S'ils se considèrent largement pratiquants, chercheurs et officiels ne peuvent se prononcer sur le regain de piété des jeunes. Les impressions sont parfois trompeuses, et rien ne prouve que les jeunes soient plus croyants que les générations passées. Cependant, la foi des marocains n'a jamais été remise en cause, et qu'ils cherchent un nouveau sens à leur vie à la lumière d'un islam ravivé. Il est 19h 45, l'heure de la rupture du jeûne. Nous sommes dans une villa de la colline d'Anfa, lorsque l'appel à la prière se fait pressant. Les différents invités se contentent d'une date, avant de se lever pour la prière collective rituelle. C'est après que l'on se met autour de la table pour partager le ftour après une longue journée de jeûne. Une fois la table desservie, l'assistance détendue entame une discussion à bâtons rompus, et de fil en aiguille abordent la question de la religion, sujet d'actualité s'il en est en ce mois sacré du Ramadan. Alors que la moyenne d'âge des invités tourne autour de la vingtaine, personne ne porte la barbe. Ce sont des jeunes hommes de la classe moyenne, habillés en jean et étudiants dans une grande business school casablancaise. Ils sont bilingues et respirent la modernité. Cette image d'Epinal semble tout droit sortie des fantasmes des tenants bien pensants de la société marocaine, traditionalistes dans leurs valeurs et modernes dans leur mode de vie. On ne boit pas, on fume discrètement, ne cherchant pas à se faire remarquer. On se reproche d'être tombé dans le "piège" et on s'achète une vertu en priant ostensiblement et préférant l'entre soi. C'est en quelque sorte le nouveau visage de la piété des jeunes de la bonne société marocaine: le medh nabaoui a remplacé la musique électronique et le thé la bouteille de black label. Ce nouveau visage de la jeunesse marocaine est révélateur d'une impression tenace, et que pourtant rien ne prouve: les jeunes sont-ils devenus plus religieux? Pour Khalid Elboukarai, secrétaire national de la jeunesse du PJD, rien n'est moins évident: "il n'y a pas d'indicateurs qui prouveraient que les jeunes sont plus religieux aujourd'hui qu'ils ne l'étaient hier. D'ailleurs comment les distinguer? Par le fait de prier à la mosquée? Ou celui de porter la barbe? Les mosquées sont plus fréquentées lors de la prière du vendredi et pendant le mois de Ramadan. Mais cela n'est révélateur de rien de particulier." Ce scepticisme devant la tendance est palpable également auprès des universitaires. Dans leur livre collectif de Hassan Rachik, Mohamed Tozy, et Mohamed El Ayadi, "L'Islam au quotidien", le sociologue et historien explique: "Nous manquons de données empiriques pour répondre correctement à cette question." Prière, jeûne et pilosité Toujours selon l'étude de M. El Ayadi: "Seulement 38,9% de la population déclarent que les jeunes générations sont plus pratiquantes que les plus anciennes. Les plus âgées sont là aussi plus catégoriques que les jeunes générations elles-mêmes. Alors que 44,1% de la catégorie des 60 ans et plus affirment que les jeunes générations sont plus pratiquantes, 29% seulement de celles des 18-24 ans épousent la même opinion et 14,7% considèrent qu'elles sont aussi pratiquantes que les anciennes contre 38,2% qui considèrent qu'elles sont moins pratiquantes et 18,1% qui déclarent ne pas savoir. Plus indicative encore sur l'état d'esprit religieux des jeunes par rapport à celui des plus âgés est l'opinion des uns et des autres sur leur propre religiosité : en effet, 69,7% de la population enquêtée se considèrent comme des musulmans pratiquants, 17,4% comme des musulmans non pratiquants et 6,7% comme des non religieux. Les catégories jeunes de cette population se déclarent non religieux, dans une proportion significative. Ils sont 11,3% parmi les 18-24 ans à se déclarer ainsi alors que seuls 2,1% chez les 60 ans et plus se réclament de la même opinion." Pour étayer cette analyse, nous avons interrogé Elyas Aït Bouzid, 23 ans lauréat de l'ENCG d'Agadir et pratiquant : "je pense qu'au contraire, les jeunes sont moins pratiquants aujourd'hui que par le passé. Cela est dû à plusieurs facteurs. D'une part, les parents se préoccupent moins de transmettre la pratique religieuse à leurs enfants. D'autre part, à l'école les rapports entre les professeurs et les étudiants sont protocolaires. Il est difficile de dire que les jeunes sont plus pratiquants aujourd'hui qu'ils ne l'étaient hier." La foi des jeunes n'a jamais été remise en questions, en dehors de quelques exceptions, au final, marginales. Les jeunes gardent un certain attachement à leur religion, même s'ils en reportent la pratique pour un âge plus avancé. Reste qu'entre ceux qui pratiquent et ceux qui ne pratiquent pas, l'écart se creuse.