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Entretien avec Jawad Kerdoudi, consultant économiste et Président de l’IMRI : «Les produits étrangers grignotent notre marché intérieur»
Publié dans Finances news le 20 - 09 - 2007

* Les exportations marocaines ont peu augmenté (+27% entre 2002 et 2006) et notre pays a perdu plusieurs positions sur le marché international.
* A cinq ans de l’échéance de 2012, l’heure est à l’évaluation. Le futur gouvernement doit faire le point exact de la situation actuelle en lançant de nouveaux programmes pour les cinq ans à venir.
Finances News Hebdo : Depuis plusieurs années des réformes de remise à niveau ont été enclenchées, est-ce que d’après-vous elles ont pu améliorer la compétitivité du Maroc ?
Jawad Kerdoudi : Il faut tout d’abord souligner que la compétitivité d’un pays repose à la fois sur celle de l’Etat et de ses entreprises industrielles et commerciales. Il est vrai que depuis le lancement du Programme d’Ajustement Structurel en septembre 1983, le Maroc a réalisé de grandes réformes en vue d’améliorer la compétitivité de son économie. Ces réformes ont concerné l’aspect fiscal avec l’institution de la TVA en 1986, de l’IS en 1988 et de l’IGR en 1990. Le secteur bancaire a également été transformé par la déréglementation bancaire en 1993. La Bourse des valeurs fut également profondément réformée. Des mesures de libéralisation importantes du commerce extérieur furent prises, telles que la réduction des restrictions quantitatives et l’allègement de la protection tarifaire. La politique des changes fut également modifiée avec en 1988, la libéralisation des opérations courantes, et en 1993 le libre accès des entreprises marocaines au marché international. Une autre réforme importante a été la libéralisation des prix de la majorité des biens et services et la suppression du contrôle des prix. A partir de 1993 a été lancée une vaste campagne de privatisation des entreprises publiques qui s’est soldée en 2006 par 102 opérations de privatisation. Sur le plan sectoriel, l’intervention de l’Etat a été progressivement réduite dans l’économie et les monopoles ont été supprimés pour l’agriculture (OCE et ONTS). Enfin, l’ouverture de l’économie marocaine vers l’extérieur s’est caractérisée par l’adhésion de notre pays au GATT en 1987 et à l’OMC en 1995, et par la signature à partir de 1996 d’un grand nombre d’accords de libre-échange avec l’Union européenne, les Etats-Unis d’Amérique, la Turquie et certains pays Arabes (Accord d’Agadir).
Sur le plan des entreprises, et en vue de l’échéance de 2012 où les produits industriels de l’Union européenne entreront au Maroc en exonération de droits de douane, le gouvernement en accord avec les associations professionnelles a lancé un vaste programme de mise à niveau tendant à l’amélioration de la compétitivité. Les mesures prises ont pour but de renforcer l’équipement technique des entreprises, d’améliorer la gestion et la formation, d’encourager l’innovation.
Toutes ces actions à la fois macro et micro économiques ont largement contribué à améliorer la compétitivité du Maroc.
F.N.H. : Est-ce que l’on peut prétendre qu’une compétitivité sur le plan macro- économique entraîne automatiquemen une compétitivité sur le plan microéconomique ?
J. K. : Il est certain que la compétitivité sur le plan macroéconomique améliore la compétitivité sur le plan microéconomique. Prenons un exemple simple : si l’Etat améliore sa compétitivité et réduit ses dépenses, il peut diminuer les impôts, ce qui améliore la compétitivité des entreprises qui paieront moins d’IS et d’IR.
Mais si la compétitivité macroéconomique est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Il faut aussi que les entreprises améliorent leur compétitivité. Dans le cadre de la mondialisation, seules les entreprises offrant des produits et des services dans le meilleur rapport qualité-prix peuvent accéder au marché international. Je citerai deux exemples : l’Allemagne et la Chine. L’Allemagne qui est une puissance moyenne, et qui subit un Euro très fort par rapport au Dollar, se place comme premier exportateur mondial. Le succès de l’Allemagne s’explique par une large tradition industrielle de qualité, une technologie de production de pointe, un marketing efficace qui permettent à ses entreprises (surtout PME) de conquérir le marché mondial. L’Allemagne mise avant tout sur la qualité de ses produits. La Chine a une autre approche qui est le prix. Grâce à des prix très compétitifs, la Chine a pu inonder de ses produits à la fois les pays développés et les pays en voie de développement, notamment l’Afrique.
Aussi, pour qu’un pays soit compétitif, il faut une compétitivité à la fois sur le plan macro et microéconomique.
F.N.H. : Les économistes estiment que le Maroc a pu améliorer sa compétitivité. Si vous partagez leur avis est-ce que cette amélioration est due à des facteurs exogènes ( réduction du poids de la dette extérieure, environnement extérieur favorable…) ou à des facteurs endogènes spécifiques au Maroc ?
J. K. : Comme déjà dit, le Maroc a certainement amélioré sa compétitivité depuis le lancement du Programme d’Ajustement Structurel en septembre 1983, par les mesures que j’ai déjà décrites. Mais sa compétitivité reste faible : pour preuve le déficit de notre commerce extérieur et le grignotage de notre marché intérieur par les produits étrangers. La mesure de compétitivité d’un pays est l’importance de ses exportations sur le marché mondial. Or, les exportations marocaines ont peu augmenté (+27% entre 2002 et 2006) et notre pays a perdu plusieurs positions sur le marché international. Par contre, les importations ont beaucoup augmenté (+56% entre 2002 et 2006), ramenant le taux de couverture à 53,9% en 2006. C’est ainsi qu’en 2005, le Maroc a importé plus de produits de consommation (37 milliards de DH), alors qu’il n’a exporté que 30 milliards de DH. Il est facile de le constater en parcourant les rayons de nos supermarchés où les produits étrangers représentent une part de plus en plus grande.
Les raisons de cette situation s’expliquent par l’insuffisance de compétitivité aussi bien de l’Etat marocain que des entreprises marocaines.
F.N.H. : Quels sont, d’après-vous, les critères où le Maroc accuse du retard en matière de compétitivité ?
J. K. : L’Etat marocain doit améliorer sa compétitivité par une réforme de l’Administration qui doit être plus efficace et moins onéreuse. Il y a lieu de réformer l’organisation administrative par une véritable décentralisation et une réelle déconcentration. Il faut aussi tenter de modifier la mentalité des fonctionnaires qui doivent comprendre qu’ils sont au service des entreprises et des citoyens. Un effort tout particulier doit être fait pour le Département de la Justice, dont le rôle est très important pour la protection des biens et des personnes. La compétitivité d’un pays ne peut s’améliorer que par l’éradication de l’analphabétisme et un enseignement performant, permettant de pourvoir les entreprises en cadres compétents et qualifiés. Tout cela doit s’accompagner d’une rationalisation des dépenses, en vue de diminuer le coût de l’Etat pour la communauté nationale. Il y a lieu également de procéder à une profonde réforme fiscale pour augmenter l’assiette de l’impôt.
Les entreprises doivent également améliorer leur compétitivité. Les programmes de mise à niveau lancés par le gouvernement n’ont pas donné satisfaction. A cinq ans de l’échéance de 2012, il y a lieu de faire une évaluation précise de la situation des entreprises, surtout les PME. Cette évaluation peut prendre la forme d’un véritable recensement (à l’instar de celui de la population), où des enquêteurs qualifiés visiteront les entreprises pour recueillir tous les renseignements sur leur situation actuelle (équipements, nombre de cadres, effectifs du personnel), et exprimer leurs besoins. Le temps presse et le futur gouvernement doit donner toute la priorité à la mise à niveau des entreprises, en faisant le point exact de la situation actuelle et en lançant de nouveaux programmes pour les cinq ans à venir.


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