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La croix et la bannière
Publié dans L'observateur du Maroc le 09 - 09 - 2009

Le 29 août. Il est 22 heures. La grande esplanade de la Mosquée Hassan II à Casablanca grouille de foules venues accomplir les Tarawihs du mois sacré de Ramadan. La fourmilière humaine ne s'allège qu'après une vingtaine de minutes. Malgré la chaleur ardente qui régnait dans les lieux, jeunes, vieux ou encore enfants font de la prière leur allié le temps de ce mois et misent sur la spiritualité et l'engagement envers leur créateur. La voix d'un certain Omar El Kzabri n'y est pas pour rien. Le célébrissime imam marocain qui a réussi à mettre les moins croyants à ses pieds continue d'emballer les cœurs grâce à ses déclamations plus qu'excellentes du coran et à attirer différentes castes de gens. Disponible seulement durant le mois de jeûne, les fidèles attendent patiemment son retour et s'abonnent aux joies des Tarawihs sous sa houlette. «Le fait de voir les mosquées pleines à craquer lors du mois sacré rassure et confirme que les populations croient en Dieu et veulent gagner sa bénédiction. Mais dès que Ramadan touche à sa fin, c'est l'hécatombe religieuse, la déception. Tout le monde revient aux habitudes sataniques et oublie la voie de son créateur» affirme Abdelbari Zemzmi, le célèbre imam indépendant et membre du parti Vertu et Renaissance, non sans rogne. De toute façon, dans différentes mosquées de la ville, le même scénario se répète. Les foules se rassemblent et la spiritualité est à son comble durant ce mois sacré. Changement de décor. Même jour, à 13 heures cette fois-ci. La scène se passe au McDonalds du Boulevard Ziraoui à Casablanca. En y entrant, Ramadan reste à l'extérieur. Hormis les étrangers, des Marocains consomment les célèbres menus comme si de rien n'était. On se croirait à Londres. L'absence des élèves du lycée Lyautey qui campent souvent dans le restaurant et dont la plupart ne fait pas le Ramadan a facilité le repérage. «Dès que je commence mon travail, j'oublie définitivement que c'est Ramadan. Plusieurs clients «marocains» continuent à déjeuner chez nous. On s'y est habitué au fil du temps» explique une employée. S'agit-il de la vague «in» que la société continue d'adopter ? Possible. Hatim, 28 ans est responsable marketing dans une société d'export à Casablanca. Il raconte, non sans indignation, que les invitations au déjeuner lors du mois sacré sont la mode en vogue actuellement. «Je n'oublierai jamais le jour où un collègue a invité toute l'équipe à un buffet chez lui. D'après les échos que j'ai eus, c'était un déjeuner en bonne et due forme avec de l'alcool en plus». Il ajoute que plusieurs personnes y ont participé. «Je respecte les croyances personnelles, mais je ne peux m'empêcher de méditer».
Les Marocains sont-ils des musulmans ?
Où en sont les Marocains ? Telle est la question. Selon plusieurs sociologues, la société Marocaine est noyée dans un processus de modernité et est ainsi tirée entre l'élan de l'occidentalisation et la contrainte de la tradition dans une culture qui a bercé toute une éducation. C'est la réalité de toute une communauté toujours en quête de son identité. Dans certains cas, il s'agit plutôt d'une rébellion à souhait contre la religion, le pouvoir et les règles inculquées depuis le jeune âge. «Je ne fais pas le Ramadan et mes parents ne le savent pas. J'ai grandi au sein d'une famille croyante et pratiquante qui sacralise la religion mais je ne suis pas encore prête à m'y engager» confie Imane. Au Maroc, la dimension spirituelle ne fait toujours pas bon ménage avec la composante sociale et la structure des lois. L'article 6 de la Constitution fait de l'islam la religion d'?tat mais la société est implicitement partagée entre une douce révolution imposée par le développement et une fidélité à sa culture de base exigée par tout un entourage. La liberté de choisir sa religion relève de l'utopique. Dans ce cas-là, suivre la foi de ses ascendants devient sans conteste une évidence. Cependant, comment un enfant peut-il se forger une identité religieuse conforme aux lois de l'Islam alors que tous «les interdits» n'ont jamais été réellement interdits ? L'alcool est vendu à flots dans les grandes surfaces, les drogues sont plus disponibles que le pain et le porc est délibérément servi dans moult restaurants. Ainsi, on distingue deux catégories de musulmans : les faux et les vrais. Ceux qui n'adhèrent pas à la religion de Mohammed sont souvent ceux qui considèrent le mauvais côté de l'Islam. «L'Islam, ce n'est pas la barbe, le voile et le terrorisme. L'Islam représente l'amour, la vie et la tolérance. A l'exemple du Prophète à qui l'on a demandé sa façon de définir cette religion, sa réponse était claire : les femmes, le parfum et la prière. Une preuve que le Messager de Dieu a toujours eu envie des bons goûts de la vie» explique Fouad Benmir, sociologue. Il souligne que depuis quinze siècles, le Maroc s'est donné un Islam modéré qu'il défend contre tout fondamentalisme. «A l'exemple de l'Andalousie qui représente la page la plus claire de l'histoire humaine et où les trois religions ont cohabité ensemble durant plusieurs décennies, le Maroc garde son unicité et demeure un pays d'accueil et de tolérance malgré les différences».
Religion et commerce : le couple improbable
Depuis le début de Ramadan, les chaines satellitaires s'offrent un bras de fer en matière d'émissions religieuses afin de rafler les plus grosses audiences. Elles font le lot des Cheikhs les plus charismatiques et les plus influents et s'engagent dans une course contre la montre. «La vague de civilisation touche les chaînes de télévision aussi» soutient Zemzmi. Iqraa, Al Fajr ou encore Annas ne lésinent pas sur les moyens et le public n'en reste pas indifférent. Avec les divers avis et fatwas les uns plus curieux que les autres que ces Cheikhs se permettent sans scrupule, les téléspectateurs sont souvent égarés face à autant de croyances. Sauf que l'histoire ne s'arrête pas là. Alors que le public fait de son Ramadan un mois de piété et de foi, ces chaînes en profitent pleinement et font d'une pierre deux coups : attirer le plus de téléspectateurs tout en misant sur le gain financier. Quand est-ce que la «daâwa» et les paroles de Dieu et de son Prophète exigeaient une contrepartie ? C'est le cas à présent. De gros lots sont à gagner en répondant aux questions posées en fin d'émission. «Le téléspectateur est le premier à profiter de ces jeux. Au moins, il se cultive tout en misant sur la récompense» assure Mohammed Boutarbouch, professeur universitaire d'Etudes islamiques. Quand le Ramadan commence, publicité et religion s'allient, la tournure des événements n'est pas à envier. Ce qui se trame derrière les coulisses laisserait le téléspectateur, victime de détournement moral, bien perplexe. A l'exemple de la publicité d'un nouveau centre hospitalier en Arabie Saoudite qui commence par un bon verset du Coran, les histoires ne manquent pas. Pire. Lors du premier jour de Ramadan, dans l'une de ces émissions religieuses avant la rupture du jeûne, un Cheikh de renommée fustigeait le péché de ceux et celles qui optaient pour la chirurgie esthétique. Alors que le vieil homme ponctuait ses longues phrases par des «Haram, Haram…», une publicité défilait en bas de l'écran «Si vous voulez une rhinoplastie, blépharoplastie ou un lifting, appelez le numéro suivant… Oubliez vos complexes !». Merci Mr le Cheikh…
Où en est l'apostasie au Maroc?
D'un point de vue psychologique, la religion procure un équilibre qui met en exergue la spiritualité intérieure de la personne. Même Freud en a évoqué l'effet en expliquant ce que deviendrait l'homme sans religion «Il se trouvera dans la même situation qu'un enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se sentait si bien et où il avait chaud». La religion complète cette frustration ressentie tout en acceptant à croire parfois à l'absurde. Au Maroc, les plus démunis sont les plus croyants, les plus pratiquants et les plus adhérents. Ils croient à leur Eden à eux et conjuguent cette attente à un espoir recalé. Ainsi, si l'on recense le nombre de Marocains qui ont quitté l'Islam pour d'autres religions, il s'avérera que la catégorie sociale de ceux qui ont opté pour d'autres horizons religieux ne sont pas noyés dans la misère. Ce sont souvent des personnes qui n'ont pas encore trouvé cet équilibre tellement recherché et tentent tant bien que mal d'explorer d'autres enseignements. «Je n'appellerai pas cela un apostat. Quand on parle d'apostat, c'est quelqu'un qui assume sa conversion et reconnait ouvertement être devenu chrétien ou judaïque. Au Maroc, l'audace de se présenter sous le sceau d'une autre religion est quasi inexistante. Société oblige…» souligne Mohammed Boutarbouch. Il ajoute que lorsqu'une personne tente de se retourner vers d'autres croyances, c'est souvent une fugue, un retour à la base dû au désespoir. Pourtant, les chiffres ne mentent pas : en 2006, ils étaient 700 à se convertir au christianisme. Fin 2007, ils arrivent au nombre de 2000. En 2009, les conversions se font au lot. Des évangélistes squattent le pays pour attirer le plus de futurs-ex-musulmans et ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Les jeunes sont leur cible et les attirent en adoptant un discours de légèreté et de cool-attitude. Cette vague de christianisme au Maroc n'est pas nouvelle puisque plusieurs petits patelins du pays adoptent cette religion depuis toujours. Par ailleurs, le droit marocain ne punit pas explicitement l'apostasie mais condamne celui qui y incite le musulman.


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