Pour Mustapha Benhamza, théologien, professeur universitaire et président du Conseil régional des ouléma de l'Oriental, il faut éviter les scénarios alarmistes tout en veillant à la protection des pèlerins par la mise en place d'un système préventif fiable : c'est une obligation morale et religieuse. ALM : Les autorités sanitaires dans plusieurs pays musulmans ne cachent pas leurs inquiétudes quant aux risques de propagation de la grippe A(H1N1) à l'occasion du pèlerinage de cette année. Que stipule le fiqh malékite dans de telles situations ? Mustapha Benhamza : En Islam, il y a une constante de base. Il n'est pas autorisé de s'exposer aux dangers ou de mettre en péril sa santé ou ses biens. Au contraire, c'est une religion de «Youssre» qui allège les fardeaux et les contraintes de circonstances. Même pour la prière, qui est le pivot central de la «Akida» musulmane, le croyant a la possibilité et l'autorisation de prier assis quand il est malade et de la réduire à la moitié quand il est en voyage. C'est le même cas pour le jeûne. Un malade ou un voyageur peut rompre son jeûne lorsqu'il se sent menacé par les périples du voyage ou par une maladie chronique. C'est dire que ces allégements ne sont pas une réponse à un problème de parcours isolé. C'est un principe de base que les lois du fiqh ont consolidé au fil des années. Concernant les risques se rapportant à la propagation de la grippe A(H1N1) durant l'accomplissement du pèlerinage de cette année, il faut les traiter avec prudence. Et là aussi ce n'est pas un cas isolé ou une nouveauté en soi. Au Maroc, nos illustres savants ont procédé à plusieurs reprises soit à l'interdiction du pèlerinage aux Lieux Saints, soit à la mise en quarantaine des pèlerins marocains qui rentraient au pays et qui représentaient des risques de contamination. On les gardait à vue afin d'être sûr que la mise à l'écart est respectée. Le fiqh a autorisé cela par souci de protection de l'ensemble de la société. Un individu ne peut nuire au groupe et vice versa. À partir de ces données, le fiqh n'a aucun problème pour restreindre la visite aux Lieux Saints. Ceci dit, le fiqh laisse le dernier mot aux autorités compétentes en la matière, à savoir le corps médical, les chercheurs des CHU et les virologues. La décision finale pour ce qui est des maladies contagieuses et transmissibles revient aux docteurs qui ont une autorité scientifique corroborée par une autorisation religieuse. La raison et l'argument médical sont pris en considération par l'ensemble des ouléma. Si les médecins disent que le pèlerinage représente un danger et que la contagion est réelle alors l'interdiction est automatique. Et si ces mêmes médecins pensent qu'il s'agit d'une exagération, que le danger n'est pas éminent ou que le vaccin est en mesure de prémunir l'ensemble des pèlerins alors l'autorisation religieuse est acquise de facto. Avec de tels allégements ou restrictions, ne pensez-vous pas que le pèlerin est maître de son choix et qu'il peut braver l'interdiction s'il est vacciné ? Certes il l'est, mais il est aussi responsable de sa santé ainsi que pour celle des autres. S'il doute qu'il est porteur du germe contaminateur, il n'a pas le droit de menacer ses frères. S'il souffre d'une maladie ou d'une fragilité physique et qu'il risque d'être infecté, il ne doit pas accomplir le pèlerinage. Et s'il a pris des réserves en se vaccinant, même les scientifiques ne sont pas sûrs de la mutation génétique de la souche virale du virus. Et c'est un cas d'Histoire car le second calife Omar a, à maintes reprises, reporté des choses importantes qu'il devait réaliser à cause d'une maladie ou d'une menace. Et lorsqu'on lui disait : «Est-ce que tu fuyais le destin de Dieu ?» Il leur répliquait qu'il faut savoir esquiver le destin pour ne pas cautionner ce que Dieu nous a donné. Accepter ce qui nous arrive n'est pas un aveuglement en soi, faisait- il remarquer. La croyance et la foi ne vont pas à l'encontre de l'intelligence humaine. Rappelons aussi que les gens ne sont pas partis à La Mecque en période de guerre. C'est le cas lorsque les Karamites (Khawarije) occupaient les Lieux Saints. Cela a fait que pendant plusieurs années les gens avaient peur pour leur vie et n'ont pas accompli le pèlerinage. Et pour ce qui est de la Omra surtout en cette période de Ramadan ? Ce qui est applicable à l'obligation en Islam l'est aussi pour la ferveur religieuse. En plus, la Omra ne se limite pas au mois sacré de Ramadan. On peut la faire quand on veut et quand on peut. L'être humain ne peut s'obliger ce que Dieu ne lui a pas imposé. Il y a un côté tolérant dans la pratique de la foi que certains oublient. Et même le Hadj pour les malékites n'obéit pas à un timing rigide. Il ne faut pas s'empresser surtout que de nos jours il y a un tirage au sort à faire et les facilités de jadis ne sont pas acquises sur le champ.