L'ONG Human Rights Watch (HWR) a publié, ce vendredi 30 novembre son rapport relatif au déroulement du procès des détenus du Hirak du rif. Elle pointe du doigt nombre d'irrégularités, notamment les allégations de torture non prises en compte et le refus de citer des témoins clés. Sous l'intitulé « Maroc : Des verdicts entachés par des soupçons de torture », HRW affirme que durant le procès en appel des détenus du Hirak, ouvert le 14 novembre, la Cour d'appel de Casablanca « devrait tenir compte d'éléments prouvant que la police avait torturé des accusés ». Et de rappeler que le 26 juin dernier, un tribunal de première instance avait condamné l'ensemble des 53 accusés à des peines allant jusqu'à 20 ans de prison après avoir retenu leurs « aveux » comme preuves à charge, et balayé leurs réfutations desdits « aveux », qu'ils disaient arrachés sous la contrainte. De même, poursuit le rapport, le tribunal n'a pas expliqué pourquoi il avait écarté des rapports médicaux suggérant qu'au moins une partie des accusés avaient subi des violences policières pendant ou après leurs arrestations. Des preuves ignorées Pour Ahmed Benchemsi, directeur de la communication et du plaidoyer pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord chez HRW, « un tribunal ne peut tout simplement pas ignorer des preuves de torture. La cour d'appel se doit d'écarter tout aveu suspect, et de garantir que personne ne soit condamné si ce n'est pour des crimes réels ». L'ONG affirme, par ailleurs, avoir examiné les sections pertinentes du jugement du tribunal de première instance de Casablanca (3.100 pages), ainsi que 41 rapports d'expertise médicale – dont 19 rédigés par les médecins mandatés par le CNDH et 22 par celui mandaté par le tribunal –, assisté à 17 des 86 audiences du procès, consulté 55 documents judiciaires du dossier Hirak, et interrogé dix avocats de la défense et six proches des activistes emprisonnés. Des aveux arrachés Parmi les 53 accusés, 50 ont déclaré avoir subi des pressions, « d'une façon ou d'une autre », afin de leur faire signer des aveux auto-incriminants sans même lire leur contenu, relève encore le rapport. Il cite Bouchra Rouissi, une avocate de la défense, qui fait savoir que « 17 détenus ont confié avoir subi des violences physiques lors de leur interrogatoire — notamment qu'on les avait giflés, battus, qu'on leur avait donné des coups de poing au visage alors qu'ils étaient menottés, ou encore introduit des serpillères sales dans la bouche ». Les accusés ont ainsi « avoué », entre autres avoir commis des actes de violence à l'égard de policiers et organisé des manifestations non autorisées, mais tous se sont rétractés, que ce soit devant le juge d'instruction ou plus tard, pendant le procès, fait remarquer HRW, qui déplore dans son jugement écrit, le tribunal a estimé que les allégations de torture des accusés n'étaient « pas sérieuses » et étaient « infondées », et que par conséquent la requête d'invalidation de leurs aveux, présentée par la défense, « devait être rejetée ». Des rapports médicaux écartés D'autre part, relève l'ONG, le tribunal a fondé cette sa décision sur 22 examens médicaux ordonnés par le juge d'instruction et réalisés le 6 juin 2017, et dans certains cas sur des examens réalisés par un médecin travaillant dans la prison d'Oukacha à Casablanca. Mais les rapports du médecin mandaté par le tribunal et de celui de la prison diffèrent sur des points clés de ceux rédigés par l'équipe du CNDH. « Ignorer des preuves de torture n'a été qu'une des multiples violations graves qui ont entaché le procès de première instance du Hirak », a déclaré Ahmed Benchemsi, qui ajoute « avec l'appel qui commence, nous verrons bientôt à quoi rime ce procès: rendre justice, ou écraser tout activisme pour la justice sociale au Maroc ». Adoptant un procédé au cas par cas, Human Rights Watch note que les allégations de torture, aussi bien physique que morale, n'étaient pas les seules à entacher le procès des détenus du Hirak. Elle cite à cet égard d'autres irrégularités relatives notamment aux menaces de viol, aux allégations de pression et de falsification et au refus de citer des témoins clés de la défense et de laisser les accusés consulter les preuves A cet effet, l'ONG estime qu' »en vertu du droit à un procès équitable, tel qu'il est garanti par les traités de l'ONU et africains, la défense a le droit de présenter au tribunal ses témoins clés au même titre que l'accusation. De la même façon, les accusés ont le droit de voir, mais aussi d'avoir la possibilité d'examiner et de remettre en cause, toutes les preuves et témoins à charge clés utilisés pour le dossier d'accusation ».