Le dernier remaniement ministériel a alimenté les analyses des différents spécialistes et politiciens. Tout le monde saccorde à dire que ce remaniement est purement politique; rejetant par là la thèse officielle qui y voit un remaniement purement technique. Tour dhorizon avec Mohamed Darif, politologue. F. N. H. : Quelle lecture faites-vous du dernier remaniement ministériel ? Ne risque-t-il pas dêtre considéré comme une simple fuite en avant ? M.D : En général, dans nimporte quel pays, dès que lidée dun remaniement gouvernemental simpose, cela signifie quil y a un dysfonctionnement, au niveau du rendement de léquipe dirigeante, quil faut pallier. Chez nous au Maroc, il est à remarquer que ce sentiment dinsatisfaction, relatif au rendement gouvernemental, a toujours été présent. Cest un sentiment exprimé sous forme de crise politique ou autre. En somme, parler dun remaniement ministériel, cest reconnaître lexistence de ce dysfonctionnement. Ceci nest pas nouveau au Maroc. Il est de coutume quune fois un gouvernement constitué, on aborde, de suite, lidée dun remaniement ministériel. Les faits sont là pour le prouver. Quand le gouvernement de Youssoufi a été constitué en 1998, le discours officiel, véhiculé à lépoque, rapportait que la première année de ce nouveau gouvernement serait simplement évaluative. En 2000, un remaniement a eu lieu. Le même scénario sest répété avec le gouvernement Jettou. Celui-ci a été constitué en novembre 2002. En 2003, lidée du remaniement ministériel commença à circuler sous prétexte que lhomogénéité, force de tout gouvernement qui se respecte, faisait défaut à un amalgame politico-technocrate. Puis, on a avancé le prétexte du faible rendement de certains ministères. Ensuite, le discours officiel a véhiculé la thèse selon laquelle ce dysfonctionnement relève de lincompétence de certains ministres et nest aucunement lié au gouvernement en entier ; ce qui nest pas vrai. Le remaniement a donc eu lieu, en juin 2004, cest-à-dire moins de 2 ans après la constitution du gouvernement Jettou. Les débats qui alimentaient les milieux politiques laissaient croire que le remaniement serait global (et non partiel) pour permettre le passage dun gouvernement à dominante technocrate à un gouvernement composé uniquement de partis politiques. Cela aurait permis davoir un gouvernement responsable devant le Parlement. Rien de cela nest arrivé. F. N. H. : Driss Jettou a qualifié ce remaniement de « technique ». Quel commentaire en faites-vous ? M.D : Je ne crois pas que ce remaniement soit technique. Disons-le clairement : nous sommes devant un remaniement politique. Dans un remaniement technique, on remplace une personne « incompétente » par une autre plus compétente. Dans le cas de ce remaniement, la raison est politique dans la mesure où le souci de réduire le nombre de portefeuilles ministériels sest traduit par les faits en passant de 39 membres à 35. Cest une réduction dont la portée est fortement politique. La deuxième motivation politique relève dun souci de restructuration et de redynamisation. Il sagit en loccurrence de booster, à travers leur restructuration, trois secteurs essentiels au Maroc : lenseignement, lagriculture et le tourisme. A cet effet, le ministère de lEducation Nationale gère désormais lEnseignement Supérieur et la Recherche Scientifique. Celui de lAgriculture voit ses prérogatives sétendre à la Pêche Maritime. Enfin, le Ministère du Tourisme prend les commandes de lArtisanat et de lEconomie Sociale. Il ne faut pas omettre, non plus, la suppression du ministère des Droits de lHomme ainsi que le secrétariat dEtat à lEnvironnement. Le système a une orientation politique claire. Son souci de « technocratiser » le gouvernement, de quelque manière que ce soit, est constamment présent; sinon comment voyez-vous le fait de nommer trois ministres technocrates sous létiquette « RNI » ? Tous ces éléments conjugués nous permettent de déduire quil ne sagit nullement dun remaniement technique. F. N. H. : Ny a t-il pas une contradiction entre, dune part, le discours officiel qui prône la démocratie et le renforcement des partis politiques et, dautre part, les impératifs du système ? M.D : Cest une pratique justifiable. Pourquoi ? Depuis le temps, nous avons eu au Maroc un conflit opposant le Roi aux partis. Avec le gouvernement Youssoufi, un conflit de légitimité sest installé. Mais, avec lintronisation de SM le Roi, les donnes ont changé. Le Roi a accordé priorité au Social ; alors que Youssoufi favorisait du Politique. Lopposition était donc évidente. Avec le gouvernement Jettou, la binarité proximité-efficacité embrassait les priorités du Roi. Qui des deux parties, selon vous, technocrates ou politiciens, serait assez pragmatique pour traduire, dans les faits, les orientations royales ? Dans la réponse, vous trouverez la motivation du dernier remaniement ministériel. Quand le Roi affirme, dans un discours, que les partis politiques doivent se restructurer en attendant la nouvelle loi sur les partis, et quand il reconnaît quil ne faut pas perdre de temps en responsabilisant des partis politiques au faible rendement, cela nous pousse à méditer sur la question. Le dernier remaniement ministériel corrobore cette vision. Les débats qui alimentaient les milieux politiques laissaient croire que le remaniement serait global (et non partiel) pour permettre le passage dun gouvernement à dominante technocrate à un gouvernement composé uniquement de partis politiques. F. N. H. : Les partis politiques nont pas trop critiqué le dernier remaniement. Cela signifie-t-il quils en sont satisfaits ? M.D : Il y a eu des réactions. Dans lédito du journal « Al Alam », organe de presse du PI, on a pu relever une non-satisfaction. Dautres politiciens, en loccurrence Khiari et le Président du groupe parlementaire « RNIste » ont exprimé leur mécontentement. En fait, même si les partis politiques adoptent une attitude critique, ils manquent darguments dans la mesure où le rendement gouvernemental était en deçà des attentes. Dailleurs, ces mêmes partis participent au gouvernement actuel. Sil y avait eu élimination ou substitution de ces partis, les réactions auraient pris une autre tournure.