L'époque des bandits de grand chemin est révolue : est venue l'ère des bandits «tous chemins», ceux qui utilisent les voies numériques pour s'enrichir au détriment de leurs victimes. Barlamane.com démontre la variété des stratégies et tactiques déployées par quelques criminels notoires. Le principal enseignement de notre enquête est que la diffamation et l'extorsion ne germent plus dans un monde souterrain, elles sont largement présentes dans la sphère réelle et y prospèrent. La création de l'Observatoire marocain de lutte contre la diffamation et l'extorsion (OMLDE) par Barlamane.com, largement couverte par les médias, répond à une nécessité première : jeter une lumière crue sur des phénomènes relatifs à la délinquance, en ligne essentiellement, souvent sous-estimés, et sur l'émergence d'individus capables d'exploiter les ressources collaboratives du numérique pour attenter à des institutions souveraines ou à des personnes physiques ou morales. Activités délictueuses, fausses identités, intermédiaires, complices, fraudes, menaces, attaques calomnieuses menées à une échelle industrielle : les rares enquêtes empiriques menées sur ce qu'on appelle désormais le business de la diffamation se sont rarement consacrées aux maîtres-chanteurs qui négocient une rétribution ou une répartition des profits selon le succès de leurs entreprises criminelles. Nos confrères de Barlamane.com dans sa version arabophone ont consacré une enquête fouillée (à lire ici) qui retrace le parcours de trois corbeaux notoires : Hicham Jerando, entendu en février par le service de police de Montréal (SPVM) pour des menaces envers un juge marocain, diffusées via une vidéo sur YouTube en mai 2023. Le second, Abdelmajid Tounarti, propriétaire d'une page Facebook très suivie et spécialiste en «monétisation» de ses révélations. Les deux optent pour le même stratagème : convertir leurs contenus illégaux sur internet en profits, à travers des transferts de fonds impliquant un schéma structurel bien ficelé, le troisième est Driss Farhane, un repris de justice récemment condamné par la justice italienne. Le cas Jerando La distance géographique qui sépare physiquement les tenants de ces marchés illicites d'escroquerie et leurs victimes procure aux premiers l'impression d'une impunité totale. Selon El Amine Serhani, membre de la communauté marocaine au Canada, il a été visé par une campagne diffamatoire lancée par Hicham Jerando, une pratique devenue «un business pour plusieurs individus qui font ça au quotidien. Ils peuvent gagner 10 000 $ par mois grâce au partage de revenus. C'est un phénomène qui est déplorable», a-t-il avancé à la presse canadienne. Hicham Jerando, qui se présente comme administrateur d'une société de développement commercial à Montréal, publie régulièrement pour les 410 000 abonnés de sa chaîne YouTube, Tahadi, des vidéos oscillant entre l'outrage, la diffamation et le complotisme. Selon la presse canadienne, un avocat marocain Adil Saïd Lamtiri, a saisi la Cour supérieure du Québec après des accusations injurieuses formulées par Jerando, le dépeignant comme un «avocat véreux» trempé dans le blanchiment d'argent, la «fuite fiscale» et «violence domestique». Le tribunal a ordonné en juillet 2023 à M. Jerando de supprimer ces publications. Il ne l'a pas fait, se retranchant derrière «l'exercice de la liberté d'expression», mais il a supprimé des vidéos où il expose un narcotrafiquant notoire après avoir obtenu 6 500 euros de l'épouse de ce dernier, selon l'enquête de Barlamane.com. Le 19 janvier, Jerando a été condamné pour outrage au tribunal et à payer 2000 $ d'amende, sans jamais présenter les preuves de ses allégations de corruption. Le cas Tounarti Fauché, surendetté, sans statut professionnel, mal famé, Abdelmajid Tounarti, âgé de 46 ans, dirige une page Facebook qui lui permet d'agréger à grande échelle des sommes colossales. Derrière le militant «anticorruption» se cache un monde «souterrain» où fleurit une activité criminelle inspirant le sentiment qu'elle est structurée à l'image de celles des mafias ou des cartels. Les révélations embarrassantes enterrées contre rançon se multiplient. Chaque jour apporte ainsi son lot de nouvelles exactions, commises par Tounarti et ses complices. La prédation des ressources financières s'opère par extorsion, à travers des sous-traitants ou des prestataires de services habitués à ce genre de méfaits. L'éventail des pratiques utilisées est si large que l'enquête de Barlamane.com a mis en évidence des liens flagrants entre Tounarti et Jerando : les deux accordent à leurs informations une valeur marchande propre, échangeable contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Un procédé utilisé contre les narcotrafiquants essentiellement, et les sommes réclamées sont considérables : 10 000 euros à chaque fois. Plusieurs complices de Tounarti ont été arrêtés en 2023 par la police marocaine. Le cas Driss Farhane Driss Farhane, directeur de publication du site électronique Choroknews24, établi en Italie, est connu dans sa ville d'origine Fès comme étant un escroc notoire ayant des démêlés avec la justice marocaine, au point qu'il est surnommé «Driss-Article-540», (allusion à l'article 540 du code pénal marocain relatif à l'escroquerie). «Ses contenus, au lieu de se démarquer par des propos clairs et dénués de toute ambigüité, le rendent coupable d'une infraction pénale grave impliquant la diffamation caractérisée contre des responsables publics, et ce dans l'objectif de retirer des avantages financiers d'un tel fait. En plus, les outrages formulées ne reposent sur aucune base factuelle», soutient notre enquête. Rebondissement majeur : la brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) a traduit, mercredi 26 mars devant le procureur général près le tribunal de première instance à Casablanca, Abdallah Boussouf, secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger, Saïd El Fekkak, membre du bureau politique du Parti du progrès et du socialisme (PPS, opposition) et ancien responsable de la fondation Hassan II pour la promotion des œuvres sociales au profit du personnel du secteur public de la santé, ainsi que le dénommé Abdellatif Ouzzine. Pénalement, l'échelle des sanctions distingue la diffamation envers «tout dépositaire ou agent de l'autorité publique pour des faits relatifs à ses fonctions» et la diffamation envers les «particuliers», en plus des allégations contre «des dépositaires ou agents de l'autorité, ou contre toutes personnes ayant agi dans un caractère public». La verve criminelle des trois individus objets de cette enquête n'ont rien épargné : ni les personnes «chargées d'un service ou d'un mandat public», ni les responsables judiciaires, ni les officiers ministériels, ni les membres de l'administration publique. Le respect des grands intérêts moraux et politiques du pays est sacré. L'inviolabilité des lois et les principes de droit ne peuvent rester livrés à la violence des polémiques et des diffamateurs. La justice protégera les serviteurs de l'Etat comme les institutions souveraines. Le danger particulier, à l'heure où nous sommes, est plutôt dans «ces petites trahisons officielles» qui chercherait à encourager l'irruption soudaine, bruyante, dans les affaires publiques, de quelques agités guidés par l'appât du gain.