Pour certains, Jean-Marie Le Pen aurait perdu la partie à cause du nouveau style de communication qu'il avait tenté d'imposer à ses troupes pour gommer son image de «raciste», de «xénophobe», imperméable à la mixité ethnique, intolérant vis-à-vis de la différence. Ce fut avec un sourire glacial, figé, froid comme un œil de verre, des pas de danse saccadés au milieu d'une foule à la joie visiblement artificielle que Jean-Marie Le Pen, le leader vieillissant de l'extrême droite «célébra» sa défaite ce fameux grand soir du premier tour. La méthode Coué fut portée à son zénith, mais elle ne put dissimuler la dure réalité du Front National. Il vient de subir un «tsunami» à l'envers. Alors que Jean-Marie Le Pen se préparait déjà à jouer les incontournables, les hommes clefs de cette présidentielle, le voilà subitement relégué au rang des partis «inoffensifs», avec des scores à faire l'appoint et non la décision. Ultime déchéance pour le tombeur de Lionel Jospin. Et les analyses fusent de partout pour expliquer cette dégringolade. Pour certains, Jean-Marie Le Pen aurait perdu la partie à cause du nouveau style de communication qu'il avait tenté d'imposer à ses troupes pour gommer son image de «raciste», de «xénophobe», imperméable à la mixité ethnique, intolérant vis-à-vis de la différence. D'où la beurette-alibi sur ses affiches électorales, l'intronisation du comique métis Dieudonné comme la nouvelle mascotte du front, suivis des appels incessants de tous ces jeunes issus de l'immigration qui, par dépit, par masochisme ou simplement par opportunisme politique, ont chanté les louanges du Jean-Marie Le Pen. La vision des troupes de l'extrême droite, habituée à un manichéisme clair, voire simpliste, aurait été brouillée par la densité illisible de ces messages qui est venu compliquer les postures de Marine Le Pen, la fille de son père, envoyée, en mission commando, sur les plateaux de télévision pour séduire et rassurer. Alors qu'à chaque apparition de Jean-Marie Le Pen dans une émission télé, le pugilat et l'insulte faisaient partie de son spectacle politique, inquiétant certains, confortant beaucoup dans leurs certitudes, la blonde Marine arrondissait son verbe et sa posture. Le but ultime était de se mouvoir dans le décor, de se banaliser pour dompter les résistances. Cette stratégie plaisait aux communicateurs mais a dû déconcerter l'électorat traditionnel de l'extrême droite. L'autre raison de la chute de la maison Le Pen est à trouver incontestablement dans l'agressive OPA lancée par Nicolas Sarkozy sur les idées et le programme du Front National. Le candidat UMP avait fait le calcul qu'il ne peut gagner la course à l'Elysée sans le précieux réservoir des voix de Jean-Marie Le Pen. D'où cette frénésie à malaxer dangereusement les peurs sur l'immigration et l'identité nationale. Cette position volontairement antagoniste à l'encontre des banlieues, nids de «racailles» qu'il promet de nettoyer au «Karcher». En se positionnant auprès de cet électorat comme le véritable héritier de Jean-Marie Le Pen, Nicolas Sarkozy a donné un sérieux coup de vieux au chef de l'extrême droite. Les fidèles de ce dernier ont beau dénoncer ce hold-up politique, la base frontiste a dû céder aux sirènes électorales de Nicolas Sarkozy, l'homme qui rassure l'extrême droite. Jean-Marie Le Pen, dont le leadership commence à être remis en question, a tiré une dernière salve pour consoler sa base désorientée : «nous avons gagné la bataille des idées, la nation et le patriotisme, l'immigration et l'insécurité ont été mis au cœur de la campagne par des adversaires qui, hier encore, écartaient ces notions d'un air dégoûté». Le Pen, qui sait que Nicolas Sarkozy ne peut s'afficher avec lui sous peine de perdre d'inestimables soutiens comme Simone Veil, se trouve dans une situation inconfortable à la veille du second tour du 6 mai. Va-t-il ordonner à ses fidèles de se ranger derrière la bannière de son pire ennemi ? ou va-t-il agir en sous main, par une incurable vengeance, pour le faire trébucher quitte à favoriser l'accession au pouvoir de la socialiste Ségolène Royal ? Cette interrogation est au cœur des préoccupations des états-majors des deux partis lancés à toute vitesse à la conquête de l'Elysée. Ceux qui connaissent Jean-Marie Le Pen savent qu'il a la rancune tenace et qu'un vieux requin qui a résisté à autant de tempêtes pendant plus d'un demi-siècle d'actions politiques a encore plus d'un tour dans son sac.