonds doit se faire selon les termes de la législation marocaine.
595-8 L'autorisation du Procureur général de geler les fonds induits, tout en respectant les droits des tiers, son transfert de propriété au profit de l'Etat marocain et un traitement de réciprocité dans le cadre d'une convention internationale. Il est interdit de se servir de ces fonds tout au long du délai prescrit.
595-9 Toutes les personnes participant aux opérations de dépouillement des informations concernant les opérations financières doivent garder le secret professionnel sous peine de sanctions prévues par l'article 446 du code pénal.
Extraits traduits de l'arabe
par La Gazette du Maroc, sous toutes réserves.


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