Julien Nebenzahl, président de Day By Day, nous livre ses premières impressions sur la qualité du marché boursier marocain. Il revient également sur les trois points qui lui paraissent essentiels pour rendre la Bourse plus liquide. Finances News Hebdo : Qu'est-ce qui a motivé votre décision de vous implanter au Maroc et dans la région MENA? Julien Nebenzahl : A nos yeux, Il n'y a pas encore, actuellement, de site boursier de référence au Maroc. Se positionner au moment où les choses se développent nous permettra d'asseoir notre position sur le long terme. Il y a aussi, le manque de concurrence très forte dans la région MENA, ce qui n'est pas le cas par exemple aux Etats-Unis où il est possible de se lancer, mais avec de faibles perspectives de croissance. L'absence de concurrence est pour nous un point très important dans cette décision stratégique. Sans oublier que la région MENA est en pleine croissance, ce qui accroît notre appétit. Par ailleurs, avoir une activité de production d'analyses et de conseils dans la région MENA nous coûtera moins cher qu'en Europe. Il ne s'agit pas d'une délocalisation, mais dans notre développement, nous pensons augmenter petit à petit le nombre d'analystes basés dans cette région plutôt qu'en Europe. Enfin, je tiens à signaler qu'il existe actuellement des capitaux importants en circulation dans les pays du Golfe. Je ne vois pas pourquoi ces capitaux qui s'investissent énormément en Europe ne se retrouveraient pas également dans la région MENA. La conjonction de l'ensemble de ces éléments et la culture que nous avons croisée dans notre prospection nous a convaincus que notre présence dans cette zone est justifiée. Elle sera toutefois raisonnée. F.N.H. : Qu'est-ce que vous allez proposer à vos clients marocains ? J. N : Pour l'instant, nous n'avons pas d'offre pour les investisseurs privés. Elle sera lancée après l'été 2014. Nous travaillerons d'abord sur le segment des professionnels, avec une offre sur les matières premières. Nous allons capitaliser notre expérience en Europe pour offrir à nos clients locaux un produit complet et rodé. Nous avons d'ailleurs commencé à offrir ces services il y a quelques années déjà au Maroc. Par ailleurs, nous avons une logique d'abonnement où on essaye de renouveler tous les jours nos anticipations sur les actifs que nous suivons. En plus d'une offre de conseils sur la gestion des portefeuilles de nos clients. En gros, c'est une assistance à la gestion. F.N.H. : Pouvez-vous dresser un panorama de vos anticipations pour 2014 ? J. N : L'année 2014 sera une année volatile sur les marchés européens et américains. Cette volatilité ne se propagera pas sur la région MENA qui continuera d'évoluer à son propre rythme. Elle sera en opposition par rapport à 2013 où les marchés développés étaient peu volatiles, avec des tendances haussières régulières. De manière schématique, nous pensons que les marchés baisseront au premier semestre avant de se redresser au second. Mais au total, les marchés ont peu de potentiel haussier car la tendance entamée en 2009 est terminée. L'essentiel de la hausse a été fait. F.N.H. : Et sur la région MENA ? J. N : La région est peu corrélée aux marchés développés. Evidemment, si les USA perdent 5% en une nuit, il sera très logique de voir les marchés de la zone MENA temporiser à l'ouverture le lendemain, mais sans pour autant suivre clairement la tendance américaine. Pour répondre à votre question, je crois qu'il n'y a toujours pas de signaux de retournement sur des marchés comme celui du Maroc. Une tendance haussière à long terme au Maroc n'est pas encore validée. Par contre, les pays du Golfe n'ont pas encore atteint leurs cibles de hausse. Le potentiel y est donc beaucoup plus important. Ceci étant, il arrive que des signaux intéressants à court terme apparaissent, comme celui d'il y a un mois et demi au Maroc, et qui a permis de faire de belles choses aux opportunistes. Ainsi, des moments tactiques apparaîtront en cours d'année, mais pour l'instant on n'a pas de raison de penser qu'entre l'ouverture de l'année et sa clôture il y aura une hausse. La BVC est encore un marché réservé aux investisseurs prudents, patients et opportunistes avec des horizons de placement ne dépassant pas deux à trois mois. F.N.H. : Faut-il adapter l'analyse technique sur des marchés comme le Maroc ? J. N : La seule problématique que nous rencontrons relève de la liquidité qui est un ingrédient de base pour l'analyse technique. Il faut que dans un endroit de négociation, plusieurs types d'investisseurs, de profils et de tailles différentes produisent les échanges. Or, sur certaines actions marocaines, on n'a pas ce type de diversité. Les cours ne reflètent donc pas la vraie perception des investisseurs. L'analyse technique perd alors de sa pertinence. F.N.H. : A votre avis, comment redynamiser le marché? J. N : Ce n'est pas notre domaine de compétence, puisque nous sommes des analystes. Nous ne sommes pas conseillers des Bourses. Mais pour moi, il faut que les institutionnels prennent le problème de liquidité à bras le corps. Car, ce n'est pas le problème de la Bourse dont le rôle est de mettre les instruments en place. Or, aujourd'hui, on n'a pas l'impression que les institutionnels marocains sont présents. Certains interviennent deux fois par an pour des questions précises et ne se donnent pas comme mission d'amener des liquidités. Un jour cela peut se retourner contre eux, lorsque la Bourse ne reflétera plus les vraies valeurs des entreprises. Je pense que les institutionnels doivent prendre conscience de leur utilité dans la liquidité, à travers une meilleure gestion actif/passif. Il faut faire tourner son portefeuille. Deuxièmement, il faut mettre en place un contrat Future sur l'indice. A chaque fois qu'un pays en a lancé un, un engouement important a été enregistré sur son marché boursier. Car, des fois, certains investisseurs veulent prendre position en fonction de ce qu'ils pensent de leur économie. Un Future sur indice le permet. Or, aujourd'hui au Maroc, un investisseur ne peut pas parier sur son économie. Il doit faire une sélection minutieuse, ce qui est décourageant. Enfin, je crois que le troisième point est politique. C'est le rapport qu'a l'économie marocaine avec l'investisseur étranger. Par exemple, même si les banques marocaines lancent des produits dérivés, il sera difficile pour des banques étrangères de les répliquer à cause du régime de change. Cela limite l'intérêt pour la Bourse marocaine. Il faut faire en sorte que l'accès à la Bourse de Casablanca soit simple pour les investisseurs étrangers. F.N.H. : Est-ce que la mise en place de ce type de produits est difficile ? J. N : Nous avons assisté à l'émission de produits nouveaux sur les Bourses européennes et cela ne m'a pas semblé difficile. Il faut uniquement tâter l'appétit des investisseurs, puis se lancer. En France, une seule banque avait proposé son produit au départ, le reste a suivi naturellement et cela s'est automatiquement traduit sur la liquidité des marchés sous-jacents. F.N.H. : Enfin, pouvez-vous éclairer nos lecteurs sur vos méthodes d'analyses ? J. N : Pour rappel, dans l'analyse technique il y a le chartisme traditionnel qui consiste à étudier les graphiques et également les indicateurs techniques, développés depuis les années 70 et qui permettent d'affiner les conclusions. Ensuite, suivent des branches beaucoup plus complexes comme les vagues d'Eliott ou les théories des cycles. Enfin, intervient l'analyse inter-marchés avec toutes les méthodes de sentiments. Nous délivrerons à nos clients des analyses techniques classiques et rudimentaires, car nous ne voulons pas donner un message compliqué. Le résultat de nos analyses est un graphique avec une flèche indiquant où le marché se dirige. Par contre, en interne, nous analysons avec toutes les méthodes connues, à commencer par les figures chartistes, les moyennes mobiles et les indicateurs de tendances. Aussi, nous avons un stratégiste dédié qui va faire des analyses inter-marchés transversales pour prévenir nos analystes des risques qu'il détecte. A eux de reconsidérer leurs conclusions pour tenir compte des recommandations de notre stratégiste. Ce travail permet également de faire des analyses par secteur.