Osons un sacrilège, car pour mieux sentir la véritable nature du football et de ce qu'il est en train de devenir, il faut le comparer à une drogue ou pire encore, à un cancer. Voici pourquoi. Le football, sport roi de par le monde, présenté par d'aucuns comme une sorte de religion des peuples est, en fait, une sorte de cancer de la vie sociale. Pour ne point se choquer de cette affirmation, commençons par admettre que la passion football phagocyte tous les autres sports du pays où il est pratiqué. Le football a pris l'habitude de tout dévorer autour de lui. Il bouffe tout, pour parler de façon triviale ; dès qu'il y a un match de foot, plus rien d'autre n'existe, le hand, le basket, le volleyball perdent, chaque saison, du terrain devant cet ogre auquel les télévisions ne refusent rien, et lui accordent des ponts d'or qui ont transformé les « footeux » en sportifs gâtés – pourris, collectionnant voitures de luxe et colifichets hors de prix. Jadis sport des masses ouvrières, le foot est devenu vecteur de luxe et de salaires mirobolants. Avant de disparaître dans les pénombres de l'Histoire, Sepp Blatter avait eu cette déclaration angoissée : « Le foot est devenu pornographique ». C'est bien de le constater, mais qui peut arrêter les dérives ? Et on peut en rajouter, à qui mieux mieux, dans tous les vices que peut véhiculer le football : le racisme, le nationalisme, la corruption, l'hooliganisme, les trafics de contrats, les transferts douteux, le non-respect du droit des uns et des autres, tout est permis au nom du football. Les Etats et leurs politiciens le cajolent dans le sens du poil; plus d'un Conseil de Gouvernement, plus d'une séance parlementaire ont été reportés jusqu'à ce qu'un match «important » se soit déroulé. Non seulement, on se met en vacances pour cause de foot, mais encore on s'en vante en en faisant des effets d'annonce. Et pour cause. Il est de bon ton, voire vital pour sa survie politique, de montrer au peuple qu'on partage les mêmes ferveurs que lui. On peut tout rater, un plan urbain, un budget, un programme économique, mais pas un match de foot – quand celui-ci déclenche passions et ferveur nationale. On connait le discours guerrier du foot où les chroniqueurs n'hésitent pas à parler de dominer, d'écraser, l'adversaire. Le manque de fair-play nous pousse même à évoquer l'arbitrage « at-home » pour pardonner les erreurs quand celles-ci sont en notre faveur. « A mort l'arbitre » est un film des années 80 qui a bien souligné jusqu'où peut conduire le foot. Cependant, plus personne ne s'en offusque car tout cela est normal si on convient que le foot est le miroir de la société, il est naturel que le foot devienne le réceptacle de toutes les plaies de cette société. Mieux encore, il les valorise : tout ce que l'on s'interdit de faire dans la vie quotidienne devient possible quand il s'agit de foot. On pardonne aux gamins déchaînés qui saccagent les rues et les stades, on fait le sourd quand ils chantent des mots venus d'ailleurs et dans lesquels ils stigmatisent leur mal être. Même le tout-puissant Qatar, patron du PSG (Paris) doit traiter avec certains trublions des tribunes du Parc des Princes. Le même Qatar qui s'est fait plus connaitre quand il a «pris» le PSG que dans tout ce qu'il a fait par ailleurs. Et aussi un Qatar qui a mis toute sa formidable puissance financière au service de la Coupe du Monde 2022. Pour du foot en fin de compte. Le foot pour lequel s'engagent toutes les multinationales et qui attire tous les gros sponsors de la planète pour le plus grand bonheur de la FIFA devenue « l'association à but non lucratif » la plus riche du monde. Le foot n'en est pas à une contradiction près. Le foot qui peut faire ou défaire les réputations, mais si le foot vous adopte, vous êtes tranquille pour la vie. Demandez à Bernard Tapie (France) Berlusconi (Italie) et son compatriote Agnelli (Juventus et FIFA) ce qu'ils doivent au foot. Ce foot de plus en plus populiste après avoir été populaire et où il faut que le public vous adoube pour votre salut. On a vu des personnages bien en vue dans leur vie de tous les jours « s'abaisser » devant des voyous de tous genres sous le seul prétexte que ceux-ci étaient … des supporters. Même une institution comme l'A.S. FAR (Maroc) « traite » avec ce qui fait son public – ces fameux «ultras» qui veulent leur part du gâteau. Et ce n'est pas en termes d'argent qu'ils négocient, mais en termes d'influence. Ils veulent avoir leur mot à dire, ils veulent que les équipes deviennent comme ils voudraient qu'elles soient. Même un Derby géantissime comme le Derby casablancais doit passer par les exigences des ultras. Le mot d'ordre des «Green» et autres «Winners», a fait vider le stade de Marrakech où s'est déroulé le dernier choc que le Wydad a remporté (1-0) dimanche dernier et où le Raja a vu que rien ne serait facile dans la gestion de ses joueurs et de ses finances, même si le plus aguerri des technocrates vient le présider. En foot où les valeurs ont changé de camp, on ne sait plus où sont les vérités. Qui commande en football ? On a répondu, assez naïvement, que c'était le résultat. Or, comme le résultat est manipulable de plusieurs façons et que certains groupes de pression sont devenus des « influenceurs » pour qu'un résultat de match soit à leur convenance, et bien plus personne ne maîtrise plus rien. Qui est à l'abri d'une mauvaise volonté du vestiaire qui peut vous conduire à la perte comme ce qui s'est fait, en Angleterre, contre Mourinho dans le « grand » Manchester United ? Or, comme les joueurs sont tributaires des « supporters » qu'ils craignent plus qu'ils ne respectent les comités, tout devient possible quand les supporters ont décidé « d'avoir la peau » de quelqu'un. Oui la question se pose désormais plus insistante que jamais, qui détient le pouvoir dans le foot ? La réponse sera difficile, car le foot est devenu un pouvoir en lui-même. Alors quand ce pouvoir tombe dans les « mauvaises » mains, … alors il faut attendre que ce monstre, créé par nos angoisses et nos erreurs, finisse de dévorer tout ce qui bouge autour de lui.