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Maghreb : Les marocains débarquent en Mauritanie
Publié dans Challenge le 03 - 05 - 2008

Abdeslam Ahizoune, Mustapha Bakkoury, Mustapha Amhal, Anas Sefrioui, Miloud Châabi, Said Alj, Mohamed Kettani, Hassan Sentissi, Alj… Tous ont déjà misé sur la Mauritanie ou s'apprêtent à franchir le pas. Aux yeux de nombreux patrons d'entreprises marocaines, ce pays voisin est devenu tout simplement un gisement d'opportunités, surtout depuis la découverte du pétrole.
En Mauritanie, c'est en l'espace de trois mois l'année dernière que deux banques françaises se sont installées. La Société Générale, profitant de la cession de la Banque Internationale d'Investissement (BII), a ouvert ses locaux en février 2007, tandis que la BNP Paribas est opérationnelle depuis la mi-avril de la même année. Cette année encore, c'est autant de banques marocaines, notamment les Groupes Banques populaires et Attijariwafa bank, qui viennent d'empocher leur agrément et s'apprêtent à leur emboîter le pas. Récemment, c'est la CDG, à travers son bras armé, CDG Développement, qui a jeté les jalons de sa conquête du marché mauritanien. Ce qui en dit long sur l'engouement des entreprises marocaines pour ce marché. Il faut dire que les choses ont véritablement changé, le ton aussi. Les opérateurs économiques locaux raisonnent désormais en termes de business. Ils voient depuis quelques années la Mauritanie comme un gisement d'opportunités. S'ils évitent de parler de relégation du politique au second plan, ils semblent déterminés à ne plus jouer désormais les seconds rôles. Ils disent ne plus attendre le politique pour initier des affaires. Ils veulent prendre les rênes, réaffirment-ils. Résultat : le courant d'affaires avec la Mauritanie se renforce. Même du côté du CMPE (Centre Marocain de Promotion des Exportations), on relève un regain d'intérêt des entreprises marocaines pour ce voisin du sud où le centre multiplie les missions à la demande des opérateurs économiques. Ce revirement de tendance est, de l'avis de plusieurs observateurs, une des conséquences du changement du repositionnement diplomatique marocain au niveau du continent d'une manière générale. «L'entrée de la Mauritanie en 2006 dans le club fermé des producteurs africains d'or noir a permis au pays de lancer de grands chantiers d'infrastructures et de constructions de logements. De nombreux secteurs-clés sont en pleine effervescence. Il s'agit notamment de la justice, de l'investissement avec la construction d'infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, de l'alimentation en eau potable de Nouakchott à partir du fleuve du Sénégal. De plus, plusieurs entreprises publiques sont en cours de privatisation», analyse ce membre du Conseil d'affaires maroco-mauritanien, présidé par Saïd Alj, par ailleurs propriétaire de plusieurs groupes, dont Unimer, Stockvis et Taslif. Quoi qu'il en soit, les entreprises marocaines, qui avaient il y a quelques années le regard tourné plutôt vers le Nord et l'Orient, ont commencé à regarder vers le Sud, en commençant d'abord par leur premier voisin, la Mauritanie. Commerce, télécommunications, banques, mines, consulting, BTP, immobilier, assurance, tourisme, informatique… tous ces secteurs sont dans le viseur des opérateurs marocains.
Maroc Telecom donne l'exemple
Maroc Telecom, le premier opérateur des télécommunications du Royaume, a été parmi les premières entreprises marocaines à s'implanter en Mauritanie, en rachetant 51% du capital de l'opérateur historique du pays, la Mauritanienne des Télécommunications (Mauritel). Abdeslam Ahizoun, son patron, n'avait pas hésité à mettre les moyens. Selon l'autorité de régulation mauritanienne, Maroc Telecom aurait fait une proposition quatre fois supérieure à celle des Portugais, qui n'auraient avancé que 12 millions de dollars. Aujourd'hui, l'ensemble des activités de sa filiale mauritanienne a généré en 2007 un résultat opérationnel de 389 millions de DH, en hausse de 31,5%. Ahizoun avait vu juste. Car il a senti, avant les autres, que ce pays deviendrait la destination privilégiée des investisseurs. Jour après jour, cette vision se renforce. Les hommes d'affaires marocains se bousculent dorénavant au portillon pour conclure des contrats. Pour cela, ils se sont associés aux autorités marocaines et à leurs homologues mauritaniens, pour créer le Conseil d'affaires maroco-mauritanien. Une structure consultative qui ambitionne d'exercer un poids politique et un lobbying sur les gouvernements des deux pays pour rendre plus fluides et plus intenses les relations économiques et commerciales.
Quoi qu'il en soit, l'implantation de Maroc Telecom, première grande opération du genre, fera des émules, surtout dans le domaine du BTP, plus particulièrement le secteur de l'eau et des routes. Dans ces domaines en effet, l'ingénierie marocaine s'exporte bien. Les exemples les plus éloquents sont ceux du bureau d'études Conseil Ingénierie Développement (CID), cabinet d'ingénierie pluridisciplinaire intervenant dans les projets de génie civil, du bâtiment, du transport et de l'hydraulique, et de SCET-SCOM, cabinet d'ingénierie de CDG Développement. Le CID, que dirige Moncef Ziani, vient de lancer l'étude pour le schéma directeur d'assainissement de la ville de Nouakchott. Le montant du marché s'élève à 6 millions de DH. Le bureau d'études vient de terminer le suivi de réalisation de la route Rosso-Boghé, longue de 110 km. Ce marché de contrôle des travaux lui aura rapporté 18 millions de DH. Quant à SCET SCOM, filiale de CDG Développement, qui a maintes fois tenté de pénétrer les marchés des pays africains, a fini par décrocher son premier contrat en Mauritanie.
Bien identifier
les opportunités réelles
Le cabinet a bouclé depuis l'année dernière la réalisation d'un réseau d'assainissement de Nouadhibou, la capitale économique du pays. Coïncidence ou pas, c'est quelques mois auparavant (septembre 2006) que le patron de la maison mère de SCET SCOM, Mustapha Bakkoury, directeur général de CDG, accompagné de Moulay Hafid Elalamy, président de la CGEM, de Anas Sefrioui, président du Groupe Addoha, de Saïd Alj, de Slimi, à l'époque aux Affaires générales de l'ONA et de Belghazi, à l'époque également président de l'association de microcrédit la Fondep, avaient effectué une visite dans le pays. Le patron de CDG réalise ensuite une seconde visite dans la capitale mauritanienne, les 13 et 14 février 2008. Il a été reçu par le président mauritanien Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, en présence de Saïd Alj. Selon une source proche du dossier, cette mission avait pour objectif de présenter l'organisation et l'évolution du groupe CDG et d'explorer les pistes de collaboration avec la Mauritanie. Depuis, les choses sont allées très vite. Une forte délégation gouvernementale mauritanienne est venue rencontrer récemment les responsables de la CDG.
Pour impulser des actions communes structurantes, les deux parties ont alors identifié lors de cette rencontre des opportunités potentielles de partenariat, notamment dans les secteurs liés au développement territorial : immobilier, tourisme, aménagement de zones d'activité… Il ne reste qu'à fixer les modalités de cette coopération. Et à cet égard, des équipes mixtes ont été constituées et devraient se réunir très prochainement. Les succès marocains dans le segment du BTP ne se comptent plus. Dans ce secteur également, Drapor réalise le dragage du port de Nouakchott. Les chantiers infrastructurels ouverts comme les ports, aéroports, infrastructures hydrauliques, adduction d'eau, aménagements urbains, intéressent énormément Fenié Brossette, filiale de la Somed (Société Maroco-Emiratie d'Investissement), qui est en train d'installer ses bureaux dans ce pays limitrophe pour saisir les opportunités offertes par ce marché. Au niveau de l'immobilier, le patron du puissant groupe Addoha n'a pas résisté aux sirènes. À en croire certaines sources, des projets sont dans le pipe d'Anas Sefrioui. En revanche, dans le secteur des assurances, une entreprise marocaine a depuis l'été dernier saisi l'opportunité qu'offre le flux de véhicules entre le Maroc et la Mauritanie de plus en plus important, et cela en l'absence d'assurances et risques de non-indemnisation des victimes. Ainsi, le 2 juillet 2007, la compagnie d'assurances transport (CAT) a signé une convention avec les huit compagnies d'assurances existantes en Mauritanie. Objectif: instaurer une assurance aux frontières permettant aux deux parties de commercialiser mutuellement leurs garanties. «Nous avons constaté que le flux de véhicules entre les deux pays devenait de plus en plus important. Près de 35.000 personnes se déplacent annuellement, dont une bonne partie avec leurs propres véhicules sans qu'ils ne soient assurés. La convention est destinée à combler ce vide», dit-on auprès de la CAT. Le transport de marchandises, tout aussi important, fait partie de la transaction. En effet, la Mauritanie n'a pas encore adhéré au système de la carte orange permettant une couverture assurantielle entre les pays arabes, ni à celui de la carte verte qui assure une couverture internationale. Cette convention permet à la CAT de capter 100% des véhicules mauritaniens assurés entrant au Maroc. Un projet est à l'étude pour la création d'une structure à la frontière.
Des prétendants de plus
en plus nombreux
Le secteur de la pêche n'est pas non plus en reste. Hassan Sentissi, armateur et industriel de la pêche, envisage de lancer à Nouadhibou, en association avec des opérateurs locaux, la construction d'un complexe industriel qui regroupera des installations pour la farine de poisson, le poisson congelé et la conserve de poisson. Au chapitre des intentions, on retrouve Ynna Holding, qui compte réaliser des projets d'hôtellerie et de tourisme dans le pays, mais aussi le groupe de Mustapha Amhal, qui est en train de mettre la main sur les derniers réglages d'un projet de distribution des produits de grande consommation en Mauritanie, sans compter son intention d'investir dans l'emboutissage des bombonnes de gaz. Il faut dire que l'homme d'affaires marocain n'en est pas à sa première expérience dans ce pays limitrophe. Oryx, une de ses sociétés de distribution à l'international, notamment en Afrique, est déjà implantée à Nouakchott. Cette dernière a permis d'ailleurs à Saïd Alj de renforcer indirectement sa présence en Mauritanie, lui qui est présent à travers Unimer (agroalimentaire). Oryx est tombée en effet dans l'escarcelle de la nouvelle holding, Aljia Invest, créée par le président du Conseil d'affaires maroco-mauritanien et Chakib Alj, qui sont associés à Mustapha Amhal.
Le secteur de l'industrie pharmaceutique lorgne également le marché mauritanien, comme c'est le cas de la société Genpharma, spécialisée dans la production de médicaments génériques. Cette entreprise basée à El Jadida, qui réalise déjà une partie importante de son chiffre d'affaires en Mauritanie à l'instar des autres pays africains, prévoit l'ouverture d'une représentation à Nouakchott. C'est à se demander s'il y a aujourd'hui un opérateur marocain qui n'aimerait pas avoir un pied en Mauritanie. Même Nourredine Ayouch, le célèbre publicitaire marocain, propriétaire de l'agence de communication Shem's, s'attelle à ouvrir un bureau spécialisé dans la communication à Nouakchott. Avec toutes ces entreprises marocaines qui cherchent à avoir un pied en Mauritanie, Atcom, filiale africaine de BMCE Bank, dédiée aux medias et à la communication, pourrait bien accélérer son projet d'implantation à Nouakchott. Le Bureau de Recherches et de Participations Minières (BRPM), lui, est loin des intentions. Il s'y est mis en prenant 2,35 % de la Société Nationale Industrielle et Minière (SNIM), le fleuron de l'économie mauritanienne, qui fait vivre plus de 5.000 foyers et qu'Arcelor Mittal cherche également à racheter dans le cadre de sa privatisation. Voilà qui va renforcer le Maroc dans son rang de premier investisseur étranger du continent après l'Afrique du Sud.
Attitude envers
l'investisseur étranger
Une impartialité imparfaite de la justice mauritanienne et quelquefois, une certaine inégalité devant la réglementation, notamment en matière fiscale, créent un environnement des affaires quelque peu imprécis, même si une très nette amélioration a pu être constatée ces derniers temps. Il est toutefois parfois encore difficile de faire exécuter un jugement à l'encontre de certains acheteurs mauritaniens. Pour réussir en Mauritanie, et quel que soit le secteur, un conseil classique revient comme un refrain : s'adosser à un bon réseau et bien choisir ses partenaires sur place.
Comment accéder au marché mauritanien ?
Le marché mauritanien est totalement ouvert aux importations, sauf pour quelques produits interdits (alcool et armes). Le seul document nécessaire pour l'importateur consiste en une «déclaration préalable d'importation» (DPI) pour toutes les opérations d'un montant supérieur à 5.000 dollars. Le règlement des importations peut s'effectuer par lettre de crédit ou crédit documentaire, compte tenu des retards de paiement souvent constatés sur les acheteurs mauritaniens. Il est plutôt conseillé d'utiliser des lettres de crédit irrévocable, et mieux encore confirmées par une banque étrangère. C'est dire que le déploiement des banques marocaines sur ce pays devra répondre en grande partie à ce souci. Le règlement des importations peut être aussi effectué sans transfert de devises, c'est-à-dire à partir des comptes ouverts à l'étranger (hors Mauritanie) et alimentés légèrement par une partie des recettes à l'exportation (donc non rapatriées en Mauritanie), notamment celles provenant de la vente des produits de la pêche.
La situation des impayés sur acheteurs privés mauritaniens est fluctuante. La monnaie nationale, l'ouguiya (MRO), est librement convertible (à l'intérieur de la Mauritanie) en devises étrangères pour les opérations commerciales. Aujourd'hui, les autorités ont libéralisé le régime de change.


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