* La crise économique est probablement un moment propice pour évaluer si le modèle dinsertion nationale adopté depuis plus de 20 ans au Maghreb est fiable ou pas. * Le manque dEtat de Droit dans la région la décrédibilise dans ses projets dintégration régionale et internationale. * La création dun marché régional ne pourrait être possible que grâce à une véritable intégration régionale. * La faiblesse de recherche sur la région est également palpable en Europe où il nexiste pas danalyse de lensemble du Maghreb. * Ivan Martin, chercheur associé à lInstitut Français des Relations Internationales, revient sur un certain nombre de points relatifs au travail élaboré par lIFRI sur la région Maghreb. - Finances News Hebdo : Lors de votre intervention, vous avez recommandé aux pays du Maghreb la reconfiguration de leurs relations économiques avec lUnion européenne. Quentendez-vous par là ? - Ivan Martin : Par reconfiguration des modèles dinsertion internationale des économies du Maghreb, à la lumière de la crise économique globale, je veux surtout dire que cest le moment de se poser la question de savoir si le modèle adopté depuis 20 ans a donné les résultats escomptés. Et si la réponse est non, il faudra alors pousser la réflexion pour savoir sil faut approfondir ce modèle et, éventuellement, lajuster. Ou bien se poser la question autrement pour aller vers un autre type de relations, que ce soit avec lUE ou avec le reste des autres économies du monde. Donc, dans mon intervention, je ne donne pas de réponse, mais je fais le constat des modèles dinsertion internationale tels que nous les connaissons. Jai parlé, à titre dexemple, de la politique de change et, si oui ou non, cette dernière permet vraiment une politique de compétitivité et de développement. Il faut juste savoir quil existe plusieurs dimensions de cette reconfiguration à entreprendre. - F.N.H. : Vous avez souligné une absence de recherche sur le Maghreb. Et Habib El Malki, le Pdt du CMC, a expliqué cela par un blocage constaté au niveau de la région. Est-ce quon ne peut pas dire tout simplement que cela est dû au fait que de nouveaux blocs régionaux plus intéressants ont émergé ailleurs ? - I. M. : Non, je nai pas parlé dabsence, mais de faiblesse de la recherche au niveau de la région et, surtout, du décalage entre la recherche avec une perspective régionale et limportance de ces perspectives pour linternationalisation des économies du Maghreb. A mon avis, ce décalage nest pas nécessairement une conséquence de lémergence des autres blocs régionaux, mais plutôt la conséquence du fait que la faiblesse de lintégration maghrébine a réussi à tous les niveaux à déclencher une logique du chacun pour soi. Ce nest pas propre au Maghreb, puisque même en Europe il arrive quon constate une absence danalyse densemble sur les économies maghrébines. - F.N.H. : En tant que chercheur, quelle est votre analyse des causes de la faiblesse de lintégration maghrébine ? - I. M. : Je citerai sans nul doute les conflits et les questions politiques. Mais je pense aussi quil y a un manque de crédibilité pour les projets actuels dintégration internationale liée à la faiblesse de lEtat de Droit dans la région. Cela a été clairement souligné dans les Projets de lUnion du Maghreb Arabe. Ce nest pas uniquement le cas du Maghreb, puisque cela a été soulevé au niveau dautres économies arabes. - F.N.H. : Ne pensez-vous pas que cette faible intégration soit liée aux marchés eux-même qui restent très petits, comparativement à des économies asiatiques par exemple ? - I. M. : Au contraire ! Je pense que lattractivité du marché maghrébin passe forcément par lintégration régionale. Les services étrangers qui sétablissent au Maroc et en Tunisie, un peu moins en Algérie, doivent compter avec une fragmentation du marché qui les empêche dexporter vers un grand marché à côté, notamment lAlgérie. Et ça se traduit directement par des réductions dans leurs chiffres daffaires. Donc, la création dun marché régional pas très grand, tout de même avec 70 millions dhabitants, serait possible grâce à lintégration maghrébine. - F.N.H. : À votre avis, quelle est la valeur ajoutée des accords dassociation et des accords de libre-échange signés par les différents pays de la régions dans cette intégration internationale ? - I. M. : Il y a deux éléments à souligner. Dun côté, lancrage des réformes économiques dans les pays de la région; et ça, bien évidemment, aura des retombées très positives. Le deuxième élément est de clarifier et de donner une perspective aux relations économiques avec lEurope qui reste le premier partenaire de tous les pays de la région. Les accords de libre-échange ont, dans ce cadre, des règles et des perspectives claires pour ces échanges. Mais le chaînon manquant de cette démarche est lintégration Sud-Sud. - F.N.H. : Depuis léclatement de la crise, on ne cesse de nous répéter que les pays en développement prendront le relais en tant que nouvelle locomotive qui va tirer léconomie mondiale. Dans quelle mesure le Maghreb peut-il sinscrire dans cette démarche ? - I. M. : Pas tellement, parce que les économies du Maghreb sont émergentes dans le sens quelles connaissent une dynamique de développement lente mais sûre. Par contre, la demande émanant de cette région est très limitée. Donc, je ne pense pas quon puisse considérer le Maghreb comme lune de ces économies émergentes qui vont jouer un rôle de moteur dans léconomie mondiale.