Pour la première fois au Maroc, une administration marocaine déterre les vestiges de son passé. Une enquête étayée sur les résultats du rapport de la Cour des comptes révèle des pratiques de mauvaise gestion, un parcours longtemps parsemé de dysfonctionnements, de l'argent perdu... Aujourd'hui, cette administration, encore en quête de statut, renoue avec une gestion saine. C'est une administration méconnue du grand public. Il suffit de savair que les 14 victimes de l'attentat terroriste du 16 mai 2003 à Casablanca ont bénéficié de ses rentes, allocations journalières et autres formes d'indemnisation. Les fonds indemnisent aussi les accidentés du travail non assurés ou affiliés à une assurance déclarée en faillite. Pourquoi ne pas entamer alors une campagne de communication auprès d'une grande frange des travailleurs? «On craint que le flux auquel on pourrait s'attendre ne dépasse notre capacité d'accueil et de traitement des dossiers», explique Abderafie Hamdi, administrateur des fonds du travail. Cette campagne est programmée dans l'agenda de ce responsable, néanmoins il préfère aller doucement en attendant de renforcer ces équipes. Le jour de sa nomination à ce poste, il y a quatre mois, Abderafie Hamdi découvre des rapports chauds sur la situation des fonds. Un rapport de l'Inspection générale des Finances (IGF), qui a audité les fonds de 1997 à 2002, un deuxième audit de 2001 à 2007 de l'Inspection générale du ministère de l'Emploi, et un troisième, le plus significatif en termes d'anomalies décelées, de la Cour des comptes de 2003 à 2005. Des anomalies sur lesquelles il faut s'arrêter, fut-ce pour souligner celles qui sont toujours d'actualité. Quel statut pour l'AFT ? « Le cadre institutionnel de cette administration est anarchique et complexe», relève la Cour des comptes dans son rapport. La relation avec le ministère de l'Emploi demeure à ce jour non clarifiée. L'AFT (Administration des Fonds du Travail) n'est pas un établissement public. Elle gère des fonds privés. Des fonds renfloués par une contribution des employeurs à hauteur de 20% des prélèvements versés aux assurances. Ils ont été, depuis belle lurette, exploités en partie par le ministère de l'Emploi. Il suffit de savoir que l'administration des fonds du travail a versé, rien qu'en 2005, 2.589.600 DH pour la location des immeubles dont ceux relevant directement du ministère de tutelle. Encore aujourd'hui, les frais de location d'un immeuble occupé par les services du ministère sur le boulevard Oqba à Rabat sont honorés par cette administration. Autre anomalie: les véhicules de l'établissement sont depuis des années exploités par le ministère. En ce début 2008, l'AFT a récupéré 6 véhicules. 4 autres seront prochainement restitués. Et ce n'est pas fini. La Cour des comptes a également constaté que les fonds du travail déboursaient des sommes importantes pour la formation à l'hygiène des inspecteurs du travail. Quel est le rapport, s'interroge les auditeurs de la Cour des comptes ? «Le budget des fonds du travail comporte des rubriques qui ne concernent pas leur mission mais qui sont mis à la disposition du ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle», peut-on lire dans son rapport d'audit. La Cour ne s'arrête pas là. La gestion des affaires financières était on ne peut plus chaotique, ce qui laisse penser que des détournements auraient bien été commis. L'acquisition des véhicules dépasse de loin les besoins (40 au lieu de 10). Autre anomalie gestionnaire : les besoins en budget de fonctionnement n'ont été consommés qu'à hauteur de 20% seulement. Alors que le budget des prestations consomme 80% des besoins exprimés. Et pourtant, les dossiers de remboursement des victimes traînent, traînent… Plus. «Les réalisations sont largement inférieures aux prévisions budgétaires». L'excédent des recettes par rapport aux dépenses était démontré par un faible taux d'exécution du budget. En 2006, le budget général a récupéré pas moins de 2,4 milliards de DH. Enorme ! Si l'on sait que les dossiers des victimes étaient traités à un pas d'escargot ! Jusqu'à trois ans !! La mauvaise gestion de l'époque est stupéfiante. Au cours de son audit, la Cour des comptes n'a pas trouvé les documents relatifs à la passation de marchés publics. Il y avait toujours un document manquant. Pas de traces de marchés publics La difficulté se traduisait dans la reconstitution des dossiers des marchés publics. La responsabilité des écritures comptables n'était la tâche de personne. D'autant plus que 80 % des achats passaient par le canal des bons de commande. Des achats qui se justifiaient par un approvisionnement des locaux du ministère. Sans justificatif, ni preuve permettant de remonter vers la source, et vérifier l'exactitude des articles livrés. C'est le cas notamment pour le matériel consommable dont les achats étaient en excès. Alors que l'administration est sous informatisée ! Et quand on cherchait à déterminer les responsabilités, encore une fois, l'anarchie et l'absence d'un organigramme ficelé et déterminant le rôle et la mission des 380 salariés (contractuels avec l'Etat) étaient comme une garantie d'impunité. Un effectif jugé trop important par rapport aux besoins en personnel qualifié, évalués à 130 ou 140 personnes. Cela renvoie à une autre anomalie, celle du recrutement. Le recrutement était et est toujours du seul ressort du ministre de l'Emploi. Les critères de sélection étaient du moins indéterminés, rien à voir, dans leur grande majorité, avec ceux de la méritocratie ou de la compétence. Abderafie Hamdi a décidé aujourd'hui de faire table rase des pratiques anciennes pour remédier aux dysfonctionnements de cet établissement. Il travaille d'abord sur l'établissement de frontières entre l'administration et le ministère de l'Emploi. En plus de récupérer les véhicules exploités antérieurement par le ministère de tutelle, il envisage de diminuer le parc automobile à 10 au lieu de 34 à l'horizon 2009. Autre défi : réduire la période de traitement des dossiers des victimes de 1 ou 2 ans à 3 ou 4 mois. Concernant la gestion du budget, l'instauration du Service d'Etat Géré de Manière Autonome (Segma) a réglé un tas de dysfonctionnements. «Avant 2006, les fonds du travail étaient gérés par la trésorerie générale qui était mandataire et comptable à la fois. Cette anarchie a créé beaucoup d'anomalies et de critiques, surtout après le rapport de l'IGF qui a proposé une solution pour établir un contrôle sérieux. Il a été décidé donc de créer Segma, un cadre comptable adapté à cet organisme. Tout ce qui touche aux prestations reste géré par la Trésorerie. Cette séparation a beaucoup aidé l'AFT à s'organiser», explique Abderafie Hamdi. Les prévisions sont aujourd'hui faites en équilibre avec les besoins, contrairement au passé, où elles étaient arrêtées sans faire d'étude. Pour une meilleure maîtrise des besoins, l'AFT a baissé le taux de contribution des employeurs à 15% au lieu de 20%, puis à 12%. Une nouvelle qui ne manquera pas de faire jubiler les chefs d'entreprises. «On a demandé au ministère des Finances de constituer une cellule de travail afin de lancer une étude actuarielle pour voir sur quelle base scientifique on va s'étayer pour arrêter ce taux», lance-t-il. Pour optimiser cette nouvelle méthode de gestion, l'administrateur des trois fonds s'efforce d'informatiser tous les services. Aujourd'hui, l'unique anomalie qui reste suspendue, c'est le statut de cet établissement. Pour l'heure, la réflexion est portée sur la création d'une agence des fonds du travail financièrement indépendante. Il existe trois fonds Pour ceux qui l'ignorent, l'Administration des Fonds du Travail (AFT) regroupe trois fonds. Le fonds de Garantie des victimes des accidents du travail, créé par le dahir du 25 juin 1927 et modifié par le dahir du 6 février 1963 ; le fonds de Majoration des rentes d'accidents du travail et des maladies professionnelles, créé par le dahir du 9 décembre 1943. Et, enfin, le fonds de solidarité qui prend en charge les victimes d'un acte terroriste ou de manifestations populaires violentes.