Si en 2011 le Maroc a su prémunir relativement son économie de l'environnement international, pour 2012 l'ensemble des indicateurs économiques sont dans le rouge. L'octroi au Maroc par le FMI d'une ligne de précaution et de liquidité (LPL) est révélateur du risque de crise de financements pour préserver l'équilibre de la balance des paiements. Le Maroc a besoin actuellement d'un nouveau modèle de croissance devant favoriser la création d'emplois et de richesses, l'inclusion sociale et l'émergence d'une véritable classe moyenne. L'analyse de Otmane Gair, économiste et président du Centre d'études et de recherches en gouvernance et politiques publiques. - Finances News Hebdo : Premièrement, quelle analyse faites-vous de la situation économique actuelle du pays ? - Otmane Gair : Depuis 2011 le Maroc traverse une zone de turbulences économiques assez grave, sous l'effet double de la crise qui secoue l'Europe, notre principal partenaire, et les conséquences du printemps arabe. Ce contexte a fait que l'économie marocaine a souffert, d'une part d'une conjoncture internationale peu porteuse qui comprime relativement la demande étrangère adressée au pays avec un ralentissement des transferts des MRE et, d'autre part de l'augmentation des risques d'incertitude et d'instabilité liés aux troubles que connaît la région MENA. Cela dit, le Maroc a bien réussi à protéger relativement son économie face aux changements qui ont eu lieu dans le monde et dans la région arabe, en réalisant un taux de croissance avoisinant les 5% en 2011, ce qui représentait une exception par rapport aux performances des pays voisins. Pour ce qui est de l'exercice 2012, la réalité est tout à fait différente dans la mesure où l'ensemble des indicateurs économiques sont dans le rouge. Le déficit des échanges extérieurs s'est fortement accéléré entre mai 2011 et mai 2012. Les importations sont le principal poste qui continue à creuser tous les déficits des balances ayant atteint à fin juin plus de 100 milliards de DH. Le solde de réserves en devises a chuté pour sa part de 14% à fin avril 2012 par rapport à avril 2011. En plus de ce constat pessimiste, les estimations de la croissance du PIB en 2012 tournent autour de 2% à 3% maximum, un niveau nettement insuffisant pour absorber le chômage qui est en augmentation et relancer la consommation des ménages. En plus de cela il faut aussi tenir compte du déficit budgétaire pouvant atteindre cette année les 9%, aggravé par le renchérissement des prix du pétrole au niveau mondial et le retard qu'accuse la réforme de la Caisse de compensation. La Banque centrale prévoit dans le même sens une chute de 33% des dépenses d'investissement public en 2012. - F. N. H. : Il y a un peu plus d'une décennie le pays s'était lancé dans une dynamique de grands projets d'infrastructures, des programmes sectoriels, l'émergence des métiers mondiaux du Maroc (MMM). Au jour d'aujourd'hui, ces efforts ont-il permis de réaliser de nouveaux relais de croissance ? - O. G : Depuis plus d'une décennie, le Maroc a entamé une série de réformes et de chantiers de grande envergure, ayant permis au Royaume de se doter d'infrastructures de base, et d'un arsenal législatif important visant le renforcement de l'Etat de droit, à travers la refonte de l'ensemble du dispositif juridique régissant l'activité économique, la libéralisation de plusieurs secteurs d'activité et l'amélioration du climat des affaires, notamment dans son aspect relatif à la promotion de la concurrence. La conclusion d'accords de libre-échange et le développement de stratégies sectorielles, ont doté le pays d'une vision claire pour la promotion de la croissance économique. Cela a fait que la croissance est devenue moins volatile que par le passé, et plus résistante à la morosité de la conjoncture internationale, en améliorant sa résilience aux chocs exogènes et endogènes. La diversification des leviers de croissance à travers les stratégies sectorielles a réduit la part de l'agriculture dans le PIB ; la tertiairisation de l'économie et la stabilisation de la part du secteur secondaire dans la valeur ajoutée, ont atténué la dépendance de l'économie nationale vis-à-vis des conditions climatiques peu favorables. Cependant, ces efforts peinent à donner des résultats satisfaisants au niveau du commerce extérieur en raison de la prédominance de l'Union européenne comme principal marché, et la forte concentration de l'offre exportable sur un nombre limité de produits à faible valeur ajoutée. Il y a nécessité donc de dynamiser les relais de croissance tirés par la demande extérieure, notamment celle des pays émergents et en développement les plus dynamiques, notamment africains. - F. N. H. : Le déficit de la balance de paiement a atteint des proportions alarmantes. Le Maroc serait-il en train de vivre le même scénario qu'a connu l'Europe il y a deux ans ? - O. G : La composition et l'ampleur de nos importations révèlent la fragilité de notre commerce extérieur, et par voie de conséquence expliquent le déficit chronique qu'accuse la balance des paiements. Cette dernière est dominée par les produits énergétiques à hauteur de 26%, les biens d'équipements représentent 20% et les demi-produits 20%. À fin mai 2012, trois composants ont aggravé les perspectives de déficit de la balance des paiements ; il s'agit des transferts des Marocains résidant à l'étranger qui ne progressent que de 2% à fin mai 2012 par rapport à mai 2011.Les recettes voyages ont diminué de 1,5% durant cette même période et les investissements étrangers sont en régression de 12%. La dégradation des termes et volumes d'échanges ont entraîné une chute libre des réserves en devises de 14% à fin avril 2012 par rapport à avril 2011. Cela renvoie par ailleurs à l'incapacité des exportations à couvrir l'essentiel des importations ; ainsi lorsque la valeur à l'export progresse de 16,3%, les importations, elles, augmentent de 20,1%, ce qui montre à quel point le mode de consommation national accentue la vulnérabilité commerciale du Royaume. L'octroi au Maroc par le FMI d'une ligne de précaution et de liquidité (LPL) est la meilleure illustration du risque de crise de financements des besoins potentiels de la balance des paiements, qui pèse lourdement sur l'économie nationale. - F. N. H. : Quelles sont les pistes à développer, selon vous, pour relancer la croissance ? - O. G : Le Maroc a besoin actuellement d'un nouveau modèle de croissance qui pourrait favoriser la création d'emplois et de richesses, l'inclusion sociale et l'émergence d'une véritable classe moyenne. Cela passe essentiellement à travers l'abandon de la spécialisation passive axée sur la compétitivité-coût, et l'adoption d'une diversification productive, axée sur l'innovation et la création de plus de valeur ajoutée. La relance de la croissance nécessite la diversification des marchés étrangers, tout en développant le marché intérieur en tant que base arrière pour amortir les chocs exogènes. La dépendance du Maroc envers l'Europe en termes d'export est une limite majeure à l'expansion de l'offre marocaine, et par voie de conséquence à sa croissance. L'amélioration du potentiel de croissance impose le développement du capital humain, et la qualité de la gouvernance institutionnelle comme deux déterminants clés de la compétitivité. Dans ce contexte de mondialisation il faudrait concrétiser le potentiel d'intégration économique régionale, notamment avec l'Union européenne et l'Afrique voisine, pour assurer une insertion réussie dans le commerce mondial afin de tirer profit des multiples opportunités offertes. - F. N. H. : A la menace d'une crise latente s'ajoute un climat politique assez singulier. Dans quelle mesure l'association de ces deux éléments pourrait-elle impacter les IDE ? - O. G : Le contexte régional et l'incertitude qui plane sur l'action gouvernementale pèsent lourdement sur l'attractivité des IDE. Ainsi, les deux principaux partenaires commerciaux du Royaume, la France et l'Espagne, ont revu à la baisse leurs projets d'investissement au Maroc. Il appartient donc au gouvernement de renouer avec le capital confiance pour rassurer les investisseurs étrangers ; ces derniers raisonnent en région, et donc ils auraient tendance à reporter leurs projets ou carrément à retirer leurs capitaux des pays qui connaissent une instabilité politique. Dossier réalisé par S. E. & I. B.