La Loi de Finances 2014, passée au crible par l'AMSE, laisserait entrevoir une insoutenabilité budgétaire à long terme en raison du faible taux de couverture des dépenses par les ressources de l'Etat (moins de 60%). A cela s'ajoute un décalage entre les promesses de réformes et les mesures concrètes. Bien avant son entrée en vigueur, la Loi de Finances 2014 cristallisait toutes les attentions, donnant ainsi lieu à des débats pour en déterminer la pertinence, au regard de la situation économique du pays. Après son adoption, elle continue de susciter l'intérêt des experts économiques, puisque l'Association marocaine des sciences économiques (AMSE) a organisé, récemment à Rabat, un séminaire intitulé «Lecture critique de la Loi de Finances 2014». La rencontre était animée par Najib Akesbi, économiste et professeur à l'IAV, qui n'y est pas allé de main morte pour dénoncer l'anachronisme prévalant dans ce document qui pourtant, exprime la politique économique, fiscale et sociale du pays pour une année. Une Loi de Finances qui se heurte à l'impasse stratégique ! Il est ressorti des échanges que les choix économiques majeurs du pays ont été opérés depuis les années 70 (plan quinquennal 73-77). Cette stratégie consistait à promouvoir une croissance par les exportations et par le marché (renforcement du secteur privé). Près de 40 ans après, des ressources considérables ont été allouées pour atteindre cet objectif. Or, il se trouve pour les économistes que les résultats sont loin d'être satisfaisants. Le secteur privé peine à décoller et à s'émanciper de l'aide de l'Etat qui, par ailleurs, reste le premier investisseur du pays (30% du PIB). A cela s'ajoute un commerce extérieur peu dynamique, avec une balance commerciale déficitaire représentant 23% du PIB. «En voulant promouvoir le secteur privé, l'Etat a fait exploser les dépenses fiscales (34 Mds de DH en 2013) par l'exonération des secteurs fiscalement rentables (immobilier, agriculture, etc.), se privant ainsi d'immenses ressources», clame le professeur Akesbi. En poussant la réflexion, il est possible de déduire que l'Etat, par le biais du budget, se trouve aujourd'hui dans l'obligation de jouer son rôle (entité régalienne) et celui du secteur privé à travers les politiques sectorielles. Pour le cercle des économistes, cette stratégie n'est pas gagnante, car à la lecture de la LF 2014, il est clair que le pays n'a plus les moyens de cette politique, ni les politiques de ses moyens en raison de la pression sociale et des lobbies. Ce qui a conduit à une fuite en avant corroborée par l'endettement public qui grimpe. En 2014, le service de la dette représente près du quart des dépenses du budget (19%). Le plus inquiétant est que ce poste est incompressible puisqu'il y va de la crédibilité et de la solvabilité du pays. Cela dit, les tares de la LF se situent aussi dans les conditions de précipitation dans lesquelles elle a été échafaudée, selon les économistes. La lettre de cadrage aurait accusé plusieurs mois de retard. Le fait qu'elle soit élaborée par des technocrates et non par les politiques a été fustigé, car d'aucuns estiment qu'elle est avant tout un acte politique. Mais le plus déroutant serait que ce document ne traduit pas concrètement les promesses faites par le gouvernement en ce qui concerne la réforme de la caisse de compensation, celle des caisses de retraite ou la fin des rentes. L'autre critique émise lors des échanges est que le budget de 2014 traduit une anarchie notoire concernant la prévision économique au Maroc. Il passe sous silence les hypothèses liées au taux d'inflation pour l'année 2014 et celles de la production céréalière. Enfin, des réserves ont été émises quant au caractère citoyen du budget qui suppose une marque de transparence. A ce titre, Najib Akesbi estime qu'il y a une réelle volonté de complexifier les chiffres en ne livrant pas les données globales ou nettes dans certains documents officiels. Par exemple, il est difficile de connaître les emplois nets créés car le nombre de départs à la retraite est parfois occulté. L'épreuve des chiffres Il est clair que la LF est un excellent outil pour mesurer l'écart entre les incantations et la mise en œuvre effective de celles-ci. De ce point de vue, on peut déduire des débats qu'aucune réforme majeure annoncée par le gouvernement n'a été budgétisée. En se penchant sur le budget de 2014, on constate que les charges totales s'élèvent à 367 Mds de DH contre 335 Mds de DH de ressources globales, ce qui crée un déficit de 32 Mds de DH. Près de 65% des dépenses sont liées au fonctionnement. Le service de la dette et les investissements représentent respectivement 19% et 16% des dépenses. D'après les économistes, devant cette configuration plutôt rigide, l'investissement est la variable d'ajustement au Maroc. Quant aux ressources du budget général de l'Etat (BGE), elles s'élèvent à 264 Mds de DH. Ce qui interpelle à ce niveau est le pourcentage que représentent les recettes fiscales (69%) dans les ressources du BGE. Et pourtant, leur niveau devrait se situer à 85% d'après les experts. L'emprunt, pour sa part, représente près de 25% des ressources de l'Etat, ce qui pousse légitimement à s'interroger sur la rentabilité du système fiscal actuel. D'aucuns vont jusqu'à se demander si l'endettement n'est pas la seule issue du pays face au faible taux de couverture des dépenses par les recettes (moins de 60% actuellement). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les mesures dérogatoires relatives aux dépenses fiscales (4 % du PIB) continuent d'emprunter un trend haussier (402 en 2012 et 412 en 2013) sans que leur pertinence ne puisse véritablement être démontrée statistiquement. Le point d'orgue du séminaire est sans doute l'assertion de l'économiste Najib Akesbi : «La pompe aspirante et refoulante du budget 2014 fonctionne à rebours». Il découle de cette idée que la fiscalité actuelle brille par son iniquité. Les citoyens les plus modestes continuent de faire les frais d'une hausse de la TVA sur certains produits de première nécessité (hausse de 7 à 10% sur le sucre raffiné et de 0 à 10% sur la restauration). Certains intervenants restent persuadés que l'agriculture a été fiscalisée de manière trop partielle, ce qui perpétue le statu quo. Seules 260 exploitations agricoles, réalisant 35 MDH de chiffre d'affaires et plus, seront taxées en 2014 au taux de 17%. Tandis que dans le même temps, une petite entreprise est taxée à 30%. Cette distorsion pourrait remettre en selle le débat sur l'équité fiscale.