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Entretien : «Notre politique industrielle a-t-elle une âme ?»
Publié dans Finances news le 20 - 05 - 2010

* Une année après le lancement du plan Emergence, l’industrie marocaine se trouve dans une situation mitigée, entre succès et déception.
* Si l’industrie pharmaceutique s’en sort, le textile, quant à lui, s’éteint doucement dans le silence.
* Le secteur des services ne peut pas absorber toute la main-d’œuvre qui se retrouve au chômage à cause des fermetures d’usines.
* Si on ne trouve pas du travail à cette catégorie de population, c’est à une véritable crise sociale et politique qu’on risque d’être confronté.
* Notre proximité avec l’Europe est un atout révolu face à la montée en puissance d’autres pays, asiatiques notamment, et eu égard à la baisse de nos échanges avec l’Europe.
* Mohamed Berrada, professeur à l’université Hassan II et président du Centre de recherches économiques, juridiques et sociales LINKS, apporte un regard analytique sur la situation industrielle et sur son évolution dans un contexte plus qu’incertain.
- Finances News Hebdo : En avril dernier se sont tenues les premières Assises de l’industrie qui marquent une année du plan Emergence. Serait-ce le point de départ d’un nouveau processus d’industrialisation de notre pays ?
- Mohamed Berrada : Si vous voulez parler du secteur industriel dans son ensemble, je ne pense pas que la mise en œuvre de ce plan puisse suffire pour assurer sa croissance de manière significative. Concernant les 4 métiers mondiaux qu’il cible, il faut attendre. Comme toute stratégie, il a ses qualités, mais aussi ses faiblesses.
- F. N. H. : Quels seraient les avantages comparatifs sur lesquels table le Maroc?
- M. B. : Il y a plusieurs facteurs qu’on cite en général, comme la stabilité politique, la stabilité du cadre macroéconomique, les infrastructures, le bas coût de la main-d’œuvre, etc….Mais le facteur déterminant, selon les concepteurs du plan, est notre proximité avec l’Europe !
- F. N. H. : Cet atout purement géographique est-il suffisant ?
- M. B. : Bien sûr que non ! Mais tout porte à croire que ce plan est conçu dans le cadre du développement de nos relations avec l’Europe. L’essentiel des partenaires étrangers qui s’impliquent dans la stratégie émergence viennent d’Europe, et particulièrement de la France et de l’Espagne. Sur ce point, il n y a pas de révolution. C’est vrai que le renforcement des échanges de proximité permet de compenser l’agressivité de pays éloignés bien plus compétitifs. La régionalisation est une arme contre les effets négatifs de la mondialisation. Malheureusement, les choses n’évoluent pas dans le sens de cette logique, et les espoirs que nous avons fondés, avec le processus de Barcelone, pour construire un grand espace euro-méditerranéen d’échange et d’investissement, facteur de paix et de sécurité pour notre région, s’évanouit peu à peu.
- F. N. H. : Cela revient-il à dire que l’Europe risque de ne plus être notre partenaire essentiel ?
- M. B. : Elle restera un partenaire important, mais nous devons regarder la réalité en face ! L’Europe est ouverte aux échanges mondiaux, elle est envahie par les produits asiatiques et en particulier chinois, à des prix qui défient toute concurrence. Chaque jour la Chine améliore la qualité de sa production, et grâce à un yuan faible, impose sa production au monde, et provoque de ce fait un processus de désindustrialisation rapide dans les pays du Nord. Si l’Europe se désindustrialise, ce redéploiement industriel ne se fait pas à notre profit, pays de proximité, mais au profit de l’Asie. Vous voyez donc que notre marché traditionnel est désormais attaqué, et que la part de nos échanges avec l’Europe ne cesse de diminuer. Les progrès réalisés dans le domaine de la logistique font que le facteur proximité est devenu un atout révolu !
- F. N. H. : On a signé des accords d’association avec l’Union européenne… Est-elle est appelée à jouer un rôle de locomotive pour notre économie !
- M. B. : Cette locomotive à laquelle nous sommes arrimés, pour l’instant, ne roule pas vite… La croissance économique européenne, en raison des coûts d’intégration des nouveaux membres dans l’Union, de l’insuffisance de coordination des politiques économiques, du vieillissement de la population, de la faiblesse de l’innovation et de la recherche dans sa stratégie économique, reste molle si on la compare à celle des autres pays comme les Etats-Unis, le Brésil ou la Chine. Avoir une monnaie unique, c’est bien, mais à condition d’avoir une politique budgétaire unique. L’Europe est appelée à faire des réformes structurelles courageuses qui demandent du temps. Elle est appelée à affronter de multiples perturbations en raison des distorsions existantes au niveau des politiques nationales. Tout cela explique la crise de confiance que les marchés financiers ressentent à l’égard de l’Euro et de l’économie européenne.
- F. N. H. : La situation ne va-t-elle pas s’arranger avec la baisse de l’Euro, qui pourrait relancer la croissance européenne ?
- M. B. : Une dévaluation compétitive n’est pas la solution miracle pour la croissance sur le long terme…, la baisse de l’Euro a un caractère essentiellement spéculatif. Les marchés sont devenus imprévisibles et pleins de contradiction. Ils sanctionnent ceux qui ne mettent pas rapidement en œuvre des plans de relance consistants, pour leur reprocher ensuite les dérapages budgétaires et l’endettement qui en découlent ! Les marchés financiers fonctionnent souvent en dehors de l’économie réelle. Mais ce sont les faces visibles de l’iceberg. En fait, les analystes et les agences de notation doutent, pour différentes raisons, de la capacité de l’Europe à rester dans le peloton de tête de la croissance économique mondiale. Et c’est avec l’Europe qu’on est arrimé et que l’on construit notre devenir industriel.
- F. N. H. : La nouvelle crise financière que connaît actuellement l’Europe est-elle révélatrice de sa faiblesse?
- M. B. : Il n y a pas de nouvelle crise financière en Europe ! Ce qui se passe aujourd’hui sur le plan financier n’est que la suite logique des dysfonctionnements induits par la crise financière de 2008, devenue économique et désormais sociale. On découvre soudain qu’on vivait au-dessus de ses moyens… On accordait des crédits sans limite, qui alimentaient la croissance, les prix des actifs et les profits, jusqu’au jour où on ne peut plus rembourser. L’exubérance des marchés financiers est un comportement caractéristique des valeurs dominantes à notre époque. En Europe, le chômage continuera de s’aggraver. Les rebonds de croissance constatés proviennent essentiellement des cycles de stockage et déstockage des produits. Les déficits publics considérables qui découlent de la forte augmentation des dépenses publiques des plans de relance, et aujourd’hui des plans de soutien à la Grèce, et demain au Portugal et à l’Espagne, nécessitent des politiques de rigueur du genre de celles que nous avons nous mêmes connues dans le passé, accompagnées probablement du relèvement des taux d’imposition. Tout cela risque de peser sur la consommation des ménages et donc sur la croissance. Or, c’est la croissance qui génère les recettes fiscales, susceptibles de réduire le déficit public. Vous voyez, l’Europe n’est pas encore sortie de l’auberge.
- F. N. H. : Cette crise n’aura-t-elle pas une incidence sur notre économie ?
- M. B. : Je me rappelle certaines déclarations qui disaient que nous n’étions pas concernés par la crise économique internationale. C’est vrai que si la globalisation renforce les interdépendances économiques, certains orages peuvent épisodiquement ne pas traverser des frontières. Nous avons ainsi bénéficié en 2009 d’une bonne récolte agricole et de la baisse des prix du pétrole, ramenant les charges de la compensation à des niveaux acceptables, démontrant en même temps notre dépendance aux facteurs exogènes. Les indicateurs macroéconomiques sont indemnes. Mais en dehors du bâtiment, le secteur industriel a subi une baisse d’activité significative. Par le biais de la balance des paiements, nous subirons les effets du ralentissement économique, et de la baisse de la consommation des ménages européens qui en découle ! Et c’est notre principal partenaire ! Et ce, depuis le milieu de 2009. Je pense que la situation continuera de se détériorer au cours de cette année. On ne vit pas en vase clos. On parle d’ouverture, mais on n’aime pas penser à ses conséquences…Certains secteurs comme le tourisme, l’artisanat, l’industrie manufacturière, l’électronique, la mécanique, le plastique…et même le bâtiment dit de luxe affronteront des turbulences. Mais comme dans toute crise, certaines entreprises pourraient en tirer profit aussi pour rebondir...
- F. N. H. : Si notre partenaire est mis à mal, que devons-nous faire de notre côté ? Doit-on attendre tranquillement qu’il nous transmette ses difficultés ?
- M. B. : Notre partenaire a besoin, comme nous, de voisins forts et en bonne santé. Nous devons regarder autour de nous, bien sûr, mais aussi de plus en plus loin. La capacité de résistance d’une économie réside dans sa diversité : diversité dans les activités, et diversité dans le choix des partenaires. Et pas n’importe lesquels : ceux qui enregistrent des performances exceptionnelles, les nouvelles locomotives. Le monde change rapidement et nous devons nous adapter aux exigences de la mondialisation, qui font que les échanges et les investissements sont devenus planétaires.
- F. N. H. : Ne pensez-vous pas que cette diversité internationale a déjà été mise en œuvre puisque le Maroc a signé plusieurs accords commerciaux en dehors de l’Europe ?
- M. B. : C’est vrai, mais ces accords ont un caractère essentiellement commercial et ont surtout profité à nos partenaires qui nous ont inondés de leurs produits. Ils n’ont pas donné lieu à beaucoup d’investissements, en particulier dans le domaine industriel. Nous avons ouvert en grand notre marché, sans nous assurer de la capacité de nos entreprises à affronter nos concurrents étrangers. Tout cela s’exprime à travers la détérioration continue de notre balance commerciale, qui reste le principal indicateur de notre compétitivité. Notre politique économique semble privilégier la consommation à la production… On se glorifie d’un niveau d’inflation bas, mais on ne dit pas qu’il provient en partie de la flambée des importations.
- F. N. H. : Mais le plan Emergence a pour but précisément de relancer les exportations industrielles…
- M. B. : Hormis les phosphates, nos performances industrielles à l’export ne sont pas géniales. Le plan Emergence découle d’une vision stratégique pour notre industrie. Et dans toute stratégie, il y a des objectifs à définir et des moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. La définition des objectifs doit se faire sur la base des réalités économiques et sociales existantes, les conditions de départ. Or, il semble que la plupart des entreprises industrielles marocaines ne sont pas concernées par ce plan. Celles-ci sont, au mieux, légèrement assistées quand les enjeux socio-médiatiques sont importants…
- F. N. H. : Vous avez des exemples ?
- M. B. : Vous savez, il suffit de circuler sur nos marchés pour vous rendre compte du degré d’invasion des produits chinois. Tous les secteurs industriels, d’une manière générale, souffrent. Si vous regardez comment s’équipe aujourd’hui un immeuble, avec son carrelage, sa robinetterie, ses tuyaux, son sanitaire, ses appareils électriques, vous comprendrez l’intensité de cette invasion. Ce sont autant d’activités en moins pour nos entreprises qui devraient s’appuyer sur leur marché local, avant d’exporter. Prenons le textile par exemple : il est aujourd’hui plus rentable, pour un opérateur marocain, d’importer que de continuer à produire. La politique d’intégration de la filière en amont qui était en vogue il y a quelques années n’est plus de ce monde. Beaucoup d’usines de filature, tissage et confection, ont fermé, laissant sur le carreau des milliers de personnes sans emploi. Les rares tâches qui sont octroyées par les donneurs d’ordre européens sont de permettre à de petites mains de travailler à façon et pour une misère, des miniséries pour des livraisons rapides de modèles, pensés en Occident et qui, si le test est positif, seront produites en quantités industrielles sous d’autres cieux plus cléments. Il va de soi que les donneurs d’ordre fournissent le fil, le tissu, voire la matière grise nécessaire à l’ouvrage et exigent de nos textiliens des prix qui ne permettent, bien évidement pas, de couvrir leurs charges. Faible valeur ajoutée…
- F. N. H. : Comment font-ils pour survivre alors dans une telle situation ?
- M. B. : Les derniers survivants, quand ils ne subventionnent pas l’activité, tentent de compenser un positionnement et une compétitivité structurellement défaillante, par des procédés enfreignant la législation du travail et/ou le code des douanes sans aucune visibilité. Aux importations chinoises à des prix qui ne couvrent pas la matière première, s’ajoutent la pratique de la sous-facturation et la vente sur le marché de manière illicite des produits importés en admission temporaire. On assiste ainsi calmement à la mise à mort d’un secteur qui emploie plus de deux cent mille personnes.
- F. N. H. : Vous parlez du secteur textile, mais il y a d’autres industries qui sont visées par le plan Emergence et qui sont appelées à faire partie des 4 métiers mondiaux d’avenir du Maroc : l’automobile par exemple…
- M. B. : C’est vrai, il ya des projets intéressants réalisés dans l’aéronautique, l’électronique, les centres d’appel…. Au niveau de l’automobile, notre pays a déroulé le tapis rouge à un grand groupe français dans l’espoir de créer une dynamique permettant à d’autres constructeurs de lui emboîter le pas. Je souhaite que ce projet puisse générer du travail et de la valeur ajoutée pour les activités existantes au Maroc, et qu’on ne se trouve pas devant le même modèle que celui développé par le secteur de la confection. Ceci dit, si le Maroc a signé des accords de libre-échange avec de nombreux pays, cela veut dire que nous pouvons produire au Maroc pour exporter en Espagne, par exemple, mais cela veut aussi dire qu’on peut produire en Hongrie pour importer au Maroc sans barrières tarifaires. Si l’industriel doit choisir, sur quels critères se baserait-il ? S’il est évident que les facteurs classiques comme les coûts d’installation, de production et logistique ainsi que celui les ressources couplées à la disponibilité et à la qualité des fournisseurs de produits et services sont des critères industriels-clés, il n’est pas moins évident que d’autres facteurs, notamment macro-économiques, seront étudiés à la loupe. En effet, un constructeur n’installera pas une nouvelle capacité de production, loin de ses bases, qui ne produise pas au minimum 50.000 véhicules. Or, le marché marocain ne consomme en tout et pour tout qu’une centaine de milliers de véhicules, avec une capacité installée de 60.000 unités et des capacités planifiées de 500.000 unités à l’horizon 2014…. Capacités qui sont entre les mains d’un producteur unique. Si on ajoute à cela que le potentiel de notre marché ne dépassera pas, dans les 10 ans à venir, les 250.000 unités, la conclusion est évidente : conditions industrielles précaires + marché faible et d’ores et déjà saturé = « No Go ».
- F. N. H. : À la lumière de tout ce qui a été dit, quelle est votre propre appréciation du plan Emergence ?
- M. B. : Bien sûr, le plan Emergence apporte une vision, un éclairage sur les activités du futur à développer dans notre pays, en liaison avec les mutations de l’économie mondiale. Dans sa spécificité sectorielle, il est original et cohérent. Mais son péché originel est qu’il est construit en faisant table rase de l’existant. On déploie des efforts considérables pour des activités technologiques qui vont employer quelques milliers de personnes, mais pas grand-chose pour les activités existantes employant des centaines de milliers de personnes, souvent analphabètes et qui souffrent sur leur propre marché. Je pense qu’activités technologiques nouvelles et activités industrielles traditionnelles ne sont pas contradictoires, bien au contraire, il y a complémentarité.
- F. N. H. : Est- ce que cette situation risque de conduire à une crise financière dans notre pays ?
- M. B. : Encore une fois, dans une économie, tout est lié ! Si le chômage urbain augmente, il entraînerait des pertes de revenu, une baisse de la consommation aussi bien des produits importés que de ceux fabriqués localement, et donc une baisse de la croissance économique nationale. Les banques pourraient souffrir des accidents de paiement et de remboursement des crédits accordés, en particulier pour l’accession à la propriété, sachant que la branche du bâtiment a enregistré des performances record. A ce niveau, en raison du niveau atteint par les crédits immobiliers, et du niveau anormalement élevé des prix atteint par ces actifs, les banques font preuve légitimement de prudence.
Parallèlement, les banques enregistrent un recul des investissements industriels privés…
- F. N. H. : Historiquement, quel a été le processus d’industrialisation suivi par les grandes puissances ?
- M. B. : Les grandes puissances industrielles, qu’elles soient historiques ou plus récentes, le sont devenues parce que :
1. les conditions initiales de naissance de cette industrie existaient;
2. l’espace d’expansion naturel était disponible;
3. des avantages compétitifs permettaient de nouvelles conquêtes.
En effet, il n’y aurait pas d’industrie automobile européenne ou américaine si la sidérurgie et la mécanique ne s’étaient pas développées pour accompagner les équipements, notamment ferroviaires, navals et militaires de ces pays. Le développement d’une industrie automobile japonaise, coréenne ou encore chinoise, a répondu d’abord à un besoin d’équipement des populations locales face à une offre non adaptée. Idem pour le textile avec un artisanat initial lié au coton, à la soie ou à la laine associé aux différents besoins évolutifs des consommateurs. Les mêmes extrapolations peuvent être adoptées pour toute autre industrie, qu’elle soit agro-alimentaire, chimique, pharmaceutique, métallurgique, minière, verte ou encore biotechnologique, cinématographique ou associée aux télécoms.
- F. N. H. : Certains pays ont construit leur développement sur la base d’une industrie exportatrice, sans lien avec les secteurs traditionnels existants… Cela ne peut-il pas réussir au Maroc ?
- M. B. : Je doute de l’impact de cette stratégie sur le développement économique national. Aucune industrie ne peut réussir sur le long terme si elle n’est pas intégrée dans le tissu économique et social du pays. L’industrie répond à des besoins de l’être humain et n’est pas un but en soi. Au Maroc, nous tentons de créer une industrie ex-nihilo pour ses impacts supposés sur l’emploi et la balance des paiements au lieu de répondre aux attentes et aux besoins de nos 30 millions de consommateurs qui serviront de base arrière pour conquérir un autre bassin de consommation au moins équivalent. Le Marocain a des besoins précis et spécifiques au niveau de sa nourriture, de son habillement, de son transport, de ses loisirs, de l’éducation de ses enfants, de sa santé et de ses équipements. Toute stratégie industrielle doit s’intégrer aux réalités du pays, dans ses traditions, avec ses forces et ses faiblesses.
- F. N. H. : Vous voulez dire qu’une industrie doit reposer d’abord sur son marché intérieur pour être compétitive sur le marché international… Connaissez-vous une industrie marocaine performante à l’export et qui repose sur son marché intérieur ?
- M. B. : L’industrie pharmaceutique par exemple. Nous avons su attirer les plus grands groupes mondiaux comme Pfizer, Novartis ou autres Glaxo et Cooper grâce à l’existence d’un marché, à la confiance octroyée aux industriels marocains et à une régulation intelligente de l’accès au marché local, tout en offrant au consommateur marocain une palette de produits aussi large que diversifiée. Cette industrie est aujourd’hui extrêmement compétitive et innovante et ses atouts lui permettent d’ores et déjà de conquérir de nouveaux territoires. La démonstration peut être adaptée à l’industrie financière, agroalimentaire ou encore à celle de la construction et travaux publics.
- F. N. H. : Alors, que faut-il faire pour emboîter le pas à des industries nationales qui sortent brillamment leur épingle du jeu ?
- M. B. : Je ne crois pas aux solutions miracles, et je n’ai nulle prétention d’en avoir. Ce que je peux énoncer pour l’instant, ce sont quelques principes. D’abord, toute stratégie industrielle ne peut être élaborée sans l’implication totale des acteurs concernés. Elle doit étudier les besoins intérieurs des résidents et leur évolution dans le temps selon des schémas volontaristes de développement, établir une cartographie de l’existant industriel et déterminer son adéquation avec les besoins actuels et futurs de notre marché. A partir de là, il faut détecter les métiers régionaux de notre pays, métiers qui s’appuient essentiellement sur la demande interne et sur des potentialités et des atouts existants pour envisager la conquête extraterritoriale souhaitée. Quoi de plus naturel que de donner la priorité à la production nationale ? Quoi de plus naturel que d’amener les promoteurs d’investissements touristiques qui bénéficient d’avantages fiscaux à s’équiper en priorité de produits fabriqués par des entreprises marocaines ? Quoi de plus naturel que d’engager la politique industrielle dans une vision globale intersectorielle, pour que toute mesure prise pour une activité donnée puisse agir sur les autres activités ? Quoi de plus naturel que d’inciter les partenaires étrangers adjudicataires de marchés publics à compenser une partie significative de leurs livraisons par des achats locaux, dans le cadre d’une réglementation offset ?
- F. N. H. : Mais vous voulez un retour au protectionnisme, pour favoriser un renouveau industriel ?
- M. B. : Non, je parle de patriotisme et non de protectionnisme ! Le protectionnisme, lorsqu’il est mis en œuvre de manière incohérente, peu transparente et injuste, est source de déclin. Le patriotisme est pour moi un devoir moral. Je ne souhaite pas que mon pays entame un processus
de désindustrialisation à l’instar des pays du Nord. Nous n’en avons pas les moyens. Le secteur des services ne pourra pas absorber tout le flux de main-d’œuvre souvent analphabète qui viendrait des secteurs primaires et secondaires. Si on ne trouve pas du travail à cette catégorie de population, c’est à une véritable crise sociale et politique qu’on sera confronté. On doit, dans nos stratégies, prendre en considération nos faiblesses, particulièrement dans le domaine social et éducatif, et entrepreneurial.
- F. N. H. : Est-ce que l’entrepreneur marocain a une responsabilité dans les difficultés traversées par notre industrie ?
- M. B. : Bien sûr, il a une responsabilité majeure ! L’entrepreneur marocain n’est que le reflet des structures et des comportements de notre société. L’esprit du commerçant spéculant sur le court terme domine l’esprit de l’industriel qui doit raisonner principalement sur le long terme. Beaucoup d’industriels sont redevenus, au cours de ces dernières années, des commerçants. Ils ont été incapables de procéder à la restructuration et à la modernisation de leurs entreprises pour relever le défi de la concurrence internationale, au moment où le système de protection existant les mettait dans une situation de rente. Ils ont préféré orienter leurs capitaux vers l’immobilier où les profits sont plus rapides et plus importants. La conception d’une stratégie industrielle doit prendre en considération le dynamisme et la circulation des élites d’entrepreneurs. Je pense que nous sommes devant une crise de génération. Mais le dynamisme de nos entrepreneurs est lié aussi aux forces et faiblesses de leur environnement, et en particulier à la situation des secteurs de l’éducation et de la Justice. Si nous voulons développer, par exemple, des niches basées sur des produits ou services de qualité et non pas low-cost produits partout, nous avons besoin de personnel qualifié. C’est là aussi où réside notre faiblesse. Ainsi, tout est lié ! Nos erreurs dans la perception du monde viennent du fait qu’on envisage les choses de manière sectorielle. Or, permettez-moi de le répéter, l’efficacité de toute vision réside dans sa capacité d’analyser les liens et d’intégrer des phénomènes de plus en plus complexes, dans une vision globale. La politique industrielle n’est qu’une partie d’un ensemble qu’est la Nation. Et rien n’est plus complexe qu’une Nation. Conçue dans sa globalité, elle a une âme. «Rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme».Notre émergence industrielle, à l’instar de toute entreprise humaine, qu’elle soit individuelle ou collective, est conditionnée par trois facteurs essentiels que sir Winston Churchill nous a livrés il y a plus de 70 ans, à savoir : «l’intérêt, l’émotion et les sentiments». Alors, il y a des moments où je me pose cette question : politique industrielle de mon pays, avez-vous donc une âme ?


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