Entretien. Le peintre Mostapha Boujemaoui a une démarche originale dans le champ des arts plastiques au Maroc. Les idées interviennent activement dans son travail. Il expose à partir du 2 avril à l'I.F. de Casablanca. Aujourd'hui le Maroc : Quand on parle de vous, on vous désigne comme un peintre conceptualiste, que pensez-vous de cette appellation ? Mostapha Boujemaoui : Je n'aime pas les étiquettes. Taxer quelqu'un d'une quelconque qualification est réducteur. Cela dit, il y a l'esprit minimal, conceptuel dans mon travail, parce que je traduis des idées. La pensée philosophique guide ma démarche. Je matérialise des pensées philosophiques par des éléments plastiques. Peut-être qu'on peut dire que c'est un esprit conceptualiste. Le concept du déplacement, du voyage traverse mon œuvre. Le verre de ma vie est aussi un concept, parce qu'il est un objet socio-culturel au Maroc. La peinture conceptualiste peut se suffire à elle-même sans le discours qui l'accompagne. Il l'accompagne, oui, d'accord ! Mais attention, l'art contemporain nécessite l'explication de la démarche d'un artiste, qui plus est conceptualiste ou performiste. La peinture contemporaine ne peut pas échapper au discours, à l'explication, parce qu'il faut expliquer, ne serait-ce que pour montrer que l'on sait où l'on va, qu'un concept cohérent sous-tend la démarche de l'artiste. Vous avez une démarche singulière par rapport aux autres peintres marocains, pouvez-vous en parler ? J'ai un style qui diffère de celui des amis peintres. Je trouve que c'est une bonne chose. La peinture marocaine s'enrichit de la pluralité des démarches. Il faut qu'il y ait plusieurs voies. C'est un signe de la vitalité des arts plastiques au Maroc. Vous êtes aussi un peintre chercheur. Votre peinture ne peut se faire sans recherches… C'est ça, je réfléchis beaucoup. Un peintre chercheur ne produit pas beaucoup. C'est quelqu'un qui réfléchit, qui pense à la créativité, à l'originalité. Il est obsédé par l'art, il est loin des considérations matérielles. Les peintres producteurs sont trop matérialistes. En revanche, les peintres chercheurs s'engagent dans une aventure, une très grande aventure. Ce n'est pas une carrière d'argent, c'est un travail qui demande de la réflexion, de la patience, de l'humilité… La répétition du motif caractérise vos tableaux. Vous dites que cette répétition aboutit au mysticisme. Pouvez-vous développer cette idée ? Ce sont des techniques de méditation tout simplement. Les Asiatiques ont d'autres techniques de méditation. Ils pratiquent le bouddhisme, la méditation transcendantale avec d'autres méthodes. Dans notre culture arabo-musulmane, il y a des moyens de méditation comme le dakir. Égrener un chapelet participe de cette répétition. Pareil pour le dikr qui est fondé sur la répétition du mot Allah. L'essentiel, c'est d'atteindre à la jouissance pure. Cet esprit se trouve chez les peintres, chez les créateurs. Ils sont comme les mystiques, la peinture est un exercice individuelle. Le lot des peintres est la solitude. La peinture est une expérience solitaire… Et c'est très difficile. Il faut avoir la force, le courage d'être solitaire. C'est une aventure, une très grande aventure. On ne voit pas le bout de cette aventure, on est dedans, un point c'est tout !