Plusieurs raisons peuvent expliquer le revirement de Jean-Marie Le Pen à l'égard de ce que la galaxie de l'extrême droite considérait, il y a encore quelques courtes semaines, comme le «gentlemen cambrioleur» de son héritage. Ceux qui croyaient que Jean-Marie Le Pen, leader du Front national, délesté pendant la présidentielle de son fonds de commerce par un Nicolas Sarkozy, stratège en opportunisme, allait, par rancune ou par vengeance, user ses dernières forces pour détruire la stature du nouveau président, se sont lourdement trompés dans leurs prévisions. Le leader vieillissant de l'extrême droite semble plus réconciliant à l'égard du nouveau locataire de l'Elysée. Si, au lendemain du second tour, Jean-Marie Le Pen n'avait pas trouvé de mots assez durs, assez ironiques pour fustiger l'ensemble de la démarche de Sarkozy, le voilà revenu à de meilleurs sentiments. Après l'avoir traité de «prestidigitateur très compétent (…) en train de tourner le dos à ses promesses de campagne», le chef de l'extrême droite est sur le point d'adhérer au fan club de Sarkozy lorsque, l'œil brillant d'admiration, il décrit l'ascension de l'actuel président de la république : «Il a été assez original et performant. Il a fait une campagne à l'américaine exemplaire. C'est même un modèle qu'on pourra étudier plus tard aux Sciences-Po» avant d'adopter littéralement une posture de midinette : «En plus, dans les contacts personnels (...) je témoigne que l'homme a du charme, et qu'il le développe naturellement». Plusieurs raisons peuvent expliquer ce revirement de Jean-Marie Le Pen à l'égard de ce que la galaxie de l'extrême droite considérait, il y a encore quelques courtes semaines, comme le «gentlemen cambrioleur» de son héritage. La première raison a sans doute trait à l'ensemble de la stratégie développée par le Front national après le cuisant échec électoral des présidentielles où Jean Marie Le Pen s'attendait, au minimum, à réitérer l'exploit de 2002. «Comment gérer une période où nous avons échoué alors que nos idées ont triomphé ?» est l'équation principale que la direction du Front national a eu à régler. Jean-Marie Le Pen est intarissable sur le sujet. Bombant le torse, il ne rate aucune occasion pour rappeler ce qu'il considère comme une vérité absolue : «Chacun a pu observer que les idées de la droite nationale, libérale et identitaire sont désormais majoritaires dans le corps électoral. Je suis heureux qu'elles aient été reprises par le président de la république nouvellement élu». Le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale que dirige Brice Hortefeux en est l'éclatante illustration. M. Hortefeux est, au passage, le seul parmi les proches collaborateurs du candidat UMP a avoir évoqué publiquement à l'époque, la possibilité d'instaurer pour les prochains scrutins une dose de proportionnelle, une idée vitale pour le Front national qui lui permet d'accéder facilement à l'Assemblée nationale. De là à penser que les contacts et les promesses entre Nicolas Sarkozy et Jean-Marie Le Pen ont fait le lit d'une sympathie et d'une tolérance réciproque, il n'ya qu'un petit pas à franchir. La seconde raison tient au style Sarkozy. Comment imaginer qu'un homme qui a ouvert son gouvernement, avec une rapidité qui frise la nonchalance, à quelques figures, certes contestées, de la gauche puisse rester fermé à l'extrême droite dont les idées avaient boosté la campagne et permis la victoire. Le cousinage politique entre droite et extrême droite n'est pas un alliage aussi étranger que l'ère Chirac pouvait le laisser entendre. Jacques Chirac développait une incurable allergie à l'égard de Jean-Marie Le Pen au point de refuser de débattre avec lui ou même de le rencontrer. Ces scrupules et ces hésitations n'étouffent pas le nouveau président qui considère Jean-Marie Le Pen comme un homme politique ordinaire, fréquentable, même si durant la campagne il avait rappelé à plusieurs reprises que l'hypothèse d'un Jean-Marie Le Pen au second tour le faisait cauchemarder. Jean-Marie Le Pen en admirateur inattendu de Nicolas Sarkozy. Voilà qui crée un situation inédite pour le Front national dont les troupes ont été élevées au biberon de la haine anti-droite classique et conservatrice et pour les militants de l'UMP nourris au politiquement correct qui leur interdisaient ces fréquentations coupables. Avec cette interrogation : quelle traduction concrète ce nouveau flirt Le Pen / Sarkozy peut-il avoir sur la carte législative qui se dessinera les 10 et 17 juin prochain ?