* Malheureusement, les élites maghrébines ont démissionné de leur rôle de détenteur de message fort sur le dossier du Maghreb. * Il est flagrant que léconomique reste prisonnier du politique au Maghreb. * Le non Maghreb coûte de 2 à 3 points de croissance chaque année. * Le point avec Habib El Malki, le président du Centre Marocain de Conjoncture. - Finances News Hebdo : Dans quelle mesure le programme de recherche entrepris par lIFRI et soutenu par lOCP, peut-il servir à une meilleure intégration régionale ? Et quelle est la valeur ajoutée de ce travail à une échelle plus régionale ? - Habib El Malki : Il existe un déficit de réflexion au niveau du Maghreb qui est traversé par une crise profonde qui dure depuis plusieurs décennies, notamment depuis 1989, date de la création de lUnion du Maghreb Arabe. Et réhabiliter la réflexion sur les principales problématiques qui concernent le présent et lavenir de cette sous-région ne peut quaider à mieux comprendre les enjeux de la mondialisation à la lumière de la crise actuelle. Le principal enseignement consiste à rappeler que lavenir du Maghreb nest pas dans des stratégies étatiques étroites tournées vers le développement national. Lavenir du Maghreb est dans lélaboration dune stratégie densemble, en concertation avec toutes les composantes de cette sous-région afin de mieux tirer profit des dividendes de la mondialisation. Il est impossible pour chacun des pays maghrébins de prétendre à une croissance durable, soutenue, génératrice demplois, capable de réduire les disparités régionales, et les disparités sociales, sil ny a pas véritablement un sursaut dans loptique de lédification dun véritable ensemble régional. - F.N.H. : De quelle manière léconomique peut-il rester prisonnier du politique à léchelle de la région maghrébine ? - H. E. M. : Dans le cas du Maghreb, cest flagrant ! Léconomique fait du surplace malgré quelques tentatives de la part des opérateurs économiques, en particulier certains opérateurs bancaires et financiers. Le Maghreb est bloqué politiquement parce quil y a un déficit de démocratie. Seuls des Etats de droit peuvent jouer un rôle central dans le processus dédification régionale et seuls des Etats de droit sont capables darriver à un seuil dirréversibilité dans ce processus dintégration régionale. - F.N.H. : Quelle est dès lors la valeur ajoutée des accords dassociation ? - H. E. M. : Les accords dassociation avec nos partenaires européens sont positifs, mais ils ne peuvent pas être, encore une fois, une alternative à lintégration maghrébine. - F.N.H. : Pensez-vous que le moment est propice pour la mise en place dune stratégie densemble pour toute la région ? - H. E. M. : Je pense que le rôle des élites est justement daller à contre-courant. Leur rôle est de clarifier les perspectives, de porter des messages et, en même temps, de tirer des sonnettes dalarme. Le Maghreb éclaté à travers des développements nationaux solitaires ne peut pas jouer un pôle important ni sur le plan africain, ni sur le plan euro-méditerranéen, a fortiori sur le plan international. - F.N.H. : Des sous-régions en Amérique latine ou en Asie, ont démontré que les pays émergents peuvent être des locomotives pour léconomie mondiale. Malheureusement, il nen a rien été pour le Maghreb - H. E. M. : En Amérique latine, il existe bel et bien des expériences de développement régional intégré assez avancées mettant en rapport plusieurs pays de la région au-delà de laléa politique. Parce que ces pays sont arrivés à un niveau de maturité qui leur permet de voir un peu les perspectives de la région, pas seulement sous langle strictement national, mais sous langle régional. - F.N.H. : Pensez-vous que le coût du non Maghreb pourrait être fatal dans les années à venir ? - H. E. M. : Le coût du non Maghreb est déjà important avec une perte de deux à trois points de croissance par an. Cest énorme, alors que le taux moyen de la région ne dépasse pas les 4 %. Et il le sera encore plus sur le plan psychologique, sur le plan culturel Toutes les nouvelles générations ne sont pas actuellement sensibilisées à la question du Grand Maghreb auquel elle tournent le dos. Et cest un facteur de blocage structurel qui, demain, va freiner un peu la dynamique de lédification maghrébine. - F.N.H. : Vous parliez des rôles des élites de la région dans ce processus dédification régionale du Maghreb ; pouvez-vous nous dire si des ponts de communication sont jetés entre elles ? - H. E. M. : Non. Malheureusement, la crise actuelle du Maghreb a compartimenté tous les flux dinformations et je dirais même bloqué largement les échanges entre les différentes composantes de lélite maghrébine. Cette dernière ne joue pas actuellement son rôle en tant que dépositaire dun message, même sil est à contre-courant, qui dit que le Grand Maghreb doit se faire. Lélite maghrébine a démissionné et regarde de plus en plus ailleurs. Et ce sera, je pense, un handicap très lourd demain et qui va véritablement bloquer laccélération du processus dintégration régionale au niveau du Maghreb. - F.N.H. : Pour conclure sur une note positive, peut-on dire que tôt ou tard, lUMA devra se faire ? - H. E. M. : Je considère personnellement que le Maghreb se fera impérativement parce que cest un problème de survie pour la région. Peut-être quil ne se fera pas avec les élites actuelles, mais le Maghreb est un impératif de survie !