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Nouvelles réglementations de change : Des retombées macroéconomiques incertaines et des doutes persistants
Publié dans Finances news le 06 - 03 - 2014

Fin analyste de la politique monétaire du pays, le professeur Mohammed Akaaboune revient sur la brûlante actualité que suscitent les circulaires de l'Office des changes mettant en application les mesures
de la Loi de Finances 2014. Il procède à un balisage conceptuel de la notion de convertibilité largement galvaudée. Celui-ci estime que les récentes mesures prises par l'Office des changes vont dans le sens d'une libéralisation de la politique de change sans pour autant traduire la convertibilité du Dirham qui requiert des prérequis. Même si le professeur reste persuadé que ces mesures pourraient avoir un effet de levier positif sur les réverses de change, la liquidité bancaire ou les finances publiques, il n'en demeure pas moins qu'il reste circonspect quant à la pertinence de certaines dispositions. Ce qui le conduit à formuler des recommandations pour que ces initiatives aient un impact durable sur l'économie nationale.
Finances News Hebdo : Les dispositions de la Loi de Finances 2014 autorisent les citoyens marocains à détenir un compte en devises. Elles permettent aussi, dans le cadre de l'amnistie fiscale, à tout détenteur de biens à l'étranger de s'acquitter auprès des banques de la contribution libératoire. Cette batterie de mesures est-elle synonyme d'une convertibilité du dirham plus large?
Mohammed Akaaboune : Avant de répondre à votre question, il faut d'abord préciser le contenu de ces mesures. En effet, la Loi de Finances (LF) 2014 a introduit de nouvelles dispositions qui ont un impact sur la réglementation de change. Il s'agit en fait de deux types de mesures mises en application par deux circulaires de 2014 de l'Office des changes. La circulaire N° 1 relative à la mise en application des mesures de l'Article 4 Ter, de la LF (Bulletin Officiel du 31- 12- 2013) concerne la contribution libératoire au titre des avoirs et liquidités détenus à l'étranger. La circulaire N° 3 relative à la possibilité accordée aux personnes physiques et aux sociétés non exportatrices d'avoir des comptes en devises ouverts auprès des banques pour faciliter l'utilisation de la dotation de voyages touristiques pour les premiers et de la dotation de voyage d'affaires pour les seconds avec la possibilité de cumuler les deux dotations pour la deuxième catégorie. C'est la circulaire N°1 qui est relative à la mise en application des mesures de l'article 4 Ter, de la LF (Bulletin Officiel du 31- 12- 2013) et qui présente la «Contribution libératoire au titre des avoirs et liquidités détenus à l'étranger». Cet article stipule qu'il est institué une contribution libératoire au titre des avoirs et liquidités détenus à l'étranger avant le 1er Janvier 2014 en infraction à la réglementation des changes et à la législation fiscale. Cette contribution concerne les personnes physiques et morales ayant une résidence, un siège social ou un domicile fiscal au Maroc. Les infractions de change concernées sont relatives aux avoirs sous forme de biens immeubles ; ou d'actifs financiers et de valeurs mobilières et autres titres de capital et de créances ou d'avoirs liquides déposés dans des comptes ouverts auprès d'organismes financiers ou de banques situés à l'étranger. Les infractions fiscales concernées par cette contribution sont celles relatives au défaut de déclaration des revenus, produits, bénéfices et plus-values relatifs aux avoirs immobiliers et mobiliers ainsi qu'aux disponibilités en devises détenues à l'étranger.
Les personnes concernées peuvent ne pas subir l'application des sanctions relatives aux infractions de change ainsi qu'aux infractions fiscales à condition :
- de rapatrier les liquidités en devises ainsi que leurs revenus, produits et céder au moins 25% de ces liquidités sur le marché de changes et de déposer le reliquat dans des comptes en devises ou en dirhams convertibles auprès des établissements de crédit ayant le statut de banque au Maroc ;
- de procéder au paiement d'une contribution libératoire selon les taux suivants : 10% de la valeur d'acquisition des biens immeubles détenus à l'étranger ou de la valeur de souscription ou d'acquisition des actifs financiers et des valeurs mobilières et autres titres de capital ou de créances détenus à l'étranger ; 5% du montant des avoirs liquides en devises rapatriés au Maroc et déposés dans des comptes en devises ou en dirhams convertibles et 2% pour le montant des liquidités en devises rapatriées et cédées sur le marché de change contre le dirham. Ces mesures, couplées à la mise en vigueur du contenu de la circulaire N° 3 de l'Office des changes permettant aux résidents marocains d'avoir un compte en devises auprès des banques au Maroc peuvent-elles permettre une plus large convertibilité du dirham ?
La réponse à cette question suscite d'abord la nécessaire précision de la notion de convertibilité d'une monnaie qui constitue l'un des aspects essentiels des réglementations des changes. De nos jours, une monnaie est convertible si les agents économiques qui la détiennent peuvent l'échanger en toute liberté et sans restrictions contre toute autre monnaie. Cette convertibilité suppose deux contraintes majeures pour la banque centrale du pays émetteur de la monnaie. D'abord, celle-ci doit être en mesure de racheter sa propre monnaie à la demande de ses partenaires. Ensuite, elle doit garantir la libre circulation de sa monnaie sur les marchés. Pour ce faire, les réserves de devises doivent être suffisantes et les déséquilibres extérieurs supportables. En fait, la convertibilité doit être le fruit d'une évolution favorable de la position extérieure du pays. C'est ainsi que les principaux pays européens n'ont commencé à pratiquer la convertibilité externe de leur monnaie qu'à partir de 1958. Les pays d'Europe occidentale et le Japon ont mis plus d'une décennie à rendre leurs monnaies convertibles après la seconde guerre mondiale. Dans les pays en développement, les monnaies sont souvent fragiles et les paiements extérieurs déséquilibrés, la convertibilité est souvent limitée par des réglementations. Parmi les limites, on peut citer la pratique d'une pluralité du taux de change en fonction de la nature des biens échangés pour décourager l'importation des biens de luxe ou de favoriser les biens de première nécessité par exemple.
Le Maroc et la politique graduelle
Ces restrictions se traduisent souvent par la coexistence de marchés parallèles à côté des marchés réglementés. C'est ce qui pousse les institutions internationales (FMI et Banque mondiale) à décourager la pratique de ces protections mais beaucoup de pays en développement n'ont pas la capacité de rendre leur monnaie convertible. Au lendemain de l'implosion du bloc de l'Est et la chute du mur de Berlin, les pays d'Europe centrale et orientale se sont engagés, à partir de 1990, dans des politiques de libéralisation commerciale et financière accélérée, et de la convertibilité externe de leurs monnaies. Ce choix brutal contraste avec la prudence et le gradualisme des mesures prises par les pays développés ou les pays en développement.
Le Maroc fait partie du groupe de pays pratiquant une politique graduelle dans ce domaine. Les nouvelles mesures vont dans le sens d'une libéralisation de la réglementation mais doit-on s'attendre
à une plus large convertibilité de la monnaie nationale ? La réponse ne peut pas être ferme. Il est nécessaire d'attendre les résultats pour pouvoir juger de la pertinence des ces mesures. Ce que nous pouvons faire a priori, c'est l'analyse du contenu des circulaires de l'Office des changes. Pour ce qui est du contenu de la circulaire N°1, l'impact dépend du degré de réponse des personnes concernées par ces infractions de change et les infractions fiscales et donc du degré de confiance que leur inspire la décision du gouvernement. Il est donc nécessaire que les pouvoirs publics communiquent à ce propos pour que le message soit convainquant et que les personnes concernées soient rassurées de pouvoir effectuer ladite déclaration et échapper aux pénalités prévues. La réaction des agents concernés dépend également du coût d'opportunité de ces opérations. Comment payer 10% de la valeur d'un bien immeuble détenu à Londres ou à Paris ou encore dans un paradis fiscal ? Le coût semble être élevé et risque de ne pas être réalisable. Pour les avoirs liquides, il s'agit de rapatrier les fonds, de céder 25% sur le marché de changes contre des dirhams et de placer 75% dans un compte en devises ou en dirhams convertibles. La mesure peut être attrayante si le compte en devise permet une rémunération importante. Or, au Maroc, les taux d'intérêts réels créditeurs rémunérateurs de l'épargne sont très faibles et ne peuvent constituer une source de motivation. La circulaire N° 3 qui concerne la possibilité offerte aux personnes physiques et aux professions libérales ainsi qu'aux sociétés non exportatrices de disposer d'un compte en devises concernent pour le moment l'ouverture d'un compte en devises qui serait alimenté par au plus 100% de la dotation de voyages touristiques pour les personnes physiques. Notons que ces personnes ont déjà droit à cette dotation annuelle. De plus, le compte en devises ne peut cumuler les dotations d'une année sur l'autre. Pour ce qui est des sociétés non exportatrices, le compte en devises ne peut être alimenté que par un montant d'au plus 100% de la dotation en devises relatives aux voyages d'affaires. Il faut noter qu'il y a possibilité dans ce dernier cas de cumuler la dotation de voyage touristique et la dotation de voyage d'affaires. Une souplesse est prévue en matière d'arbitrage entre les montants des disponibilités de ces comptes et les autres devises. On remarque cependant que ces comptes en devises ne peuvent être débiteurs, ce qui signifie qu'on ne peut pas bénéficier d'une avance ou d'un découvert ce qui limite leur impact par rapport à la situation préalable. Il s'agit à première vue d'un changement de support de la dotation annuelle en devises seulement. Quelle est l'utilité d'avoir un compte en devises et de payer des frais de tenue de compte si l'on peut disposer de la même dotation directement en cas de besoin pour voyager ? Le coût d'opportunité semble être faible. En plus, les Marocains ne voyagent pas beaucoup du fait de la contrainte du visa pour aller à l'étranger et du niveau de vie qui ne cesse de se dégrader. Le Marocain ne voyage à l'étranger que par nécessité et rarement par plaisir.
F. N. H. : Quelles seraient concrètement les retombées de ce nouveau dispositif sur le plan macroéconomique?
M. A. : En principe, les mesures prévues par la circulaire N°1 doivent théoriquement avoir des effets positifs aussi bien au niveau monétaire qu'au niveau budgétaire. Au niveau monétaire, on peut s'attendre à une amélioration des réserves de change du pays, ces réserves qui ont fortement chuté ces dernières années. Pour la circulaire N°1, l'obligation de céder 25% des liquidités en devises sur le marché de change est de nature à améliorer la liquidité de ce marché et d'accroitre les agrégats de monnaie. De plus, l'obligation de déposer 75% auprès des banques est de nature à améliorer la liquidité bancaire sérieusement entamée ces dernières années. Au niveau budgétaire, ces mesures doivent en principe se traduire par un accroissement des recettes fiscales, ce qui doit améliorer la situation des finances publiques.
Cependant, comme nous l'avons déjà dit, on ne peut pas affirmer que les effets seront positifs car cela dépend de la réaction des agents économiques concernés. Il reste à souligner que ces mesures concernent les résidents au Maroc. Or, il se trouve que parmi ces résidents, acteurs des fuites de capitaux, certains disposent de la double nationalité ce qui leur permet d'échapper aux contraintes liées à la résidence au Maroc. De plus, s'il s'agit de trafiquants de produits illicites, on ne peut pas s'attendre à une forte réponse. Les mesures restent en gros incitatives, elles ne sont pas coercitives et l'absence de respect de ces mesures ne se traduit que de sanctions légères (pénalités). Enfin, les personnes concernées peuvent toujours rapatrier les fonds concernés puisque les dépôts sont réalisés à hauteur de 75% dans des comptes de devises, ils peuvent à nouveau retransférer ces fonds après avoir bénéficié de ces nouvelles mesures et donc en toute légalité assurer une sortie de capitaux.
Il faut signaler que sur le plan macroéconomique, des effets néfastes peuvent être envisagés dans le cas de mouvements brutaux de capitaux (entrées ou sorties) suite aux tensions spéculatives qui présentent des risques systémiques qu'il faut prévenir. En cas d'afflux massifs de capitaux, on doit envisager des mesures de stérilisation pour éviter les chocs déstabilisants. Il nous semble qu'il aurait été préférable d'exiger un dépôt à terme en dirhams, ce qui assurerait l'amélioration de l'épargne stable et renforcerait la liquidité bancaire. De telles mesures pourraient en même temps limiter les possibilités de récidive en matière de fuite de capitaux. De plus, pour éviter cette récidive, les pouvoirs publics auraient pu prévoir des sanctions sévères. Or, rien n'est dit à ce propos. Le fait d'exiger la mise sur le marché de change de 25% du montant rapatrié ne semble pas suffisant pour prévenir ces situations et l'impact sur l'épargne ou sur l'investissement n'est pas lisible. Il s'agit de céder 25% sans précision de l'usage. Une telle cession peut se traduire, si les rapatriements sont importants par une création de monnaie excessive qui peut attiser les tensions inflationnistes. Enfin, il nous semble que l'effet de ces rapatriements sur l'économie réelle, sur l'épargne stable et sur l'investissement n'est pas direct. Des mécanismes appropriés auraient pu être envisagés pour que les emplois de ces ressources soient directement liés à l'investissement et donc à l'emploi. Un pourcentage de ces ressources, placé en bourse, un autre en dépôt à terme ou en OPCVM peut être plus productif et dynamiser les marchés de capitaux.
F. N. H. : Au regard de la situation économique du pays (insuffisance des réserves de devises, déficit de la balance commerciale, fragilité des comptes extérieurs), quels sont les avantages et les inconvénients de tendre vers plus de convertibilité du dirham?
M. A. : Comme nous l'avons souligné plus haut, une monnaie est convertible si les agents économiques détenteurs de cette monnaie peuvent l'échanger en toute liberté et sans restrictions contre toute autre monnaie. L'inconvertibilité est liée à l'équilibre et à la rareté des devises. Ainsi, en économie, comme pour tous les produits rares, si les réserves de devises sont limitées, elles nécessitent un rationnement quantitatif. Le rationnement d'un produit se traduit par l'adaptation de l'offre à la demande mais par des mécanismes administratifs et non pas par le marché. Si on laisse le marché agir librement, le prix va augmenter rendant le bien en question inaccessible. Dans notre cas, les réserves de devises sont limitées, l'on ne peut pas laisser le marché jouer librement. On ne peut pas laisser les agents économiques disposer librement des devises qu'ils désirent. Ces réserves sont consacrées d'abord aux paiements à caractère prioritaire. C'est dans ce sens qu'il existe une limitation des dotations de voyages. Certes, la convertibilité assure aux agents économiques une plus grande liberté au niveau des paiements à l'international mais encore faut-il avoir les moyens pour l'assurer. Pour ce qui est des inconvénients, une plus grande libéralisation dans ce sens présente des risques, l'expérience de différents pays suggère que le processus de libéralisation doit être graduel pour éviter des crises financières comme celles du Mexique en 1994, des pays d'Asie du Sud –Est en 1997, de la Russie en 1998, du Brésil en 1999 et de l'Argentine en 2001. De nos jours, il est admis que la libéralisation implique l'existence d'un système bancaire et financier solide. Les effets déstabilisants peuvent être le résultat de la spéculation et donc l'entrée massive de capitaux volatils dans le pays et/ou leurs sorties massives se traduisant par l'effondrement du système de paiement du pays concerné. Pour éviter les effets des crises financières comme celle du Mexique (crise appelée : Tequila), les autorités monétaires doivent être vigilantes et prévoir des mesures d'accompagnement. Ainsi, de nombreux pays comme le Chili et la Colombie ont mis en place des mesures de fortes restrictions à l'entrée de capitaux en imposant la constitution de réserves obligatoires sur les dépôts en dollars dans les banques. Ces mesures, accompagnées de politiques économiques rigoureuses, ont protégé efficacement ces pays. Pour contrer les effets de la spéculation, les autorités monétaires peuvent également contrôler les sorties de capitaux comme cela a été pratiqué par la Malaisie en 1998-1999. Au Maroc, une des mesures de prudence est le fait de suggérer aux personnes concernées le dépôt en banque de 75% des fonds rapatriés. Mais puisque le dépôt est en compte en devises, cela présente un risque potentiel de sortie de capitaux et d'instabilité de ces fonds. Notons enfin que les statuts du FMI (Article 8) qui définissent les obligations des pays membres, n'imposent pas de libéralisation totale mais demandent aux Etats membres d'éliminer les barrières aux paiements des transactions courantes seulement. Les pays en voie de développement ne sont donc pas tenus de libéraliser totalement les opérations financières liées à leur balance des capitaux.


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