A l'évidence, le retour du religieux touche toutes les générations et toutes les classes de la société marocaine. Les jeunes s'avèrent plus pratiquants que leurs ainés, mais aussi plus tolérants au regard des libertés individuelles de pratique religieuse. « les comparaisons entre la religiosité des jeunes générations et la religiosité des générations passées sont nombreuses. Des écrits se sont multipliés depuis que le thème du « retour du religieux» dans les sociétés musulmanes est devenu un thème d'actualité. Des études consacrées à la jeunesse scolarisée durant les trois dernières décennies montrent que la religiosité ne cesse de s'affirmer dans ce milieu depuis les années quatre vingt du siècle dernier. Aucune enquête exhaustive n'a été, en revanche, consacrée à la religion dans la société marocaine en général, ni même à la religion chez les jeunes en général, y compris les jeunes non scolarisés dont le taux est encore très élevé, au regard de la non généralisation de l'enseignement", explique le sociologue et historien Mohamed El Ayadi, dans son enquête collective incluse dans, "L'Islam au quotidien", écrit avec Hassan Rachik et Mohamed Tozy. Il en conclut que c'est là un phénomène général qui touche toutes les classes de la population et tous les âges. Clairement, le retour du religieux est une « revanche de Dieu", mis au placard pendant les années 70, au plus fort de l'antagonisme des idéologies marxistes et libérales, lorsque le monde musulman peinait, et peine encore, à proposer un modèle de société viable. "Ce sont pendant les années 80 que l'on a assisté au retour du religieux dans la société marocaine. C'est la période où les facultés devenaient petit à petit des bastions de l'islamisme politique. Cela a coïncidé avec l'entrée de l'enseignement religieux dans les facultés, et l'émergence des groupes islamistes qui ont, depuis, cherché puis réussi à conquérir le pouvoir au Maroc," explique le journaliste Redouane Ghadouna. Les professionnels ont flairés le filon et proposent des packages familiaux et à destination des jeunes qui s'y rendent pour leur noces ou en famille pendant qu'ils sont suffisamment jeunes pour supporter le voyage La pratique religieuse, une activité de vieux? A cet égard, les mouvements islamistes politiques ont-ils réussi leur objectif affirmé, à savoir: réislamiser la société marocaine? Depuis quelques années, les observateurs remarquent un certain recul dans la tolérance des marocains. Un vent de conservatisme semble souffler sur la société marocaine. Pour Mohamed El Ayadi: "Les jeunes sont toujours moins pratiquants que les plus âgés et la pratique religieuse s'intensifie avec l'âge. Ce fait n'est pas spécifique aux musulmans. Il se confirme pour toutes les religions et dans toutes les sociétés. Les Marocains ne dérogent pas à une règle qui semble générale. En revanche, si toutes les études confirment le déclin de la religion chez les jeunes dans les sociétés occidentales chrétiennes, qu'elles soient catholiques ou protestantes, notre étude affirme, au contraire, que la religiosité des jeunes musulmans marocains est très affirmée et les jeunes d'aujourd'hui sont à cet égard certainement plus pratiquants que leurs ainés d'hier," tout en se demandant s'il s'agit d'un phénomène d'âge ou de génération. Qu'en est-il de la pratique religieuse des jeunes? "L'enquête montre que 14,6% des enquêtés n'ont jamais observé ce rite : ils sont 22,2% parmi les 18-24 ans, 23,3% chez les 25-34 ans et seulement 0,7% chez 60 ans et plus. 11,7% des enquêtés ont arrêté de prier, ils sont 22,5% chez les 18-24 ans et 3,4% chez les 60 ans et plus. Une autre catégorie de gens ne prie qu'irrégulièrement, et représente 8% de la population enquêtée. Cette catégorie est formée de 13,7% des 18-24 ans et de seulement 0,7% des 60 ans et plus. En tout, 34,3% de la population n'observent pas ce rite canonique," analyse El Ayadi. Ma tan salych oulakin Allah i hdiny "Je constate qu'autour de moi les jeunes ne sont pas spécialement pratiquants. Dans les faits, prier a perdu son sens pour les jeunes", remarque Ilyass Aït Bouzid 23 ans et tout juste lauréat de l'ENCG d'Agadir, qui a fait le chois de se tenir loin des tribulations de la vie moderne et des dangers auxquels sont exposés les jeunes marocains. Entre drogue, tabac et alcool, il aurait fait le choix d'une vie saine". Rachid Idrissi, de Meknès, 17 ans, bachelier, a suivi le même cheminement. Mais Ilyass regrette que: "la prière ait perdu son sens pour les jeunes. Dans la société actuelle, on se préoccupe plus du "qu'en dira-t-on" que du sens profond d'une pratique religieuse sincère." En fait, un bref tour d'horizon mais sans prétention, aurait tendance à confirmer cette tendance. Les jeunes interrogés regrettent de ne pas prier, tout en se dédouanant d'avance et invoquent le pardon divin: "les marocains, toutes classes d'âge confondues sont profondément attachés à la religion", analyse le journaliste Redouane Ghadouna. Quand le sociologue Abdelhakim Aboullouz, chercheur au centre Jacques Bercques de Rabat, explique: "les jeunes qui se tournent vers la religion le font dans un processus de construction de leur identité. C'est souvent ce qui reste lorsqu'on n'a plus rien d'autre, et cela relève de facteurs socio-économiques. Mais souvent, le déclic est dû soit à l'influence d' amis proches, soit le fruit de l'environnement social ou parental ou tout simplement le résultat de lectures. Mais ces dernières sont rarement suffisantes pour pousser les jeunes à pratiquer. Le facteur le plus marqué est sans doute l'influence des relations sociales." C'est le cas de Rachid. Scolarisé à Laâyoune, dans un environnement familiale pratiquant, couplé à un enseignement religieux à l'école et une fréquentation d' amis également pratiquants, qui l'ont poussé à prier précocement : "je me suis rendu compte qu'en fait la prière était une obligation, et en tant que musulman, je ne pouvais que m'y mettre pour rester logique avec moi-même". Si les mosquées sont plus pleines le vendredi et pendant le mois de Ramadan, le piétisme se révèle dans toutes les strates Jeûne, Omra, et plus si affinités Dans la continuité de cette logique, Rachid a même accompli la Omra avec ses parents. "Les jeunes qui font la Omra constituent une tendance lourde dans le tourisme. Mais ce sont plus souvent des jeunes couples qui se rendent sur les lieux saints pour leur voyage de noces, ou pour une visite des lieux saints. Mais nous avons également des familles qui s'y rendent avec des adolescents", constate Faouzi Zemrani, DG de l'agence de voyage Marrakchi Z Tours et ex-président de la Fédération Nationale des agences de voyages. "Les offres pour la Omra existent depuis longtemps pour les jeunes. Il est évident que c'est un business que les professionnels ont ciblé depuis longtemps", poursuit M. Ghadouna. "Il est entendu que les jeunes préfèrent se rendre à la Mecque pour le Hadj ou la Omra tant qu'ils sont jeunes et que leurs moyens le leur permettent. Mais, c'est vider un voyage rituel de son sens symbolique et de sa sacralité. Ils ne tiennent pas compte de leur évolution passée et n'anticipent pas sur leur attitude future", regrette Ilyass Aït Bouzid. Reste que si la visite des lieux saints n'est pas une obligation, au même titre que le jeûne de Ramadan, les marocains deviennent moins tolérants lorsqu'ils avancent dans l'âge. comme le révèle l'enquête d'El Ayadi: "si les jeunes sont plus rigoureux s'agissant du caractère central de la pratique du jeûne de ramadan par rapport à la pratique de la prière, ils sont, en revanche, plus tolérants vis-à-vis des non pratiquants : 40,8% des enquêtés considèrent que le non respect du jeûne du mois de ramadan relève de la liberté des personnes." Là encore, plus on avance dans l'âge, et plus le conservatisme est de mise. Mais près de 40% des marocains pensent qu'il faut punir les "déjeuneurs". Signe des temps, les jeunes semblent plus tolérants, mais les générations plus anciennes se prononcent contre cette liberté dans la sphère privée. Voir la question religieuse intégrer le champ personnel ne semble pas en bonne voie.