L'Iran mène bien une guerre de chiisation et d'ascendance sur les minorités chiites dans le monde. Son action porte en elle la dissension et l'odeur acre des guerres civiles. L'Iran «superpuissance» ! On ne peut pas dire que Robert Bear lésine sur les mots pour désigner le pays des ayatollahs. Auteur d'un ouvrage sur «L'Iran ; l'irrésistible ascension»*, il recourt à une terminologie qui n'est pas sans rappeler celle utilisée par les Occidentaux pour gonfler, à la veille de la première guerre du Golfe, la menace de l'armée irakienne qui, disait-on, était «la quatrième du monde». L'auteur est un «ancien» agent de la CIA dont il a été chef de région notamment à Téhéran. Même reconverti dans le journalisme, ses affirmations sont à prendre avec précaution tant il n'est pas toujours facile de déceler où s'arrête la désinformation et à quel instant commence l'information. Son ouvrage brille d'ailleurs par ses incohérences et recèle moult contradictions. De scénario catastrophe en scénario catastrophe, il décrit un Iran invincible qui va voler de victoire en victoire jusqu'à l'occupation de La Mecque et la reconstitution pour son compte de l'empire ottoman, du moins dans sa partie arabe. La pulsion impériale chez les Iraniens n'en est pas moins vraie. Depuis la destruction de l'Etat irakien et la déstructuration de l'Irak, Téhéran apparaît, si l'on excepte la Turquie, comme une puissance régionale en possession des atouts nécessaires pour prétendre au leadership. C'est l'essentiel du reproche que fait Robert Bear à Washington : en anéantissant l'Irak, il a permis à l'Iran d'émerger sans rival en Etat qui, s'il n'est pas en mesure de vaincre, ne peut être vaincu tout en étant capable de faire mal. Pareille affirmation, fondée par bien des aspects, fait peu de cas de la Turquie qui serait déjà «la prochaine cible» des ayatollahs et de la garde révolutionnaire. Néanmoins, la «conquête» iranienne a bien commencé par une alliance de «dominant à dominé» avec la Syrie, la prise de contrôle du Hezbollah au Liban , le noyautage avancé du Hamas dans les territoires palestiniens et, depuis la deuxième guerre du Golfe, sa mainmise sur le sud irakien et la majorité chiite du pays. Sa capacité, techniquement possible, mais stratégiquement peu vraisemblable, de bloquer les accès à l'essentiel du pétrole de la région ainsi que l'existence sur la partie arabe du Golfe persique d'une forte population chiite achèvent l'esquisse d'une puissance en devenir. En trente ans, la «révolution islamique» a perfectionné ses techniques d'entrisme, les tactiques des guerres de rues et les moyens de séduction d'une partie des opinions publiques arabes. Elle est ainsi en mesure de mener ce que Robert Bear appelle «les conflits asymétriques» opposant des protagonistes de force inégale. Au besoin, de commanditer des attentats et des assassinats. Mais de là à voir Téhéran contrôler le marché pétrolier mondial, «coloniser» le monde arabe, le reconvertir au chiisme dans la passivité et la docilité générales, suppose la disparition de l'Occident, l'essoufflement sans retour du sunnisme et un chiisme monolithique et sans frontières patriotiques. L'Iran mène bien une guerre de chiisation et d'ascendance sur les minorités chiites dans le monde. Son action porte en elle la dissension et l'odeur acre des guerres civiles. Sa force de nuisance s'arrête là. Sans l'absoudre d'ambitions expansionnistes, Téhéran semble chercher, comme jadis le nassérisme et le bâathisme, à «faire trembler» les régimes du Golfe et de peser par le chantage et la subversion sur la politique des autres. * Ed. JC Lattès, novembre 2008