En réunissant pour la 4e édition de la «Science Week», d'éminents chercheurs et penseurs de tous bords autour de la thématique de la «Transition(s)», l'UM6P entend séduire les jeunes férus de sciences tout en offrant l'opportunité, aux étudiants, chercheurs, de participer aux réflexions menées sur l'avenir de la science. Par un étrange hasard du calendrier, l'ouverture de la grand-messe scientifique annuelle de l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), coincide cette année avec l'anniversaire du naturaliste britannique Charles Darwin. L'esprit du grand théoricien de l'évolution des espèces, invoqué d'entrée de jeu par le philosophe de renom Daniel Dennett lors de son allocution d'ouverture de la "Science week", annonce d'emblée la couleur. En introduisant la théorie de celui qui a bousculé les fondements établis de son époque, et en critiquant dans la même veine, frontalement René Descartes pour avoir introduit Dieu dans son essai philosophique sur la méthode, D. Dennett a bien piqué l'émulation de nombreux intellectuels et scientifiques présents lors de la première journée de la 4e édition de la semaine de la science. Lire aussi |«AgriculturiX» : l'expérience canadienne de la filiale de l'UM6P Mais s'il y a toujours de quoi captiver une audience avec l'éternel débat entre le déterminisme et le libre-arbitre, la réflexion a eu pour point de départ la notion de «Transition(s)», thématique retenue pour la 4ème édition. En ce sens, les projets de recherche exposés du 12 au 16 février à l'UM6P s'articulent autour de cette grande thématique transversale. «Le monde traverse plusieurs crises liées, notamment, au changement climatique, à la sécurité alimentaire, à la transition digitale, qui, in fine, impacte l'emploi, la santé et l'éducation. D'où le choix des sujets traités dans le cadre de la thématique centrale de ce congrès», avance Hicham El Habti, Président de l'UM6P. Conscience collective Mettre les avancées scientifiques au service du citoyen. Tel est l'objectif de la présidence de l'Université, qui en réunissant les chercheurs et penseurs de tous bords entend donner l'opportunité, aux étudiants, chercheurs et à l'ensemble des marocains de participer à l'émergence d'une conscience collective. Pour de nombreux chercheurs en sciences dures, l'évènement est l'alibi pour partager et tenir compte des avancées scientifiques liées aux grandes transitions (énergétiques, médicales, économiques, numériques, climatiques, etc.). «L'avenir de la science est la science des transitions», lance Raphaël Liogier, Directeur scientifique de l'Institute for Advanced studies, devant une salle presque comble pour justifier le choix du thème, et qui selon lui, s'inscrit dans la suite logique de «la complexité», thématique abordée l'an dernier, inspirée entre autres des travaux fondamentaux d'Edgar Morin. Lire aussi | Maroc. L'étau se resserre autour du PDG du premier producteur d'argent et de plomb du Royaume Au-delà des digressions philosophiques, l'idée est de faire converger les disciplines scientifiques sur ce point, en vue de répondre aux besoins conjoncturels. Car, il va sans dire que le Maroc s'apprête à négocier plusieurs phases de transitions. A commencer par le contexte actuel de stress hydrique aigu qui impose au royaume de concevoir de nouveaux systèmes d'irrigation et de rationnement d'eau pour faire face aux besoins croissants de la population et répondre principalement aux injonctions économiques. Le cas du dessalement de l'eau de mer, qui hormis son coût économique, apporte une solution pérenne hélas, au risque d'entraîner durablement à terme la perte d'espèces marines. L'effondrement éventuel de la faune est susceptible de nuire à la production halieutique, ce qui impactera, in fine, la pêche artisanale. «Est-ce que le Maroc va réussir cette transition?, s'interroge Raphaël Liogier. Je pense que si le Maroc y arrive il deviendra un exemple pour le monde». Autre transformation profonde, celle qui s'opère dans le secteur de l'éducation, portée par la vision globale de l'UM6P, qui entend développer une pédagogie de l'inclusion, et reconnaît le droit fondamental de l'élève à une éducation de qualité dispensée dans les milieux sociaux les plus inclusifs. «A Benguerir, l'objectif est de percer ce plafond de verre et passer au-delà du système classique, ce qui est de nature à révolutionner l'éducation au Maroc», précise le Directeur scientifique de l'Institute for Advanced studies. La question omniprésente du réchauffement climatique est également avancée comme une préoccupation majeure. Le choix délibéré de mettre en lumière les transitions dans divers domaines trouve une résonance particulière dans le contexte actuel, où l'urgence climatique dicte la nécessité impérieuse d'adopter des mesures audacieuses pour un avenir plus durable. «C'est l'une des préoccupations majeures en Afrique. «Nous avons assez de connaissance relative à la qualité de l'air, et du climat, et on a une idée de là où on veut aller, encore faut-il mener à bien cette transition», relativise Kenza Khomsi, Chef du service de la qualité de l'air à la Direction de la Météorologie Nationale. Dès lors, une question corollaire se pose: faut-il se réjouir des avancées de la science ou s'inquiéter de ses dérives? A l'unanimité, les scientifiques s'accordent pour dire que l'enjeu est de réussir la métamorphose du système actuel vers des priorités plus durables. 2 questions àRaphaël Liogier, Directeur scientifique de l'Institute for Advanced studies «La question de la transition est éminemment scientifique!» Challenge : À la lumière de la thématique centrale de la 4ème édition de la Semaine de la Science, quelle transition imminente discernez-vous pour le Maroc ? Raphaël Liogier : La transition qui se profile au Maroc, au regard du contexte actuel, s'articule principalement autour de la gestion de l'eau. Le défi consiste à savoir si le Maroc parviendra à amorcer cette transition avec succès en recourant à la désalinisation, tout en étant capable de stocker cette ressource sans porter préjudice aux écosystèmes existants. Il est un secret de Polichinelle que le rejet du sel en mer a des répercussions sur la faune marine, mettant ainsi en jeu des sphères interconnectées. La question cruciale demeure : le Maroc réussira-t-il cette transition ? Mon avis penche résolument vers l'affirmative. Si cette entreprise aboutit, elle pourrait servir d'exemple à l'échelle mondiale. Challenge : Quid des transitions en cours sur le continent ? R.L. : L'image que l'on a de l'Afrique est souvent façonnée par une sombre perception. Le continent est fréquemment perçu comme le lieu où convergent tous les maux, qu'il s'agisse du réchauffement climatique, du sous-développement ou de la crise énergétique. La tenue de ce sommet scientifique sous la thématique des «Transition(s)» en Afrique vise à démontrer que c'est précisément ici qu'il faut chercher les solutions. Il est impératif de changer de paradigme pour envisager un avenir plus prometteur.