Youssoufi inaugure l'évaluation de l'étape politique En date du 2 mars 2003, le quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki reproduisait le texte intégral du discours prononcé à Bruxelles par Abderrahman Youssoufi lors d'une cérémonie organisée en son hommage par le ministère des affaires étrangères belge. Le Premier secrétaire de l'USFP y avait, pour la première fois, donné son évaluation négative de l'expérience de l'alternance consensuelle. Un discours qui a pris de court toute la classe politique marocaine. Retour sur les raisons et les conséquences de ces nouvelles prises de position. Plusieurs interrogations ont fusé depuis la nomination du Premier ministre Driss Jettou et la publication d'un communiqué de la direction de l'USFP exprimant la déception de voir l'évolution de la vie politique s'écarter de la méthodologie démocratique. D'autres interrogations ont été posées alors au sujet de la participation de l'USFP au gouvernement et au sujet de l'avenir de la transition démocratique. Cependant, toutes les questions en suspens ont été dévoilées par le premier secrétaire de l'USFP lorsqu'il a prononcé, le 25 février dernier à Bruxelles, un discours devant un parterre de chercheurs et d'hommes politiques appartenant au forum du dialogue culturel et politique. Youssoufi devait être relayé par la suite par Mohamed Guessous, sociologue et membre du Bureau politique de l'USFP, qui était l'invité de l'émission “Fil Wajiha” de la deuxième chaîne. Or, les positions des deux dirigeants socialistes peuvent être considérées comme une sorte d'autocritique qui débouchera sur une réévaluation du rôle politique du premier parti marocain. Cette autocritique présente d'abord les raisons qui ont poussé l'USFP à participer au gouvernement, définit ensuite les objectifs des prochaines élections communales et insiste, enfin, sur une évaluation de l'actuelle phase politique. Les raisons de la participation Abderrahman Youssoufi devait indiquer que le gouvernement de l'alternance qu'il conduisait depuis le 14 mars 1998 n'était pas issu des urnes ni le résultat d'un consensus entre partis politiques. C'était un gouvernement issu de négociations directes entre le Roi et les forces issues du mouvement national. L'accord conclu est intervenu après un long processus conflictuel qui a débuté juste après l'éviction du gouvernement présidé par Abdallah Ibrahim en 1960. Mais cet accord n'était pas équitable puisque, selon Youssoufi, les dirigeants ittihadis ont accordé la priorité à l'intérêt national au détriment de l'intérêt de leur parti. D'ailleurs, Mohamed Guessous a entériné cette thèse quand il disait que son parti a payé un lourd tribut par sa participation notamment lorsque l'USFP a connu des remous politiques internes et des problèmes organisationnels graves. Cependant quel était le pari de l'USFP à cette époque ? Le parti espérait préparer les conditions politiques pour la réussite de l'expérience de l'alternance démocratique notamment par la moralisation de la vie publique et par l'adoption de l'arsenal juridique nécessaire à l'élargissement des libertés publiques individuelles et collectives. De même que l'USFP a parié sur la réhabilitation des institutions constitutionnelles et surtout la revalorisation de l'institution du Premier ministre dans la perspective d'organiser, pour la première fois, des élections législatives saines, libres et transparentes. Les objectifs du scrutin du 27 septembre Nonobstant l'évaluation que l'on peut faire des élections du 27 septembre, Youssoufi souligne leur sincérité, alors que Guessous avance le contraire. Mais ce qui est important, c'est de savoir si ces élections avaient un objectif déterminé ou si elles étaient organisées uniquement pour la forme. Youssoufi indique que l'objectif était de réussir la transition démocratique en passant d'une alternance consensuelle à une alternance démocratique où le gouvernement doit être issu des urnes. En acceptant de participer aux gouvernements du 14 mars 1998 et du 6 septembre 2000, l'USFP avait pour objectif de mettre fin aux différentes formules gouvernementales que le Maroc a connues et qui ont toujours été derrière la constitution d'équipes n'ayant aucun lien avec la majorité parlementaire. Et puisque les élections ont toutes été truquées, les majorités parlementaires demeuraient une notion très relative. Ainsi, tous les gouvernements ont été dirigés par des personnalités indépendantes appuyées par des partis loyalistes. Mais, le gouvernement de l'alternance a rompu la règle puisqu'il était dirigé par un premier ministre partisan. Ceci n'était qu'un premier pas vers la consécration de la règle politique qui s'appuie sur les résultats des élections. Par conséquent, pour Youssoufi, l'objectif des élections du 27 septembre n'a pas été atteint puisque Driss Jettou a été désigné premier ministre. Cette désignation a été qualifiée par le communiqué du Bureau politique de l'USFP comme une entorse à la méthodologie démocratique. Alors, pourquoi donc, l'USFP a-t-il accepté de participer à un gouvernement dirigé par un technocrate ? Beaucoup de thèses ont été avancées pour justifier cette approche. La première thèse précise que les électeurs ont témoigné leur confiance au parti qui a occupé la première place sur l'échiquier. La deuxième thèse indique que l'USFP espérait lutter pour sauvegarder les acquis du gouvernement de l'alternance. Mais Youssoufi avance une autre position selon laquelle, en participant, l'USFP ne voulait pas décréter l'échec de l'expérience. Qu'en est-il aujourd'hui ? L'évaluation de l'actuelle étape politique L'éditorial du quotidien Al Ittihad Al Ichtiraki en date du 4 mars avait pour titre “La transition démocratique après le 27 septembre”. Dans cet éditorial, il est écrit que les propos tenus par Youssoufi à Bruxelles sont le début de l'évaluation globale de l'expérience de l'alternance en liaison avec la problématique de la transition démocratique. Pour l'éditorialiste, le discours de Youssoufi doit déboucher sur un large débat concernant l'édification démocratique comme ce fut le cas lors de l'inauguration de l'expérience de l'alternance consensuelle. Mais ce débat n'a pas eu lieu lors de la désignation de Driss Jettou. Donc, le débat autour de l'édification démocratique est lié à l'évaluation globale de toute l'expérience politique que ce soit de l'étape précédente que de l'étape actuelle. Lors de l'étape précédente, il est clair que les entraves étaient telles qu'elles ont freiné la dynamisation des institutions constitutionnelles et surtout l'institution du Premier ministre. Youssoufi et Guessous désignent le Makhzen comme responsable de cette situation. Donc, le discours sur la nécessité de la modernisation et la démocratisation des structures de l'Etat n'est qu'un voeu pieu. Mais l'évaluation doit toucher également l'étape actuelle et doit surtout s'écarter de la certitude selon laquelle les élections du 27 septembre étaient transparentes. Dans ce cadre, Mohamed Guessous a dit clairement que le truquage des élections du 27 septembre était beaucoup plus grave que lors des anciennes expériences. Et bien entendu, cette évaluation s'appuie sur la négation de la méthodologie démocratique et que l'actuel gouvernement ne peut tenir son mandat. Cela dit, l'USFP va-t-il se libérer de l'engagement pris au sein de l'actuel gouvernement ? Toujours est-il que le parti de Youssoufi y a participé en ignorant lui-même les résultats des élections et sans obtenir un libre consensus avec les autres partis.