Les produits agricoles et manufacturés marocains arrivent en force sur le marché mauritanien. Dans la nouvelle configuration des affaires en Mauritanie, si des sociétés emblématiques marocaines comme Maroc Télécom se positionnent bien dans leur secteur, des sociétés étrangères notamment tunisiennes et émiraties raflent la mise dans d'autres activités à travers des appels d'offres. Seulement avec la nouvelle route et le rachat d'Air Mauritanie par la RAM, les Marocains repartent avec une longueur d'avance. Si le transport aérien entre la Mauritanie et le Maroc a des beaux jours devant lui, voyager par la route est devenue une opportunité pour des pans entiers de populations de part et d'autres. Les étudiants, les commerçants, les hommes d'affaires, les touristes…, tout le monde en profite. La route qui mène depuis Agadir en passant par Dakhla, Lagouira, Nouadhibou pour continuer sur Nouakchott et au-delà Dakar, Bamako, Abidjan fait le bonheur de plus d'un. Ce n'est pas Zelia, étudiante mauritanienne en troisième année de biologie à Marrakech qui dira le contraire. Elle, qui est habituée à payer chaque année à plus de 5000 dirhams un billet aller-retour entre Casablanca et Nouakchott, se voit offrir aujourd'hui un aller simple de Dakhla jusqu'à Nouadhibou à 400 dhs. Beaucoup d'étudiants mauritaniens, sénégalais, maliens…profitent des différents avantages offerts par la route qui relie maintenant la Mauritanie au Maroc. Mais les grands bénéficiaires sont d'abord les commerçants et les hommes d'affaires des deux pays. À en croire un homme d'affaires mauritanien, membre de la Confédération du patronat mauritanien (CNPM), depuis le changement intervenu à la tête de l'Etat en août 2005 et les opportunités qu'entraîne l'exploitation pétrolière, il ne se passe plus un mois sans que la CNPM ne reçoive une mission d'opérateurs économiques marocains. "On ne compte plus le nombre de missions commerciales effectuées par les opérateurs économiques du Maroc à la recherche d'opportunités", lance-t-il. Les hommes d'affaires évoluent dans divers secteurs d'activités comme l'agroalimentaire, la chimie et la parachimie, les systèmes d'échappement pour automobiles, la fonderie, la fabrication de disques abrasifs, de cocottes express, de casseroles en acier, de lampes, réchauds à gaz… Cette récente offensive des hommes d'affaires marocains fait de leur pays un opérateur de taille en Mauritanie. "Avant la visite de S.M le Roi Mohammed VI, les échanges économiques entre les deux pays n'étaient pas assez structurés, car nous n'avons pas de grands hommes d'affaires installés ici en Mauritanie. Depuis, nous constatons que les choses évoluent rapidement dans le bon sens", souligne ce commerçant marocain spécialisé dans la vente de tissus pour ameublement au marché de la Capitale à Nouakchott. Produits made in Morocco En Mauritanie, notamment à Nouakchott, ce qui frappe le visiteur absent du pays, il y a une année ou deux, c'est l'abondance des produits manufacturés marocains mais aussi agricoles. On y trouve dans les rayons des magasins, des supérettes ou des grandes surfaces des produits "made in Morocco" en tout genre. Ce qui fait dire à un grossiste de fruits et légumes : "les fruits et légumes frais hollandais espagnols ou français qui faisaient notamment, le bonheur des Mauritaniens, ont perdu la bataille face à la concurrence marocaine". Et de renchérir : " depuis l'ouverture de la route goudronnée qui relie le Maroc et la Mauritanie, nous disposons désormais des fruits frais tout au long de l'année". Cette opportunité offerte par la Mauritanie, fait le bonheur des exportateurs des fruits et légumes marocains. "Du fait d'un marché mauritanien relativement faible en terme démographique, moins de 3 millions d'habitants, la plupart des exportateurs profitent de leur présence ici pour écouler leurs marchandises dans la sous-région", avance un exportateur marocain de mandarines. Ceci dit, la présence marocaine est très visible aussi à travers ses produits manufacturés. Les panneaux publicitaires qui envahissent aujourd'hui la plupart des grandes villes mauritaniennes comme Nouakchott, Nouadhibou, Kaédi ou Rosso attestent de cette présence. Les margarines "La Prairie", "Familia", les jus d'orange "Boustane", "Miami", "Marrakech", le lait UHT "Salim", "Nido", "Yoplait" plusieurs marques de boissons gazeuses sous leur forme canette ou plastique (Coca-Cola, Fanta, Sprite, …) embouteillées au Maroc, ainsi que de nombreux biscuits, sont devenus des produits familiers aux Mauritaniens. Difficile de remonter de prime abord jusqu'aux distributeurs principaux de tous ces produits, d'autant plus, qu'hormis l'adresse du fabricant marocain mentionnée sur les produits, aucune autre indication ne permet d'y parvenir. De fil en aiguille, notre curiosité nous a guidés au cœur de la distribution en gros de Nouakchott, le marché du 6ème arrondissement, où tout ici, rappelle les grands souks marocains. Interrogé sur l'identité de la société qui importe la margarine "La Prairie", un grossiste du quartier, distributeur du produit, nous indique qu'il s'agit d'une société appartenant à un homme d'affaires local spécialisé aussi en importation du thé vert en Chine et du lait en poudre à Dubaï. Ladite société est située sur la rue perpendiculaire. Arrivé à cette hauteur, personne ne semble connaître le nom de cette entreprise, mais dès que nous avons prononcé les noms des produits, c'est sans hésitation qu'on nous indique les locaux administratifs de l'entreprise. Située au premier étage d'un immeuble de deux étages, cette entité commerciale, dont nous n'avons pas pu connaître le nom, dispose d'un grand magasin 30 mètres plus loin sur la même rue. Ici, toute l'activité commerciale tourne autour de l'agroalimentaire. Seulement, trois produits, notamment "La Prairie", "Boustane" et les nombreuses marques de thé, sortent du lot. "C'est lors d'un voyage de prospection au Maroc que notre directeur a découvert ces deux produits. Depuis, nous les distribuons sur tout le territoire national", confie un employé de l'entreprise. Si le commerce structuré des produits alimentaires est en train de rapprocher les hommes d'affaires des deux pays, les formes de partenariat entre grandes entités, privées de part et d'autre, cherchent encore leur voie. Et pourtant ce ne sont pas les opportunités qui font défaut. Nouakchott de demain Nouakchott de demain est loin d'être un slogan vide de sens. Nombreux sont aujourd'hui, les chantiers lancés ou annoncés dans la capitale mauritanienne. Les panneaux publicitaires font état de la nouvelle maquette de cette jeune ville de moins de 50 ans. Nouakchott est née en 1960 avec l'indépendance. Cette maquette formée de buildings imposants, ressemble à s'y méprendre aux cités modernes de Dubaï ou du centre des affaires de Midrand en Afrique du Sud. "L'ambition des grands groupes est de faire de Nouakchott une capitale moderne, à l'image des nouvelles cités qui émergent actuellement dans le monde", souligne Mohamed Ould Lahah, directeur exécutif de AON, premier groupe économique et financier du pays. Et de continuer : "nous sommes aujourd'hui à la recherche de partenaires, pour réaliser des résidences de luxe, des zones vertes, … Pour ce faire, nous sommes disposés à leur offrir des terrains gratuitement et d'autres avantages". Dans la nouvelle configuration des affaires en Mauritanie, si des sociétés emblématiques marocaines comme Maroc Télécom, la RAM va racheter 51 % du capital d'Air Mauritanie, se positionnent bien dans leur secteur d'activité, des sociétés étrangères notamment tunisiennes et émiraties, raflent la mise dans d'autres activités. Ainsi, il en va de la restauration rapide, rare à Nouakchott, où un appel d'offres lancé récemment au profit des sociétés pétrolières, notamment l'Australienne Woodside, a été remporté par une société tunisienne. Des appels d'offres portant sur des centaines de millions d'euros sont fréquents en Mauritanie, depuis la découverte du jackpot pétrolier. Il est rare qu'on entende une participation d'une société marocaine (voir encadré). Pourtant, les pouvoirs publics des deux pays, incitent les opérateurs économiques de part et d'autre, à mettre en place des sociétés à capitaux croisés (joint-venture) et à se découvrir davantage, tout en s'inspirant du bel exemple offert par Mauritel, en partenariat avec Maroc Télécom. " Les privés marocains en s'inscrivant dans cette dynamique auront tout à gagner", avait déclaré Mohamed Ould Bouamatou, président de la Confédération nationale du patronat mauritanien, lors d'une visite en 2006 d'une forte délégation de la CGEM à Nouakchott. Dans cette perspective, le président du groupe Chaabi a été reçu en fin du mois d'août 2006 à Nouakchott par le chef de l'Etat mauritanien. Ainsi, annonce-t-on l'intérêt de ce groupe d'investir ou de développer le partenariat dans différents domaines en Mauritanie, notamment la construction de logements. Les observateurs à Nouakchott lient cette nouvelle vitalité de la Mauritanie, à deux faits majeurs. Il s'agit en l'occurrence de l'exploitation pétrolière et l'avènement du CMJD (Conseil militaire pour la justice et la démocratie) au pouvoir. Le pays a rompu avec une gestion calamiteuse de son économie durant le règne interminable (22 ans) du régime déchu. Celui-ci était particulièrement caractérisé par le clientélisme, la gabegie et un degré de corruption qui ne favorisaient pas l'environnement des affaires. Nombreux étaient alors, des hommes d'affaires nationaux ou étrangers, qui avaient investi dans le pays ou avaient voulu franchir le pas dans ce sens et qui ont vite déchanté. Un climat économique délétère qui a vécu pendant plus de deux décennies et qui a laissé des stigmates, dont la cicatrisation prendra du temps. Le match Tunisie/Maroc L'agressivité s'explique par la présence d'entreprises tunisiennes ou d'hommes d'affaires menant du lobbying sur place. On comprend alors pourquoi les entreprises tunisiennes réussissent à remporter les appels d'offres. Les Marocains peuvent pourtant faire mieux. Eux dont le pays partage les mêmes frontières avec la Mauritanie et qui sont présents dans ce pays depuis des lustres. Ils peuvent intervenir dans des niches à forte valeur ajoutée comme l'hôtellerie et la restauration rapide. Ces deux activités connaissent aujourd'hui une croissance importante en raison de la nouvelle politique de développement du tourisme et les activités connexes à l'exploitation pétrolière. La demande en résidence de luxe fait aussi son apparition. Elle émane particulièrement des expatriés ou des sociétés privées venues chercher des contrats dans le secteur énergétique et minier. Les entreprises marocaines, notamment des travaux publics ou des services, ainsi que les hommes d'affaires ont tout intérêt à se mettre en avant pour cueillir en premier les informations économiques sur ce pays. Les prochaines années seront dédiées à la construction et au développement.