Le retard qu'accuse la réforme fiscale accule l'Etat, en déficit chronique d'« autosuffisance fiscale », à chercher des moyens de financement de ses chantiers, généralement, auprès des mêmes. Si la situation persiste, elle remet en cause la pérennité de la généralisation de la couverture sociale dont le financement est estimé à 14,5 Mds de DH par an. Le système fiscal actuel consacre un traitement de faveur au profit du capital au détriment du travail. La situation est exacerbée par la disposition contenue dans le projet de Loi de Finances 2021 réinstaurant une contribution sociale de solidarité sur les bénéfices nets et les revenus. Une disposition devant contribuer à financer la généralisation progressive de la couverture sociale sur cinq ans. Cette contribution est de 1,5% sur les revenus nets d'impôt supérieur à 120.000 DH, soit 10.000 DH nets par mois pour les personnes physiques et de 2,5% pour toutes les entreprises réalisant au moins 5 millions de DH de bénéfice net, à l'exception des entreprises installées dans les zones d'accélération industrielle, celles ayant le statut CFC et celles bénéficiant d'une exonération permanente de l'IS. A noter que les députés de la majorité ont proposé en commission des Finances un amendement pour un système progressif de la contribution sociale. Les députés proposent ainsi un taux de 1% pour les entreprises qui réalisent un bénéfice net entre 1 et 5 MDH, de 2% pour celles réalisant des bénéfices nets entre 5 et 20 MDH, de 3% pour les entreprises réalisant un bénéfice net entre 20 et 40 MDH et de 4% pour les entreprises avec des bénéfices supérieurs à 40 MDH par an. Pour les personnes physiques, celles réalisant entre 240.000 et 420.000 DH de revenus nets annuels seront imposées à 1% et de 2% pour les revenus excédant les 420.000 DH par an. Voilà donc de quoi intensifier la pression fiscale sur les mêmes catégories de contribuables et renforcer l'instabilité du système fiscal chamboulé à l'occasion de chaque Loi de Finances. Foncièrement injuste surtout dans la conjoncture actuelle, cette contribution sociale dont on ignore si elle sera reconduite pour les prochaines années, n'est qu'une petite bricole de 5 Mds de DH pour compléter le financement de la généralisation de la couverture sociale à tous les Marocains, estimé par le ministre des Finances à 14,5 Mds de DH. Le reste devant être financé par le budget général de l'Etat. Face à l'absence d'une réelle réforme fiscale pour combler le fossé entre recettes fiscales et dépenses de l'Etat, plane le risque de voir cette contribution sociale de solidarité prorogée sans pour autant que cela ne garantisse la pérennité de ce chantier de taille qu'est la généralisation de la couverture sociale entre 2021 et 2026 pour y inclure 22 millions de bénéficiaires supplémentaires. Lire également : [ENTRETIEN] COUVERTURE SOCIALE, MICRO-ASSURANCE, RESILIENCE, SOLVABILITE... HASSAN BOUBRIK DIT TOUT Les moyens de financement sont un point parmi d'autres sur lesquels l'exécutif devra plancher rapidement avant d'entamer le déploiement de la généralisation de la couverture sociale. Des choix systémiques au préalable Récapitulons : la généralisation de la couverture sociale au profit de tous les Marocains devra se déployer progressivement sur cinq ans à partir de janvier 2021. Ce déploiement qui conclura 22 millions de bénéficiaires supplémentaires se fera en deux phases telles que décrites dans le discours royal : la généralisation de l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO) et des allocations familiales (2021-2022) et ensuite les autres couvertures sociales que sont la retraite et l'indemnité pour perte d'emploi (IPE). C'est dire l'immensité de la tâche en un laps de temps très réduit. « La protection sociale doit intégrer 22 millions de Marocains, ce qui signifie que depuis l'indépendance à ce jour, seuls près de 40% de la population dispose d'un régime de protection sociale... », s'interroge Najib Akesbi, économiste et universitaire. La durée de cinq ans pour mener au bout ce chantier titanesque s'érige d'emblée comme un périlleux défi pour l'exécutif appelé sur plusieurs fronts en raison de la pandémie et de la crise économique et sociale qui en découlent. Mais tant qu'à faire, autant y aller sur de bonnes bases en opérant les choix qui se dictent pour assurer les facteurs de réussite d'une telle généralisation. « On ne peut imaginer un système de protection social pérenne, viable, fiable et durable sans des moyens de financement qui le sont tout autant. Et non pas une contribution sociale qui en plus d'être injuste et contreproductive est ponctuelle. C'est pour dire qu'il faut au préalable résoudre certains problèmes et faire des choix, notamment quel système de retraite sera-t-il retenu dans le cadre de cette généralisation, comment évolueront les cotisations patronale et salariale et quid des personnes travaillant dans l'informel et des populations vulnérables ? Pour que le système marche, il faut d'abord faire des choix systémiques », souligne Najib Akesbi. Parmi ces choix, la réforme fiscale figure également en bonne place pour assurer des moyens de financement pérennes pour ce système de protection social espéré et en devenir. Lire également : [ENTRETIEN] NAJIB AKESBI DEMONTE PIÈCE PAR PIÈCE LES CHOIX DE JOUAHRI ET DE BENCHAÂBOUN Dans ce sillage, Najib Akesbi rappelle d'emblée que le financement des systèmes de protection sociale est difficile et problématique dans le monde, mais partout, les systèmes qui tiennent la route sont ceux qui reposent largement sur la fiscalité. « C'est un argument de plus pour réformer la fiscalité. De par l'expérience historique d'autres pays, on a toujours couplé ces systèmes avec des réformes fiscales extrêmement hardies et axées sur des règles très simples : une très forte progressivité de l'impôt sur le revenu, un impôt progressif sur le capital ou la fortune et un impôt progressif sur les successions... En Europe comme en Amérique de l'après-seconde guerre mondiale, on n'a pu mettre en place des systèmes de protection sociale qu'avec une réforme fiscale extrêmement redistributive qui a mis à contribution le capital plus que le travail, les hauts revenus plus que ceux de la classe moyenne ». En attendant que l'exécutif prenne son courage à deux mains pour au moins mettre en place les recommandations des Assises sur la fiscalité, ce sont les mêmes qui trinqueront. Lire également : PROTECTION SOCIALE : PERTE POUR LA CLASSE MOYENNE, PROFIT POUR LES POLITIQUES !