* La question du Sahara constitue-t-elle un blocage à la construction maghrébine ? * Pour l'Europe, le Maghreb est une région à la fois proche et éloignée. * Les sociétés maghrébines souffrent d'une crise d'identité. Pourquoi les unions régionales dans plusieurs parties du monde commencent-elles à s'émanciper et à fonctionner à plein régime au point de devenir des puissances qui s'imposent et qui ont un poids dans l'architecture internationale alors que l'espace maghrébin reste bloqué ? L'Union du Maghreb Arabe (UMA) est demeurée une entité qui existe uniquement sur le papier. Pourtant, elle a tous les ingrédients pour réussir son intégration et son décollage. Khadija Mohsen Finan, chargée de recherche à l'Institut français des relations internationales (IFRI), a animé un débat sous le thème « Le Maghreb à la croisée des chemins ». Finan était l'invitée de l'Institut marocain de recherches internationales (IMRI). Dans une allocution d'ouverture, Jawad Kerdoudi, président de l'IMRI, a regretté le blocage de l'UMA en affirmant que «de par le monde, des unions régionales se sont constituées, sont pleinement fonctionnelles et donnent des résultats tangibles à leurs membres». Il a cité les exemples de «l'Union européenne qui regroupe 27 pays, l'ALEA composée des Etats-Unis, du Canada et du Mexique et aussi ceux des Pays du Sud-Est asiatique (ASEAN) et de l'Asie-Pacifique (APEC) qui arrivent à multiplier les échanges et les investissements entre eux». Kerdoudi a indiqué par ailleurs que «l'UMA est en panne et que ce blocage risque de perdurer à cause du problème du Sahara». «Or, at-il expliqué, l'espace maghrébin est la solution idoine au conflit du Sahara». Mais Finan, docteur en Sciences politiques, ne partage pas l'avis de Kerdoudi. «Le Sahara est certes un handicap politique, mais il ne peut toutefois bloquer les échanges économiques et commerciaux entre les cinq pays de la région et surtout entre le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Il y a plutôt un blocage psychologique et une contrainte de confiance qu'il faut surmonter». Dans son intervention, Finan a donné un aperçu sur la région : « Elle a une population de plus de 75 millions d'habitants, elle jouit de différentes richesses naturelles et diversifiées, elle possède 4% des réserves pétrolières et gazières. Les différents pays ont des atouts de complémentarité importants, sans oublier la proximité géographique des marchés», a-t-elle souligné ; et d'ajouter que «le Maghreb est situé entre une Europe qui veut se barricader et le Sahel, une région opaque. Entre une Afrique pauvre et sous-développée et une Europe qui progresse, le Maghreb, pour l'Europe, est une région à la fois proche et éloignée». La conférencière a précisé que «la France, qui a des liens anciens et traditionnels avec le Maghreb, n'a pas encore assaini son passif colonial dont les effets se manifestent encore». «L'islamisme continue de susciter la peur dans les sociétés occidentales», a-t-elle dit. «Les gens se nourrissent de l'actualité à cause des médias et d'un manque de débat. Pour les Maghrébins, il y avait une crise d'identité. Nous assistons à des phénomènes antinomiques : des sociétés tournées vers le repli qui veulent comprendre l'Histoire. Cette crise est due en partie à l'épuisement du nationalisme politique et à l'essoufflement du mode de gouvernance adopté», a-t-elle souligné. La conférencière a expliqué que «l'islamisme a connu ses heures de gloire au moment où les idéologies tiers-mondistes sont tombées en panne dans les années 80. Il y a une mauvaise évaluation de l'islamisme qui serait une revendication identitaire». Finan a expliqué que «chaque pays a continué de batailler après son indépendance dans la logique nationale. Travailler dans un espace plus grand était facultatif. Le plus important pour les pays de l'UMA n'est pas de faire partie de l'Europe, mais de peser sur l'Europe. Le Maghreb pourrait peser plus que la Turquie sur la scène internationale. L'engagement dans le projet euro-méditerranéen devient incontournable alors que la classe politique n'arrive pas à présenter un projet de société. Kerdoudi a répliqué en affirmant que «l'UMA est condamnée à rester enfermée dans sa coquille. Une situation qui cause un grave préjudice pour chaque pays membre, et pour l'Union tout entière». Ce préjudice a été comparé par des experts à un manque à gagner de plusieurs points de PIB pour chaque pays membre. Il est certain que la constitution d'un marché commun maghrébin aurait multiplié les échanges entre les pays membres et attiré des investissements aussi bien nationaux qu'internationaux. Plusieurs intervenants, qui ont participé au débat, ont plaidé pour la régionalisation et non pour le régionalisme. L'UMA ne doit pas rester un discours, mais doit se concrétiser dans les faits. «Le Maghreb se fera si les hommes se démarquent du politique. Il n'y a pas de débat intermaghrébin. Il n'y a pas de liberté de pensée maghrébine. Il y a des puissances qui profitent du statu quo comme la France», a conclu Finan.