HAKIM ARIF Le vedettariat se fabrique. Tout à fait comme on fabrique n'importe quel produit de grande consommation. Tous les pays, tous les systèmes politiques ont eu et ont toujours leurs vedettes. A travers l'histoire, les vedettes se sont succédé et le monde a connu plusieurs changements chaque fois plus déroutants les uns que les autres. Les militaires ont eu leur temps de gloire dans les sociétés guerrières. Il y a eu Gengis Khan, Napoléon qui a ensanglanté l'Europe à cause d'une vision du monde qui ressemble à celle d'Hitler. Il y a eu aussi des poètes dans les sociétés plus pacifiques ainsi que les philosophes. Par la suite, à l'ère de la révolution industrielle, les entrepreneurs ont été célébrés comme les bâtisseurs de la société moderne, alors qu'en même temps, dans les pays socialistes et communistes, on essayait tant bien que mal de donner l'affiche aux ouvriers, ces stakhanovistes qu'on récompensait par une médaille, alors que les patrons dans les pays tayloristes de l'Occident n'acceptaient et ne voulaient d'autre récompense que celle de l'argent. Dans les sociétés peu développées et qui continuent à l'être encore aujourd'hui, il n'y a pour ainsi dire pas de vedettes. Le système politique refuse leur existence parce qu'elle ferait de l'ombre à son aura. Ces régimes admettaient cependant que les hommes de religion se partagent avec eux le vedettariat pour des raisons bien connues, la religion facilite le gouvernement. Dans les sociétés occidentales qui ont connu le plus de changements, les vedettes ont succédé aux vedettes et l'entrepreneur n'est plus le plus en vue. Dans une société de consommation, les vedettes sont devenues produits. Des produits de l'industrie, mais pas seulement. Les humains sont devenus des produits qu'on améliore, qu'on lance et pour lesquels on fait des tapages médiatiques. Les chanteurs, les vedettes de cinéma ont investi la scène. Ils sont les seuls à en profiter. Néanmoins, dans les sociétés occidentales, le changement ne s'arrête jamais. Un retour à la religion était nécessaire. D'où la naissance de plusieurs sectes dont les chefs étaient devenus de véritables stars que les médias s'arrachent. Ils vont s'ajouter aux chanteurs, aux sportifs, surtout dans le football, le tennis, le football américain, le basketball, les courses auto . La société qui choisit ses vedettes les paie bien. Les salaires des footballeurs ainsi que les revenus des chefs religieux, principalement les chrétiens et les musulmans, vont de record en record. Au Maroc, on a eu quelques vedettes. Dans le domaine sportif notamment, mais cela n'a pas duré. Chez nous, les champions tombent du ciel. On ne sait pas les fabriquer, ils sont venus comme ça. Maintenant, le tour des religieux est venu. Un simple imam fait l'objet de plusieurs reportages dans tous les médias parce qu'il sait faire pleurer les fidèles pendant le mois de ramadan. Mais au Maroc, pays arabe occidentalisé, toujours musulman, les vedettes sont internationales. Que ce soit en arts, en sports ou en religion, les stars sont ailleurs. C'est notamment la raison pour laquelle les clubs espagnols, le FC Barcelone et le Real Madrid, ont plus de supporters que toutes les équipes du championnat marocain réunies. Les prêcheurs ainsi que les producteurs de fatwas des chaînes satellitaires, d'Egypte ou des pays du Golfe se sont fait une bonne base de fans au Maroc. Kzabri, l'imam de la Mosquée Hassan II, réunit certes les fidèles parce qu'il déclame le Coran d'une manière très émotive, mais il ne peut produire des fatwas. Les muftis marocains sont par contre très peu crédibles aux yeux des citoyens, et d'ailleurs ils n'interviennent jamais quand le fidèle a besoin d'eux. Ils obéissent à des impératifs de pouvoir. Quant à la chanson, le changement a été très bénéfique. Les anciennes «vedettes» qui ont longuement vécu grâce à une certaine dictature artistique et culturelle ont disparu de la scène aujourd'hui. Ils n'ont jamais été choisis par les citoyens parce que la télé, la radio, les gouverneurs les choisissent à leur place. Le changement a été brusque mais heureux. La scène musicale a beaucoup changé et des jeunes ont pris les devants apportant un nouveau discours et de nouveaux styles. Ils sont confrontés cette fois-ci au marché où ils doivent se battre pour faire leur place. Néanmoins, les anciennes méthodes persistent. Les festivals font appel à des groupes non pas pour leur renommée mais pour d'autres raisons inconnues pour le simple amateur. Le vedettariat est sans doute le critère le plus accompli pour savoir si une société est vraiment libre. Dans toutes les sociétés totalitaires où le pouvoir est décentralisé, les vedettes n'existent que par la grâce de ce pouvoir justement. Ce pouvoir qui peut à tout moment retirer cette faveur sans prévenir lorsque la «vedette» aura dépassé les lignes jaunes. Que cache la kazabrimania ? Salaheddine Lemaizi «?couter Sidi Omar et mourir», clament les Casablancais. Ils veulent voir l'homme à la djellaba blanche, à la barbe juvénile et à la voix qui ne laisse personne indifférent. Ils sont plus de 50.000 personnes à braver chaque nuit, en ce Ramadan, les vents de l'Atlantique, l'absence de transports en commun ou le manque de place dans le parking pour écouter le cheikh Omar El Kazabri, «le rossignol». Cette kazabrimania bénéficie à l'Etat. D'abord O. El Kazabri a réussi à redonner une nouvelle vie à la Mosquée Hassan II. Le temps d'un mois, la deuxième plus grande mosquée du monde devient l'épicentre de la ferveur religieuse ramadanesque. Alors qu'elle est désertée durant le reste de l'année par les Casablancais. Propulsé au devant de la scène en pleine réforme du champ religieux, El Kazabri est une figure, indirecte, de cette réforme. Si l'Egypte et le Moyen-Orient ont trouvé dans Amr Khalid l'icône d'un islam opposé à celui du modèle des Frères musulmans, Omar El Kazabri est le représentant officieux d'un islam made in morroco. Le ministère des Habous a même offert, avec les télés plasma installées dans les mosquées, un DVD exclusif du Cheikh. Les vidéos d'El Kazabri cartonnent sur le Net et à Derb Ghallef, ce qui en fait un redoutable concurrent non seulement pour les imams de la péninsule arabique, mais aussi pour les chanteurs du chaâbi. Une success story Assister à au moins une soirée de la prière des tawarih à la Mosquée Hassan II est devenu un rite pour les fidèles. C'est en 2005 que la kazabrimania prit son envol. Depuis, le jeune iman de 35 ans est devenu une personnalité publique, dont la moindre information sur sa vie nourrit la chronique urbaine et vend des dizaines de milliers d'exemplaires des quotidiens. Durant un mois, un quotidien arabophone nous a servi l'autobiographie détaillée du jeune iman. Un autre quotidien publie une longue interview du Cheikh, où il révèle une affaire de sorcellerie dont il a été victime. O. El Kazabri joue le jeu des médias. Medi1 Sat a passé une journée avec lui, et l'imam profitera de l'occasion pour présenter ses amis et répondre à ses détracteurs. Le joueur de foot Mohammed Benchrifa, un grand ami d'El Kazabri, fera l'éloge du talent footballistique du plus célèbre imam au Maroc. Si on parle souvent d'El Kazabri, il est cependant rarement question de son brillant parcours dans l'école religieuse à Marrakech, sa ville natale. Omar boucle l'apprentissage complet du texte sacré à 11 ans, sous la supervision de son père, Cheikh Mohammed El Kazabri. En 1996, le jeune marrakchi part pour compléter sa formation à l'Institut islamique à la Mecque. Il officiera comme imam à la Mosquée de l'université à Jeddah. Il séjournera également en Egypte. Avec l'appui de son mentor Ahmed Al Maâssarawi, il a publié un guide sur "l'achèvement des dix récitations". Cinq ans plus tard, O. El Kazabri est de retour au Maroc sans obtenir aucun diplôme ! Ceci ne l'empêche pas de triompher. La suite sera une sucess story dans une société où l'ascenseur social est grippé. O. El Kazabri est désormais un people de la religion. Un champ duquel le vedettariat est normalement banni. Ses premiers pas en tant qu'iman, il les fera à la mosquée Arrayane au quartier El Oulfa à Casablanca. Le jeune iman attire rapidement les foules et crée des embouteillages monstres dans ce quartier. Les autorités étaient dépassées par le nombre de fidèles. Après le 16 mai 2003, l'Etat lui demande d'interrompre ses prêches. «Vu le contexte sensible de l'époque, j'ai accepté cette décision. Cette période a constitué une occasion pour réfléchir et de revoir des choses», reconnait El Kazabri. L'iman ne chômera pas. Il sera invité à la Mecque pour diriger la prière dans la deuxième mosquée de la ville sainte. Fin 2004, il reçoit un coup de fil qui va changer sa vie : Omar El Kazabri est nommé par Dahir imam de la Mosquée Hassan II. Ramadan 2007, il bat tous les records en termes d'affluence. Ce même mois, il est décoré par un Wissam royal au Palais de Tanger, quelques minutes seulement avant le Ftour. Il retournera le même soir à Casablanca à bord d'un jet privé, mis à sa disposition par le roi himself, pour diriger la prière de Tarawih à la Mosquée Hassan II. «La sécurité spirituelle» des Marocains n'a pas de prix. Zina Daoudia La Faïrouz du Chaâbi Noura Mounib Stati n'a qu'à bien se tenir. La concurrence est rude et ce ne sont pas les fans de la jeune violoniste casablancaise qui diront le contraire. Du haut de ses 32 ans, Zina Daoudia manie l'archet comme un maestro, enchaînant avec agilité morceaux entraînants et mélodies douceureuses devant un public envoûté. Jamais une femme ne semble avoir été aussi habile et experte en matière de «kamanja» que Zina Daoudia. Hind Hanouni, de son vrai nom, n'a d'yeux que pour sa musique et son public. Un public qui le lui rend bien, et grâce auquel la jeune artiste trône désormais parmi les divas de la chanson populaire marocaine. En quelques années à peine, Daoudia est parvenue à entrer dans la cour des grands du chaâbi, se hissant même au rang d'icône de la femme artiste ayant réussi à perçer dans un milieu a priori réservé à la gent masculine. Cette ancienne footballeuse s'est en fait découvert une passion pour le chant dès l'âge de 9 ans. A chaque fête scolaire ou familiale, la petite Hind montait sur scène, ravissant l'assistance de sa petite voix cassée. Un timbre original qui la promettait à un avenir de star. Mais c'était compter sans la désapprobation de son entourage, qui ne conçevait pas d'avoir une «chikha» parmi les siens. Déçue mais têtue, la future queen de la chanson populaire ne lâche pas prise et persiste contre vents et marées pour imposer son choix de vie, convaincue que ce dur sacrifice en vaut la peine : «Mes parents m'ont lâché durant plus d'un an» , se désole la chanteuse. Elle commençe alors sa carrière par la musique Rai. De mariage en mariage, Chebba Zina emballe les curs de sa voix forte et sensuelle à la fois. Mais sa carrière est véritablement lancée le jour où on lui proposa d'enregistrer un album. Le succès est immédiat. Sauf que la jeune femme décide de changer de registre. Elle se rebaptise ainsi Daoudia en référence à ses origines, se joignant de la sorte aux grands noms du chaâbi, tels Senhaji, Daoudi et Stati. En quête d'originalité, la jeune femme cherche le détail artistique qui la distinguera. Elle opte alors pour la «Kamanja». Le tour est excellemment joué. Elle devient aussitôt la chouchoute des Marocains résidant à l'étranger, sillonne le monde, se forgeant un nom au fil des représentations. Aux yeux de ses fans, Daoudia est l'une des rares femmes artistes à maitriser aussi bien l' instrument que le chant châabi. Dès qu'elle prend son violon entre ses mains, l'ambiance s'échauffe : «J'ai tout risqué pour la musique, mais j'ai trouvé mon public», souligne souvent la chanteuse. De par ses multiples passages à la télévision et sa présence régulière dans la presse, Daoudia a réussi à briser cette image négative de la «Chikha» : «Le chaâbi a toujours été respecté. Le problème réside dans les mentalités et les préjugés rabaissants véhiculés par certains à propos de ce genre artistique», explique l'artiste. La jeune femme, dont les pieds n'ont jamais frôlé le sol d'un conservatoire, se considère comme une fille du peuple, et dans ce sens, aspire à valoriser la musique populaire marocaine, sans pour autant renier ses traditions et ses origines. Malgré plusieurs opportunités proposées pour immigrer à l'étranger, Daoudia a toujours clamé haut et fort sa marocanité ici comme ailleurs et veut continuer à vivre dans son pays. Sa famille a enfin compris son combat, et lui a accordé la bénédiction tant attendue. C'est Zina Daoudia, la diva du Chaâbi