Alain Peyrefitte. Un talent et un livre monument. Un titre relique, qui brille de tous ses enseignements, vestiges, aujourd'hui très vibrants. Un corpus d'analyse conceptuel cisaillant, d'un anthropologue saisissant, muni d'une carrière diplomatique aiguisée, qui a vu dans la citation de Napoléon, une vision. « A travers une expérience et une réflexion, le livre s'efforce d'analyser le modèle chinois qui a « modelé » toute une société. Il démontre comme une horloge l'idée organisatrice d'une nation qui se définit dans son rapport au détail et à la collectivité. Un livre qui aide à comprendre le chemin qu'a parcouru « la plus vieille civilisation, à travers un présent effervescent, pour s'efforcer de devenir la société la plus neuve». Une longue et profonde démystification de « la Pensée de Mao Tse-tung, qui comme le scandaient ses disciples : « l'essentiel était de bien penser ». Bien penser est à la base de la révolution culturelle chinoise. Mais si l'Occident entend le terme de « culture » dans son expression de la vie intellectuelle, la Chine lui oppose ce concept à sa portée anthropologique, culture s'opposant à nature. Il s'agira donc pour les chinois, « de l'ensemble des comportements appris, des us et coutumes, des croyances transmises, des connaissances partagées, des legs des mentalités individuelles et collectives, façonnées au cours des processus de socialisation. La volonté de construire une nouvelle civilisation, composée d'hommes nouveaux, pétris dans une pâte nouvelle ». Cette particularité est importante pour commenter aujourd'hui la sombre et funeste actualité. Dans ce pays jadis à majorité agricole écrasante, l'histoire se tient de bout en bout, entre Mao Tse-tung et Deng Xiaopping. De bout en bout, entre sang et larmes, entre mystère et contrastes, entre ouverture et repli , entre peur et liberté, entre révolution culturelle et Bond en avant, entre le mal nécessaire d'une Chine moderne façonnée par Mao, et sa continuité dans une économie de marché socialisée rentrée dans la constitution par Deng. Une vue d'ailleurs. En littérature de voyage, Messire Marco Polo rapportait déjà, dans « le devisement du monde ou le livre des merveilles » la sagacité du témoignage de ses voyages, les extrêmes d'un Extrême Orient lus par un Latin passionné d'explorations, la somme et la puissance de quelques spectacles de vie : « 2 civilisations qui s'entremêlent, l'une extrêmement raffinée, et l'autre d'une brutalité sauvage, l'une sentant le jasmin, et l'autre le crottin », dirait Peyrefitte, restituant le tableau d'un Orient, proie déjà aux menaces de l'altérité. Les pièges de Thucydide ont depuis façonné et vallonné le construit historique des relations internationales. Ce à quoi nous assistons aujourd'hui en est une séquence. Ainsi soit-il. La Chine s'est hissée en puissance, indéniablement, tout à l'honneur de son peuple: Une puissante économie émergente, premier investisseur au monde, 1% seulement d'illettrés en 2018, une armée ultra modernisée, le plus fort nombre de chercheurs formés depuis 20 ans, une intelligence artificielle des plus présentes et des plus évoluées…et les listes d'apothicaires pour clamer sa gloire peuvent être bien facilement en chiffres se compter. Néanmoins, les limites de la civilisation chinoise sont à la limite de l'ambiguïté encore conservée dans ses contrastes, et les économies de marché ne sortent aujourd'hui de cette ambiguïté qu'à leurs dépens. Sauf que c'est toute l'humanité aujourd'hui qui paie le tort de telles soustractions . Comment se projeter de devenir économiquement, la première puissance mondiale dans les quelques années à venir, quand « civilisationnellement », nature et culture continuent à s'opposer et à s'entretenir? Comment peut-on cumuler intelligence disciplinée et modernité, quand les réservoirs humains et réservoirs animaliers continuent toujours à se croiser ? Comment feindre ignorer les conséquences d'une cette anomalie, quand elle a déjà été par le passé source de bien nombre d'avanies ? Et de l'autre côté, Comment espérer tirer le meilleur avantage coût/ produit en exploitant autres territoires, en occultant sciemment et consciemment le désavantage menace/ sécurité que cela amènerait sur ses propres territoires ? Comment peut-on « pactiser » économiquement avec des pays encore frauduleux sur certains principes doctrinaires moraux et généraux, en feignant oublier que cela même viendra leur causer des torts colossaux ? Comment ne pas voir dans l'appauvrissement de la valeur de la coopération éthique, la décadence de la valeur d'échange économique? La triste histoire aujourd'hui aurait pu être connue d'avance. Mais on a préféré repousser les échéances, en grossissant dans le sillage les conséquences de toutes les négligences. Ensuite, Comment des économies de libre marché peuvent-elles fonctionner, si la confiance placée en elles et qui est à la base du commerce, venait à être dupée? L'information étant un « bien public commun » ,comment faire confiance, à des états qui ne sont pas en transparence?. L'Occident doit bien admettre sa part de négligence. Qui peut dire à l'heure actuelle même si nous disposons d'un relevé fiable de la situation profonde d'un état profond. En quoi une puissance doit –être mondiale, si ce n'est pas pour servir l'humanité et sa sécurité, si elle fait le choix de l'économie au détriment de la vie ? La Chine est depuis 2004 une puissance de détection, d'expertise et de blocage, en temps réel, de toutes les suspicions virales sur son sol. Or, le signalement alerte de la présente anomalie n'a été intercepté que par inadvertance. Le système national d'alerte n'a pas fonctionné, l'information vers Pékin n'a pas été remontée. Pire, l'alerte mondiale mettra du temps a être déployée, au détriment de menaces sur les lanceurs d'alertes qui ont vu le danger arriver, et qui ont été vigoureusement muselés. La Chine informe Genève le 31 décembre 2019 qu'un virus respiratoire frappe la région du Hubei et sa capitale Wuhan. Son génome est déjà séquencé mais les experts chinois ne le partagent que le 12 janvier. En quoi cette puissance pourra-t-elle aujourd'hui sauver le monde du mal dans lequel elle l'a noyé? Ensuite, A quoi servent les mécanismes d'une gouvernance mondiale s'ils ne sont pas alignés dans une cohérence globale, avec l'ensemble des dispositifs juridiques internationaux ? A quoi servent les institutions, si elles n'aident pas les états, pour ne pas dire les contraindre, à se doter d'instruments de prise de décision en interne ? A quoi servent une OMS ou une OMC, si contradictoirement, en apportant de l'efficacité économique à court terme pour l'une, n'assurent pas l'efficacité sanitaire, à long terme, pour tous ? L'OMS a repoussé avec entêtement la date de déclaration de l'état d'urgence sanitaire mondiale, alors qu'elle aurait certainement pris un moindre risque à le déclarer plus tôt, quand bien même l'alerte n'aurait pas été validée, Alors même que le bureau de la santé de Wuhan suggérait , 8 jours en retard déjà -du 14 au 22 janvier- la possibilité qu'il s'agisse d'une pandémie se transmettant d'homme à homme, Et qu'alors où l'OMS tergiversait sur l'annonce à faire, elle assistait, blême et pâle, à l'enfermement de Whuan. Quelle autorité de justice mondiale finalement conférer à l'OMS, quand on sait que les états les plus riches se réfèrent à leur propre agence sanitaire, qui disposent de budgets plus importants que ceux de l'OMS ? Ensuite, Est la suite que nous connaissons tous aujourd'hui, et il reviendra aujourd'hui à toute l'humanité de coopérer pour définir la fin à composer. Car les plus forts consentent enfin à voir qu'ils ne peuvent, dans un monde enchevêtré, totalisé, mutualisé, continuer à vivre plus forts qu'en consentant à rendre les faibles un peu moins faibles. Car il ne sera désormais plus question de compétition si elle n'est d'abord un prélude à la coopération et à la cooptation, la dignité humaine devant faire foi et LOI. Accordant le bénéfice du doute, comment pouvait-on voir dans la main tendue de la Chine en masques, une rédemption de ses monumentales frasques ? Le monde se débat pour sortir de la crise sanitaire pour ne faire que rentrer dans la crise économique et sociale. Le plus dur reste encore à venir. Les instruments et mécanismes indépendants et globalisés de gestion et de gouvernance mondiale doivent davantage être créés, mieux exister, coordonner et se concerter, et se soustraire de la bureaucratie des administrés. Contre l'ennemi invisible du virus, nous sommes contraints de composer avec son allié visible mais intangible : LE TEMPS. La prochaine relève économique fera déjà d'abord sa scission entre ceux adeptes du green deal et ceux qui ne le sont pas. Indéniablement. La révolution est systématiquement environnementale. Aucune valeur marchande ne peut désormais être possible si elle n'est pas calculée d'abord à partir de sa valeur morale, la seule qui puisse remplir tous les vides ouverts en brèche aujourd'hui. Le Covid-19 a introduit un changement radical dans la pensée humaine tout en nous réservant encore une large marge de sa progression. A compter de ce moment, il commencera aussi et déjà à introduire des modifications dans la génétique. Des virus, il en sera désormais souvent question, et notre mémoire collective en réaction s'en souviendra comme d'un événement. Il est temps par cette occasion de commencer aussi à explorer les ravages que pourrait causer des virus dans l'espace. Un jour, d'autres espèces humaines y arriveront. A la vitesse des flux de circulation de tous les mouvements auxquels nous assistons aujourd'hui, d'autres assisteront à des drames aussi conséquents que les nouvelles puissances de développement technologique et d'intelligence artificielle. L'histoire nous apprend en tous cas, qu'on ne peut pas faire un Bond en avant tout en restant 2 pas en arrière. Ce qui vaut en économie, vaut bien aussi dans la vie. La Chine première puissance mondiale en 2030, ou Chine retour ou la case départ ? A nous de voir. En attendant, les souvenirs commencent à revenir, souvent, nous demandant si c'était peut-être mieux avant ? On fait quoi maintenant ? La Chine s'est réveillée, le monde a tremblé, Mais était-ce bien cela, ce qui se réservait à toute l'humanité? La Chine devra-t-elle un jour s'en excuser? Soraya KETTANI, Chercheur, Présidente de Fomagov, Consultante en Communication politique et publique