Si le score de Jean-Marie Le Pen s'est rétréci à ce point, les raisons ne sont pas à trouver du côté d'une mauvaise campagne de communication. Le Pen doit sa chute principalement à Nicolas Sarkozy. Le duo qui s'apprête donc à croiser le fer le 6 mai prochain pour décrocher la magistrature suprême n'a pas démenti les sondages qui donnaient depuis des lustres Nicolas Sarkozy menant le bal avec une confortable avance talonné par la candidate socialiste Ségolène Royal. Un frisson avait parcouru la campagne laissant entrevoir une percée du centriste François Bayrou qui s'est tout de même assis sur une précieuse troisième place grillant la politesse à un Jean-Marie Le Pen qui pavoisait déjà de plaisir de pourvoir réitérer l'exploit de 2002 en se qualifiant au second tour. Si le landernau politique français n'a pas trouvé de mots assez expressifs, de postures assez laudatives, pour s'extasier devant le taux de participation record qui avait vu des Français, qu'on disait blasés par la chose politique, prendre littéralement d'assaut les bureaux de vote pour accomplir leur devoir civique, la vraie surprise du scrutin du 22 avril fut à visages multiples. Le plus voyant fut la chute de l'extrême droite que dirige le xénophobe déclaré Jean-Marie Le Pen, ramené à des scores « tolérables ». Ses dirigeants se voyaient déjà aux commandes de la république en train de mettre en pratique leurs politiques à base de préférence nationale sur fond de nettoyage ethnique. Si le score de Jean-Marie Le Pen s'est rétréci à ce point, les raisons ne sont pas à trouver du côté d'une mauvaise campagne de communication. Elle était cette année originale et professionnelle. Le Pen doit sa chute principalement à Nicolas Sarkozy qui avait opportunément adopté une grande partie des thématiques et de rhétorique de l'extrême droite notamment sur des sujets aussi explosifs que la sécurité et l'identité nationale. Le jeune Sarkozy, fougueux et volontaire, a donné un coup de vieux à un Le Pen déjà politiquement grabataire en le délestant de ses bijoux de famille. L'autre surprise de ce premier tour fut le score réalisé par François Bayrou. De nombreux observateurs ne résistaient pas à la tentation de dépeindre le phénomène Bayrou comme une artificielle bulle médiatique créée par des instituts de sondage en panne d'originalité. Le voilà qui réalise une percée qui trahit l'existence d'une véritable lame de fond centriste qui parcourt la société française. En politicien averti, François Bayrou sait que même si sa prémonition de casser le moule droite/gauche, d'inventer une autre manière de faire la politique, ne s'est pas réalisée, il est au carrefour de toutes les manœuvres à venir. Mais la grande surprise de ce premier tour fut indéniablement la qualification pour le second tour de la première dame des socialistes, Ségolène Royal qui a redonné au peuple de gauche l'espoir de sortir du traumatisme de 2002. Ségolène Royal sait qu'une fois l'obstacle du premier tour franchi, tous les rêves sont permis, y compris celui de battre le champion actuel de la droite Nicolas Sarkozy. La physionomie du second tour s'est dessinée dès l'annonce des résultats du premier tour. Le 6 mai prochain, la facilité prévisionnelle voudrait que Sarkozy approfondisse son sillon vers le Palais de l'Elysée. L'art de la politique et de ses alliances naturelles pourraient en décider autrement. Durant ces deux semaines décisives qui nous séparent du second tour, Ségolène Royal pourrait bénéficier d'une vague dont il est difficile maintenant d'en mesurer la violence ni d'en déterminer les ressorts, c'est la vague du «Tout sauf Sarkozy ». Une vague d'abord nourrie par des chiraquiens à l'amertume contenue, des militants de l'extrême droite à la haine vengeresse, des fidèles de François Bayrou qui veulent se libérer de la tutelle trop étouffante et méprisante de l'UMP, d'une extrême gauche mobilisée plus que jamais pour battre la droite… Le tout sur fond d'un taux de participation record et d'une implication des jeunes sans commune mesure… Autant de conjugaisons objectives d'intérêts qui peuvent fournir à Ségolène Royal un inestimable soutien pour rattraper son retard du premier tour. En position de challenger, Ségolène Royal aura en face d'elle un Nicolas Sarkozy, véritable bête de scène, infatigable machine à communiquer mais dont les prétentions à devenir président et les capacités à gouverner ont été violement interrogées dans leur essence.