L'obsession d'un équilibrage à tout prix des indicateurs macroéconomiques a relégué à un second degré le souci de relance de la croissance. L'absence de vision claire et d'un plan de relance de l'activité économique constitue un handicap important pour la reprise. Même le projet de Loi de Finances 2013 présente des mesures contradictoires, ce qui limiterait l'effet attendu en terme de croissance. Selon l'analyse d'Otmane Gair, économiste et président du Centre d'études et de recherches en gouvernance et politiques publiques, tenter de diminuer le déficit budgétaire à tout prix risque de provoquer des effets néfastes touchant la production et la consommation. - Finances News Hebdo : Selon une certaine analyse, la croissance économique nationale tire plutôt bien son épingle du jeu malgré quelques contre-performances sectorielles. Partagez-vous cet optimisme ? - Otmane Gair : Je ne partage pas cet optimisme, car si les secteurs du BTP, de l'électricité, de l'activité industrielle, des télécommunications et de la pêche ont enregistré des taux de croissance positifs durant le premier semestre, il faut tout de même signaler que des secteurs clés de l'économie nationale comme le tourisme, les activités minières, ainsi que le textile et cuir accusent des baisses relativement importantes. La morosité de la croissance s'est traduite également par des contre-performances dans le marché de l'emploi ; ainsi, durant le troisième trimestre, le Maroc a perdu plus de 39.000 emplois par rapport à la même période de l'année 2011, ce qui a entraîné une augmentation du taux de chômage de 9,4% contre 9,1% seulement à la même période de l'année 2011. Ceci dit, la problématique de la relance de la croissance dépend de deux facteurs déterminants : d'une part, la conjoncture internationale reste difficile dans sa globalité, ce qui se répercute directement sur le tissu économique national. D'autre part, au niveau national, l'absence de vision claire et de plan de relance de l'activité économique constituent un handicap important pour la reprise. - F. N. H. : Le creusement du déficit de liquidité au Maroc ne risque-t-il pas de produire un credit crunch ? Et ce, d'autant plus que des entreprises se voient carrément refuser des crédits ? - O. G. : Le risque d'un credit crunch est très présent si la situation d'incertitude persiste dans le milieu des affaires. Le problème est en premier lieu celui de la confiance, et le gouvernement est appelé à émettre des signaux positifs dans ce sens pour atténuer cette crise de confiance qui ne fait que créer les conditions favorables à une crise de crédit. - F. N. H. : Vu le contexte mondial marqué par l'envolée des cours des matières premières, et malgré les assurances des autorités publiques quant à la maîtrise de l'inflation, ne risque-t-on pas une inflation importée ? - O. G. : Il y a de fortes chances pour que le Maroc puisse devenir relativement inflationniste. La flambée des prix des matières premières au niveau mondial peut en effet provoquer une inflation importée à travers les canaux du pétrole, du gaz et des céréales dont les prix restent relativement élevés, et risquent de poursuivre leurs tendances haussières. Il faut signaler en revanche que le Maroc a déployé d'énormes efforts durant les dernières années pour assurer une meilleur maîtrise des niveaux de prix ; un objectif atteint parfois au détriment de la croissance. La réforme de la Caisse de compensation doit, dans ce sens, tenir compte du risque inflationniste de la libéralisation totale des prix, qui pèse lourdement sur l'économie nationale. - F. N. H. : Selon certains analystes, si les réformes de la finance internationale sont insuffisantes pour gérer les risques systémiques, il y aurait de fortes chances que l'économie mondiale entre dans une nouvelle récession majeure. Comment notre pays peut-il s'en prémunir ? - O. G. : Il faut dire que jusqu'à présent on n'a pas pu encore trouver les bonnes réponses à la crise de 2008 et ses effets systémiques. La réforme de la finance mondiale dépend essentiellement du Nouvel Ordre Economique Mondial qui devrait émerger. Cela dit, la communauté internationale n'a pas déployé de sérieux efforts pour y aboutir. Nous ne sommes donc pas immunisés contre le risque d'une nouvelle crise, tant que les facteurs de l'actuelle crise persistent. Sur le plan national, le Maroc reste relativement à la traîne par rapport à l'industrie financière mondiale, ce qui renforce sa position de pays relativement «protégé» contre les effets directs de toute éventuelle crise. Cependant, la fragilité de l'état des finances publiques, et notre dépendance vis-à-vis du partenaire européen font que le pays reste exposé aux effets indirects. - F. N. H. : Le Projet de Loi de Finances 2013 table sur un taux de croissance de 4,5% et un déficit budgétaire de 4,8% du PIB, et ce sur la base d'un prix du baril de pétrole de 105 $ ? Ces prévisions vous semblent-elles réalistes ? - O. G. : Je pense que dans un contexte de crise comme celui auquel nous assistons, de telles hypothèses sont nettement optimistes et fragiles en même temps. Dans ce sens, il reste difficile de fixer un objectif de croissance de l'ordre de 4,5%, au moment où on n'est pas sûr d'atteindre les 3% en 2012, sachant que nos principaux partenaires économiques n'espèrent réaliser que des taux qui tournent autour de 0,5 ou 1 % en 2013. Quant au déficit budgétaire, je pense que les mesures proposées pour le maîtriser aux alentours des 9% en 2012, restent insuffisantes et incapables d'assurer la soutenabilité des équilibres des finances publiques. En effet, le gouvernement, en essayant de diminuer le déficit budgétaire, risque de provoquer des effets néfastes touchant la production et la consommation. - F. N. H. : Le ralentissement économique étant là, voire la crise économique que traverse le Maroc, ce projet contient-il de réelles mesures pouvant relancer notre économie ? - O. G. : Je pense que le présent projet souffre d'une grave incohérence doctrinale. Pour la première fois au Maroc depuis 1998, le projet de Loi de Finances présente des mesures contradictoires, ce qui limiterait nécessairement l'effet attendu en terme de croissance. Dans ce sens, à part les quelques mesures fiscales qui concernent paradoxalement une partie de la classe moyenne et les entreprises qui réalisent un bénéfice net supérieur à 20 millions de dirhams, le souci de la relance de la croissance a été pratiquement ignoré au profit de l'obsession d'un équilibrage à tout prix des indicateurs macroéconomiques. Propos recueillis par I. Bouhrara