Une importante délégation marocaine, comprenant des membres du gouvernement, des chefs d'entreprises, des présidents de différentes banques ainsi que plusieurs personnalités a participé au Forum Maroc-Chine organisé à Pékin le vendredi 28 novembre. Dans le cadre de cette importante manifestation, pas moins d'une trentaine d'accords ont été signés, renforçant un partenariat stratégique en matière de finance, d'énergie, de tourisme, d'agriculture, d'industrie, de commerce, de formation et d'investissements. «La Chine, a déclaré Salaheddine Mézouar, illustre pour le Maroc une ouverture sur de nouveaux espaces» ! C'est peu dire qu'elle constitue désormais l'une des priorités de la diplomatie marocaine. La Chine et le Maroc développent une coopération bilatérale qui célèbre aujourd'hui 55 ans d'existence. Le Maroc avait été, en 1959, l'un des tout premiers avec la France du général de Gaulle à reconnaître officiellement la Chine populaire, à accréditer un ambassadeur chinois à Rabat et à désigner son homologue marocain à Pékin. Le Roi Hassan II avait compris d'autant plus les enjeux d'une diplomatie marocaine ouverte qu'il était l'avocat «pro domo» du neutralisme et du non-alignement, bien enraciné dans la doctrine du mouvement éponyme de l'époque et dont la Chine de Mao Tsé-toung était un membre actif. Les deux pays avaient instauré une coopération bilatérale exemplaire qui va au-delà de l'idéologie et des systèmes, la République populaire de Chine intervenant dans plusieurs secteurs d'activités, notamment dans la coopération technique. Quelles qu'aient pu être les différences idéologiques et les régimes politiques, Maroc et Chine ont tenu à les transcender, voire à les mettre à profit. Il s'est trouvé même plusieurs cas où les deux gouvernements ont adopté une même position aux Nations Unies, ou ailleurs pour ne pas souligner, en somme, leur complémentarité. Il est vrai, d'autre part, que beaucoup de points communs justifient cette complémentarité, ne serait-ce que leur statut de nations inscrites dans la durée et de civilisations enracinées dans le millénaire et dans le temps. Jusqu'en 1949, date de la proclamation de la République par Mao Tsé-toung après sa «longue marche», la Chine était un grand Royaume plus que millénaire, transformée en empire. Les bouleversements qui sont survenus dans les années soixante-dix en Chine, notamment la «campagne des cents fleurs» - de rectification selon le président Mao – n'avaient en aucun cas entamé la vision d'ouverture de la Chine. Au début de l'année 1964, le Premier ministre chinois de l'époque, Chou En Laï, entreprenait une tournée en Afrique, dont une étape significative était réservée au Maroc. Il fut reçu par le Roi Hassan II et conclut des accords de coopération technique qui avaient valeur de symbole. On peut rétrospectivement affirmer que la «politique africaine de la Chine», dépouillée de sa gangue idéologique, trouvait sa raison d'être dans une coopération réaliste avec un Maroc dont l'ancrage dans l'Occident libéral était plus que patent. Santé, éducation, formation, agriculture et pêche, constituaient l'essentiel des accords que le Premier ministre chinois avait signés avec la partie marocaine. C'est sur les sentiers d'une coopération dynamique, ne souffrant aucune ambiguïté, encore moins un contentieux que le Maroc et la Chine développent depuis lors leur «partenariat Sud-Sud», en marge d'une présence de plus en plus affirmée de la Chine en Afrique où, aujourd'hui encore, leurs intérêts se croisent, voire s'opposent... Pour sa part, Sa Majesté le Roi Mohammed VI s'inscrit dans cette dynamique de partenariat qu'il veut privilégié et diversifié. Le Maroc et la Chine sont désormais co-acteurs dans une modernité exigeante, et l'économie qui en est le pilier central, incline les deux pays à l'audace, l'innovation et le réalisme. L'idéologie est rangée aux vestiaires des mémoires. Puissant acteur sur la scène mondiale, deuxième ou troisième puissance mondiale au moins, la Chine est sur la voie d'être la première puissance du monde dans quelques années, illustrant en effet le fameux cri d'un Alain Peyrefitte : «Quand la Chine s'éveillera...le monde tremblera», livre prémonitoire au titre quelque peu provocateur, publié en 1973. La dernière visite au Maroc de Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, remonte à quelques mois seulement, au cours de laquelle annonce avait été faite d'une invitation officielle au Souverain pour se rendre en Chine. Or, si la visite du Roi du Maroc à Pékin en 2002 avait consacré les retrouvailles et l'amitié traditionnelle entre les deux pays, elle a aussi affermi les bases d'un «partenariat stratégique» assis sur des fondamentaux, notamment une volonté partagée d'aller au-delà de la dimension politique. La Chine est le 4ème partenaire économique du Maroc, et celui-ci le 10ème partenaire africain de la Chine, avec un volume d'échange qui avoisine 3,8 millions de dollars, en hausse continuelle, néanmoins, de plus de 4% par an. Coopération sans doute faible, mais appelée à se renforcer, le Maroc abritant quelque 20 entreprises chinoises qui opèrent dans l'industrie, le textile et les services. Le ministre de l'Industrie, du Commerce, de l'Investissement et de l'Economie numérique, Moulay Hafid Elalamy, ne se fait pas faute d'exprimer sa volonté de renforcer le partenariat avec la Chine, de défendre un modèle en pleine expansion, rappelant que plus de 80 million d'investisseurs chinois s'apprêtent à s'expatrier et que son rêve à lui, relanceur de l'industrialisation, est d'accueillir une infime partie de ces opérateurs chinois, ne serait-ce qu'un millions de ces expatriés. Le Forum maroco-chinois du 28 novembre inaugure un nouveau cycle de l'amitié entre les deux pays. Dire qu'il donne une nouvelle impulsion aux relations bilatérales, constitue un euphémisme. En réalité, la nouvelle coopération entre les deux pays ouvre une page inédite et, à un moment où le partenariat privilégié du Maroc avec la France subit de graves fissures, du fait de la méprise créée par les socialistes au pouvoir en France, le Maroc réoriente ses priorités. Elles deviennent aujourd'hui asiatiques, la Chine incarnant le pôle majeur de cette nouvelle vision. Ce n'est pas non plus un hasard si, en même temps que cette mission marocaine à Pékin, le Premier ministre sud-coréen, Chung Hong-won, était pour sa part au Maroc pour une visite de travail de trois jours, et si l'on souligne que c'est la première du genre depuis l'établissement des relations diplomatiques bilatérales entre les deux pays en 1962, on comprend fort bien que désormais le Maroc effectue son ancrage en Asie.