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Système de santé marocain : le diagnostic poignant du Pr Heikel
Publié dans EcoActu le 23 - 11 - 2021


Ecrit par Lamiae Boumahrou |
Parmi les secteurs vitaux qui requièrent une réforme urgente, profonde et surtout efficace celui de la Santé. Et pour cause, le secteur marocain de la santé souffre de plusieurs dysfonctionnements et insuffisances qui l'empêchent de répondre aux besoins les plus basiques de la population. Une population dont une grande majorité est privée d'un droit constitutionnel et élémentaire celui de l'accès aux soins.
Lors du 14ème Colloque international des Finances publiques, le Pr Jaâfar Heikel, épidémiologiste et économiste de la santé, a mis l'accent sur les défaillances du système de santé marocain ainsi que sur son financement.
Il a tout d'abord rappelé que le principal acteur de la dépense du système de santé marocain reste le citoyen et non pas l'Etat. Ce qui explique d'ailleurs le faible accès aux soins ainsi qu'à la consommation des médicaments. Sans parler de la qualité des soins notamment dans le secteur public qui laisse tant à désirer.
Un constat alarmant qui a fait l'objet de directives royales en 2018 et 2019 où SM le Roi a demandé au gouvernement de « refondre » le système de santé à la lumière de sa performance et en particulier du manque de résultats de la couverture sanitaire universelle (CSU).
En août 2020, SM réitérait ses instructions pour que la mise en œuvre de la CSU soit un chantier prioritaire avant d'appeler le gouvernement en octobre 2021 de généraliser la protection sociale à tous les Marocains.
Des défis majeures à relever
Il faut dire que le gouvernement d'Akhannouch a du pain sur la planche pour relever les défis de la couverture sanitaire universelle et de la généralisation de la protection sociale. Pour donner une idée sur les enjeux à relever, le Maroc a été classé par les Nations unies à la 110ème place en matière de performance des systèmes de santé et à la 111ème place en matière d'équité.
Aussi le groupe de recherche (GBD 2015, Lancet 2016) sur la performance des systèmes de santé a montré que le Maroc présentait des caractéristiques de financement et de niveau de santé peu optimaux et faibles avec un classement à la 109ème place mondiale.
« Il y a un travail extrêmement important à faire à ce niveau à commencer par comprendre les raisons à l'origine de ce classement », a souligné Pr. Heikel.
En effet, la performance de notre système de santé est très en deçà des attentes. A titre d'exemple, le nombre d'actes chirurgicaux par chirurgien dans les hôpitaux publics est en moyenne de 165 avec une disparité régionale extrêmement importante. « C'est l'équivalent d'1 acte chirurgical tous les 3 jours », a précisé Pr Heikel. Autre indicateur et pas des moindres, le nombre de consultations médicales/médecin/an est de 760 en moyenne alors que les pays de l'OCDE sont à 3.000 consultations/médecin/an.
« Le financement est un outil certes. Mais avant de parler de financement, il faut d'abord analyser la productivité de notre système de santé », a fait savoir Pr. Heikel.
On constate également une grande disparité entre les dépenses des bénéficiaires de l'AMO entre le secteur public et privé qui sont respectivement 577 et 886 DH par an (chiffres ANAM 2018).
Même constat pour l'évolution des dépenses remboursées qui, en 2013 et 2018 ont enregistré une croissance de 110% pour le secteur privé contre seulement 44% pour le public.
Ecarts criants de financement entre public et privé
Pr Heikel a également mis le doigt sur plusieurs écarts constatés en matière du financement du système de santé. Parmi les écarts relevés ceux du coût moyen des pathologies. « On constate que pour le coût moyen de certaines pathologies importantes et prioritaires pour notre pays, on dépense plus dans le secteur public que privé », a-t-il souligné. Des écarts non négligeables avec des restes à charge à payer par le citoyen entre 31 et 37%.
« Plus intéressant encore, j'ai calculé les ratios du coût des principales pathologies entre le public et le privé, et il ressort que sur les 41 pathologies (ALD et ALC), 25 ont un ratio public/privé supérieur à 1 », a-t-il affirmé en rappelant que lorsque le ratio est supérieur à 1 cela signifie que ça coûte plus cher dans le public que dans le privé. Pour donner un ordre de grandeur, les dépenses du diabète dans le public sont 37% plus élevées que dans le privé.
A cela s'ajoute le reste à charge des bénéficiaires de l'AMO qui pèse sur le budget des ménages et qui est de 31,8% dans le public et de 37,5% dans le privé soit une moyenne de 34,5%. Autre indicateur du système de santé marocain qui inquiète de plus en plus est celui du différentiel cotisation/dépense. « Ce différentiel nous expose à un réel déficit qui plane sur le système de santé durant les prochaines années », a alerté Pr Heikel.
L'excédent d'exploitation annuel cumulé est de l'ordre de 36,1 Mds de DH à fin 2018 pour les régimes AMO de base dont 80,5% reviennent au privé et 19,5% au public.
Dépenses directes des ménages
Concernant les dépenses directes des ménages, il ressort des derniers données sur les dépenses de la santé au Maroc (2018), qu'elles s'élèvent à 45,6% hors la contribution à l'assurance maladie a tenu à préciser Pr. Heikel. Ce qui veut dire que la contribution des ménages est de presque 60% avec une moyenne de 14,1% de contribution à l'assurance maladie. En d'autres termes, sur 100 DH dépensés en santé presque 60 DH sont payés directement par l'assuré AMO. « La priorité est de réduire la contribution des ménages aux dépenses de santé », a appelé Pr Heikel.
Une revendication légitime eu égard aux recommandations de l'OMS qui préconise une contribution supportée par les ménages entre 10 à 25% maximum. Avec environ 60% de la contribution, le Maroc est bien loin des recommandations de l'OMS.
Notons qu'il y a eu une légère amélioration de cette contribution entre 2006 et 2018 où le Maroc est passé de 64,8% à 59,7%. Même chose pour les dépenses par habitant qui ont connu une augmentation de 10% par an entre 1997 et 2018 passant respectivement de 550 DH à 1.730DH. Malheureusement cela reste encore très insuffisant par rapport à un accès aux soins de qualité et généralisé à toute la population.
Financement système de santé
Autre particularité de notre système de santé, le principal contribuable du financement de l'AMO est le citoyen avec une contribution de 43% des ménages contre 33,2% pour les entreprises et seulement 12,1% pour l'Etat (source CNSS 2018).
Pis encore, il ressort de l'analyse des dépenses qu'elles financent, avant tout, le secteur privé. « Comment une couverture sanitaire universelle appelée à augmenter l'accès au maximum des citoyens particulièrement les plus vulnérables, finance essentiellement les dépenses dans le secteur privé », s'est interrogé Pr Heikel.
Une aberration à l'analyse des chiffres qui font ressortir une dépense de seulement 6,9% dans l'hôpital public. Aussi, plus de 80% des dépenses de l'AMO vont vers le secteur privé. Ce qui est contraire aux objectifs fixés par l'AMO à savoir réconcilier le citoyen avec son système de santé public et ainsi contribuer à son financement.
« Il est important de renforcer le rôle de l'Etat et de l'hôpital public qui doit rester le socle majeur du système de santé avec le secteur privé qui doit être complémentaire et pas le contraire », a affirmé Pr Heikel.
Les prérequis de la refonte
Cela dit, l'économiste en santé précise qu'il y a des prérequis pour refondre le système de santé et son refinancement. Parmi ces prérequis prioritaires redéfinir le rôle et l'organigramme du ministère de la santé et de la protection sociale avec clarté et opérer une véritable régionalisation du SS avec parcours de santé.
Deuxièmement, fixer le budget de la santé à 8% minimum du budget de l'état (7% du PIB minimum) avec réallocation de la majorité des ressources aux régions sanitaires autonomes.
Troisièmement, revoir les termes des lois en vigueur relatives à la santé : contrats, mobilité et performance des médecins dans les deux secteurs.
Quatrième prérequis et pas des moindres, opérer une comptabilité analytique des actes de santé et réviser en conséquence la Tarification nationale de référence (TNR). Et enfin, mettre en place un système d'information sanitaire intégré global.


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