Au cours de ces deux dernières années, le ministère de la Justice a initié plusieurs actions dans le but de combattre le phénomène de la spoliation foncière. Entre autres, on peut citer l'amendement de l'article 4 du Code des droits réels et les projets relatifs à la création d'un registre des procurations et à la refonte du régime juridique des sociétés civiles immobilières. Les brèches exploitées par les spoliateurs ne sont pas totalement neutralisées. C'est pourquoi, il devient urgent de s'attaquer aux réquisitions d'immatriculation dormantes. Introduit au début du siècle dernier, le régime de l'immatriculation foncière qui a vocation à être généralisé en raison du degré de sécurité qu'il procure à la propriété foncière, demeure confiné aux centres urbains et peu développé en milieu rural. Selon les chiffres dont fait état une note récente du Conseil Economique Social et Environnemental portant sur la stratégie foncière, le « non immatriculé » est de loin le régime foncier dominant. Et si on ne prend que l'exemple des terres collectives qui représentent 15 millions d'hectares, soit 21 % de la superficie nationale, elles ne sont immatriculées qu'à concurrence de 9%. C'est trop peu pour plus d'un siècle d'immatriculation. Certes, l'immatriculation foncière n'est pas obligatoire ; elle est laissée à l'appréciation du propriétaire sauf dans les cas prévus par le Dahir du 12 août 1913. Mais le caractère facultatif de l'immatriculation n'est pas la principale raison du retard. Loin de là, les raisons sont multiples, parmi lesquelles la procédure d'immatriculation qui ne favorise pas le développement accéléré du régime de l'immatriculé et qui est parfois utilisée comme technique de spoliation foncière. La réquisition d'immatriculation est généralement introduite par le propriétaire du bien immeuble. Sachant qu'elle peut être aussi déposée par le bénéficiaire de certains droits réels (usufruit, Houa, emphytéose etc.) et même par le créancier non payé à l'échéance. Bien que la réquisition suive un formalisme bien défini, il arrive qu'elle soit «perdue» dans les circuits de l'administration pendant de longues années. En effet, il n'est pas rare de voir des réquisitions frappées d'oppositions « dormir » dans les Conservations foncières pendant plus de dix ans. Comment expliquer cet « oubli » des réquisitions alors que le texte du 12 août 2013 fixe des délais pour chaque étape de son traitement (publication au bulletin officiel, bornage, opposition et transmission du dossier au tribunal) ? Dans une affaire de spoliation foncière, le dossier n'a été transmis au tribunal que quinze ans après le dépôt des oppositions. En le maintenant de manière anormale au niveau de l'administration, les opposants ont été privés de la possibilité de faire valoir leurs droits sur la propriété objet de la réquisition. Et en jouant sur le temps et les différents événements survenus (surtout décès des opposants), le spoliateur a pu arriver à ses fins. Et lorsque les héritiers des opposants ont découvert la mascarade, c'était trop tard. Compte tenu de cet exemple concret, nous sommes d'avis que cette brèche mérite d'être traitée à son tour à travers l'amendement de quelques articles du dahir du 13 août 1913 relatif à l'immatriculation foncière. Les délais de traitement des réquisitions doivent être mieux définis pour éviter les retards excessifs. Au bout d'un certain délai, une réquisition doit être obligatoirement tranchée; soit elle est retenue et la propriété est immatriculée, soit elle est annulée, soit son dossier est transmis au tribunal compétent. Mais en aucun cas, le Conservateur ne doit avoir la latitude de garder le dossier pendant des années sans aucune suite. En procédant ainsi, le législateur va faire d'une pierre deux coups; fermer une autre porte par laquelle s'engouffrent les spoliateurs et en même temps, accélérer le rythme de l'immatriculation foncière.