Pour Salaheddine Mezouar, il est grand temps que le RNI soit le plus clair possible au niveau de son identité, de sa stratégie, de son positionnement et de ses choix. C'est cela qui fera avancer le champ politique au Maroc et réconcilier les citoyens avec la politique. ALM : Comment trouvez-vous la réaction du RNI dans l'affaire Mohamed Jouahri ? Salaheddine Mezouar : En tant que militants et responsables du RNI, nous avons été profondément touchés et affectés par l'association du parti à l'affaire «Jouahri». Le RNI a eu raison de réagir, mais ce qui nous pose problème, c'est le contenu du communiqué du RNI compte tenu de la teneur avec laquelle il a été rédigé et la manière avec laquelle il a été élaboré. Nous estimons qu'il était nécessaire de réunir les membres du comité exécutif pour discuter de la question et prendre une position commune et réfléchie avant de publier n'importe quel communiqué, et je ne fais ici que traduire un sentiment partagé par la majorité des membres de l'instance dirigeante. Qu'est-ce que vous reprochez au juste à M. Mansouri dans la gestion de cette affaire ? Je n'aime pas personnaliser le débat mais ce que nous reprochons au président du parti c'est la manière avec laquelle il a traité cette affaire. Certes, il fallait réagir à la dépêche de la MAP, mais non sans réunir l'instance exécutive compte tenu de sa gravité. Quand on dit dans un communiqué «que le parti est visé, que les structures de l'Etat sont impliquées, …», ces propos sont tellement graves, qu'il était indispensable d'en débattre au sein du comité exécutif pour les assumer collectivement si preuves y'en a. Dans un communiqué, les termes utilisés ne sont pas neutres : il faut penser à la façon avec laquelle ce message sera perçu et interprété par l'opinion publique et par nos militants. Et depuis la publication de ce communiqué, est-ce que vous vous êtes réunis ? Il n'y a pas eu de réunion depuis, mais juste des contacts téléphoniques. Nous attendons la prochaine réunion du comité exécutif pour s'expliquer. Nous espérons que le président va convoquer rapidement cette instance. Le communiqué en question fait allusion à un acteur politique, en l'occurrence Fouad Ali El Himma. Je suis contre la personnalisation du débat. Monsieur Fouad Ali El Himma est dirigeant d'un autre parti politique que nous respectons et avec qui nous partageons des convictions et des valeurs. De là à insinuer qu'il est derrière cette affaire, c'est aller vite en besogne, sauf s'il y a des preuves, et il faudra nous les fournir. Etes-vous en train de préparer une scission au sein du RNI ? Il ne s'agit ni de scission ni d'un coup de force. Nous sommes des démocrates et nous respectons la légalité. Notre action n'est pas dirigée contre une personne, mais contre la manière avec laquelle elle gère le parti. Nous sommes profondément inquiets, après l'espoir au dernier congrès, qui a marqué un profond tournant dans la vie du RNI, et cet espoir ne doit pas être déçu. Des engagements ont été pris pour le renouveau du parti, et nous veillerons à ce qu'ils soient respectés. Et c'est quoi le renouveau au sein d'un parti ? Le minima est que ses instances se réunissent normalement. C'est aussi le débat démocratique autour des questions qui concernent le pays et la société, pour produire des idées et des projets, et pour aider à l'émergence des élites internes. C'est aussi notre capacité à communiquer avec les citoyens, et les séduire par nos idées, nos valeurs et nos projets. Le RNI adhère à un projet de société démocratique, moderne et ouvert sur le monde, mais il ne suffit pas uniquement d'y adhérer, il faut le porter. Il doit se traduire en actes et en actions. Il doit également se traduire par des actes politiques cohérents sur le terrain. Ce que nous avons vécu durant ces dernières élections nous a ramenés à des pratiques contraires, totalement incohérentes, faute d'une vision interne et de gestion collégiale. Notre parti a donné une image de lui-même qui n'est pas digne ni de la position politique qu'il occupe ni du projet qu'il est censé porter et défendre. On ne peut pas nouer des alliances avec un parti qui porte un projet et des valeurs qui sont aux antipodes des nôtre, et je fait clairement allusion ici au PJD. Le citoyen ne comprend plus rien, et nos militants et sympatisants non plus. Vous êtes contre l'alliance avec le PJD. Est-ce votre avis personnel ou celui du parti ? C'est incontestablement l'avis de la majorité. La présidence du parti a volontairement évité d'engager un débat interne autour de la question des alliances, et pourtant elle est fondamentale, car elle définit également notre identité. Nous sommes taxés d'être un parti sans identité, qui accepte de s'allier au gré des situations. Ceci nous porte préjudice, et nous devons y mettre fin. Ce qui est encore plus grave, c'est que cette situation, aggravée par une succession d'erreurs politiques, a conduit à une hémorragie interne. Des députés, conseillers, élus locaux et militants abandonnent le parti. Cette hémorragie risque de s'accentuer avec la prochaine rentrée politique. Nous sommes déterminés à arrêter cette hémorragie et à sauver le parti, c'est pour cette raison, entre autres, que nous faisons cette sortie. Et je saisis cette occasion pour lancer un appel à tous ceux qui nous ont quitté pour regagner les rangs de leur parti pour que ensemble nous procédions au renouvellement et à la redynamisation du RNI. Vous visez qui à travers cette démarche ? A travers cette démarche, nous tirons la sonnette d'alarme. Nous tenons à souligner encore une fois que notre dynamique n'est dirigée contre une personne. Nous voulons éviter au parti une situation difficile, lui permettre de maintenir sa position et rentrer dans la normalité. Et ce, à travers la fixation d'ambitions claires. Jamais un parti ne pourra fonctionner normalement s'il n'a pas des objectifs et des ambitions connus et partagés par tous ses militants. Un parti ne peut pas fonctionner s'il ne prend pas de positions claires. Nous voulons faire de cette initiative, soutenue par l'écrasante majorité du RNI, une véritable opportunité de dynamisme au sein du parti. Et encore une fois, aucune personne n'est visée à travers cette démarche. Vous dites que votre initiative est soutenue par l'écrasante majorité du RNI. Est-ce les prémices d'un coup d'Etat au sein du RNI ? Nous sommes pour le respect de la légalité. Nous ne sommes pas en train de faire un coup de force. Nous voulons arrêter l'hémorragie, remettre les structures en marche et recréer la cohésion interne. Nous travaillons, sur le très court terme, pour obtenir un résultat significatif au niveau des élections régionales et la présidence des régions, parce que la régionalisation constitue un point central dans le programme du parti, et parce que nous voulons être de vrais acteurs dans l'élaboration de la vision tracée par Sa Majesté le Roi. Nous voulons également, à travers cette dynamique de la régionalisation, faire émerger de nouvelles élites locales qui accompagneront ce projet. Après la rentrée parlementaire, nous allons exiger la tenue du conseil national qui n'a, depuis le dernier congrès, tenu aucune réunion, ainsi que du comité central, pour procéder à une évaluation objective et sereine du fonctionnement et de la pratique politique du Parti depuis le dernier congrès. Ces instances doivent également définir les orientations futures. Notre objectif est de faire du RNI la première force politique en 2012, et c'est autour de cet objectif que les forces du parti doivent se mobiliser. Et c'est pour cette raison que nous voulons que tous ceux qui ont quitté le parti reviennent. Vous avez de grandes ambitions pour le RNI… Nous voulons donner au RNI les moyens de ses ambitions, celles d'un parti leader sur la scène politique, porteur des valeurs du renouveau de notre société. On ne peut pas assurer la transformation sociale et la mutation du Maroc sans partis politiques forts, structurés et cohérents dans leur démarche, et sans bien sûr un débat clair au sein de la société. Nous sommes porteurs d'un projet moderniste. Il faut que le débat soit posé. On ne peut pas passer un message à la population disant que nous sommes porteurs d'un projet moderniste et en même temps s'allier avec un autre parti porteur d'un projet totalement différent et opposé au nôtre. Cela devient de la schizophrénie politique. Nous ne voulons plus de schizophrénie politique. Nous voulons une ligne directrice claire en matière d'alliances, de position et d'identité. Le RNI a 31 ans aujourd'hui. Il est grand temps que le parti soit le plus clair possible au niveau de son identité, de sa stratégie, de son positionnement et de ses choix. C'est cela qui fera avancer le champ politique au Maroc et réconcilier les citoyens avec la politique. Comment avez-vous trouvé les résultats du RNI aux élections Communales ? Le parti a obtenu des résultats honorables mais plus au niveau rural que urbain. Le RNI aurait pu obtenir un bien meilleur résultat s'il avait su arrêter l'hémorragie, gérer d'une manière collégiale les élections dans leurs différentes phases et construire les alliances dans la discipline et la cohérence. Le gouvernement Abbas El Fassi est à sa deuxième année. Quel bilan en faites-vous ? Pour parler de bilan, il faut revenir à la déclaration gouvernementale et aux engagements qu'a pris le gouvernement. Le gouvernement s'est engagé dans des réformes structurelles importantes : l'éducation, la justice, la santé et l'agriculture. Il s'est également engagé à donner une impulsion nouvelle aux investissements publics et aux stratégies sectorielles, à lancer de nouvelles réflexions sur la gestion de l'espace régional avec une approche rénovée en matière de développement régional et à intégrer de nouvelles politiques en matière d' énergie et d'environnement. Il y a aussi la réforme fiscale. Deux années après, dans le secteur de l'éducation, la réforme est engagée avec des moyens substantiels. Le budget de ce secteur a été augmenté de 8,6 milliards de dirhams en 2009. C'est une première dans l'histoire de ce secteur doté désormais d'une vision claire et d'une démarche structurée. Concernant l'agriculture, le Plan Maroc Vert a été mis en place. Ceci s'est traduit en 2009 par une augmentation d'une enveloppe de 4 milliards de dirhams d'investissements dans ce secteur. C'est la première fois qu'une pareille somme a été consacrée à l'agriculture. Pour ce qui est de la santé, nous avons également augmenté la dotation pour accompagner la réforme. Qu'en est-il de la justice ? Concernant la justice, la vision a été finalisée et déclinée par SM le Roi. S'agissant des stratégies sectorielles, pour la première fois le secteur de l'industrie a bénéficié d'une dotation de plus d'un milliard de dirhams pour accompagner le nouveau pacte de l'émergence industrielle. Ce processus va continuer. Quand on prend le secteur du commerce avec Rawaj, 600 millions de dirhams ont été mis en place pour accompagner le plan de modernisation de ce secteur. Pour l'énergie, un fonds d'investissements d'un milliard de dirhams a été mis en place pour la stratégie du développement des énergies renouvelables, sans compter les moyens substantiels consacrés à l'électrification du pays. Concernant la réforme fiscale, en 2008 c'était l'IS. Pour l'IR, nous avons commencé en 2009 et nous continuerons en 2010. L'année prochaine, on appliquera la deuxième tranche de la baisse de l'IR. C'est dire que nous respectons nos engagements. En plus de tout cela, quand on voit ce qui se fait dans le monde rural et dans les secteurs sociaux, cela montre que le gouvernement est en train de déployer son programme. Le gouvernement obtiendra des résultats conformes aux engagements pris. Comptez-vous toujours atteindre vos objectifs malgré la crise économique ? La crise est une opportunité pour accélérer les réformes. Il y a deux attitudes face à la crise : celle de la méfiance ou celle du volontarisme. La première consiste à dire : nous n'allons rien faire, restons prudents et attendons que la vague passe. La seconde, volontariste, c'est celle que nous avons adoptée. Nous pensons que nous vivons la meilleure époque pour accélérer les réformes de fond. Tout le gouvernement est mobilisé aujourd'hui pour atteindre cet objectif. La crise c'est aussi une occasion pour nous de rectifier le tir. Nous sommes face à un contexte difficile. Nous mettons donc les moyens pour tirer vers le haut la croissance du pays. Nous bénéficions d'un avantage substantiel, celui d'affronter la crise dans de bonnes conditions avec de bons fondamentaux, un secteur bancaire sain et une demande intérieure en constante croissance. Grâce à notre attitude volontariste, nous avons boosté l'investissement public et la demande intérieure, stimulé les stratégies sectorielles, mis des moyens pour accompagner les PME et le secteur exportateur. Tout cela s'est traduit par un maintien relativement significatif de l'activité, malgré les baisses que nous avons constatées. Depuis les mois d'avril et de mai, nous assistons à un début de renversement positif de tendance. Dans le secteur du tourisme, on était à -18%, on n'est plus qu'à -11,5%. Pour le transfert des MRE, on était à -15%, on n'est plus qu'à -12%. Dans le textile, on était à -11%, on n'est plus qu'à -2,7%... Tout ceci pour dire qu'un contexte, ça évolue et qu'une crise ça se gère. Nous avons fait les bons choix et les acteurs ont bien réagi. Nous avons , dès le départ, considéré qu'une crise de cette ampleur doit être gérée par tous les acteurs, d'où la mise en place du comité de veille stratégique et l'implication du secteur privé et des banques. Ce sont cette démarche et nos choix, traduits dans la loi de Finances 2009 qui ont fait que l'intensité de la crise ait été atténuée. Regardons autour de nous. Combien de pays dans le monde ont pu obtenir une croissance supérieure à 5% en 2008 et en 2009, tout en préservant leurs fondamentaux ? Nous avons résisté à la psychose de la crise et nous veillerons à ce que la confiance soit préservée, dans l'économie et entre acteurs. Comment se présente la loi de Finances 2010 ? Nous devons intégrer la dimension de la crise économique mondiale. 2010 sera une année de transition. Cette loi de Finances comprend trois axes fondamentaux. D'abord, nous allons continuer à soutenir la croissance par la demande intérieure à travers l'augmentation de l'investissement public et le soutien du pouvoir d'achat. Nous allons aussi accélérer les réformes sectorielles. Nous allons également intégrer les fragilités révélées par cette crise à travers des mesures ciblées en faveur de l'exportation, du tourisme et des IDE. Nous voulons faire encore une fois que cette loi soit une loi de soutien de la croissance pour que le Maroc post crise soit encore plus fort et plus attractif. Avec le ciblage, quel sera l'avenir de la Caisse de compensation ? Le ciblage va être, dans un premier temps, une expérimentation en faveur des populations les plus fragiles. Nous allons maintenir la Caisse de compensation parce que la réforme nécessite de l'expérimentation sur le terrain. Il faut que les acteurs testent la faisabilité et l'opérationnalité de ce type de mesures avant de les déployer sur une grande échelle. Le DVD a été initié par un ministre RNI pour dégraisser la masse salariale. Aujourd'hui, l'objectif escompté n'a pas été atteint. Comment expliquez-vous cela ? Le RNI a bien fait d'engager cette opération parce que les gains réalisés ont été redéployés dans l'investissement et dans l'accompagnement des réformes structurelles. Et la question qu'il faut se poser: si le DVD n'avait pas été fait, quel aurait été le poids de la masse salariale ? L'augmentation de la masse salariale depuis 2006 n'est pas due aux nouveaux recrutements, qui ne représentent en définitive que 30 % de cette augmentation, mais essentiellement aux avancements automatiques d'échelles et d'échelons qui se traduisent annuellement par un coût additionnel de 3,5 milliards de dirhams, mais aussi en raison des augmentations de salaires liées au dialogue social. Les nouveaux recrutements sont tous ciblés et liés aux nouveaux besoins en compétences pour accompagner les stratégies sectorielles et les réformes structurelles, elles restent totalement maîtrisées.