Aujourd'hui, même la fille de Jean-Marie Le Pen, Marine que tout désigne pour prendre la succession de son père, se sent obligée de prendre des distances avec le dirigeant du Front national. Dans un dernier râle politique, Jean-Marie Le Pen pourrait écrire avec du sang bleu blanc rouge «Nicolas m'a tuer» sans rien renier de la triste fin que vit son parti, le Front national. Le FN qui, pendant les deux dernières décennies, configurait à sa guise la vie politique française, est devenu aphone, voire édenté. Alors qu'il faisait les gros titres de l'actualité politique et sociale, le Front national occupe aujourd'hui la rubrique des faits divers. Quand il ne s'agit pas de vendre «Le paquebot», siège mythique du parti pour renflouer les caisses vides du mouvement, Jean-Marie Le Pen crée l'événement en proposant de vendre sa voiture blindée sur Ebay. Quand il ne parvient pas à remplir la place de l'Opéra pour les festivités du 1er mai, il se replie sur la place des Pyramides, plus modeste. Histoire de faire parler de lui, il fait feu de tout bois. D'abord en choisissant de nager à contre- courant d'une opinion qui a plébiscité le dernier film de Dany Boon «Bienvenue chez les Chtis». Jean-Marie Le Pen s'interroge avec sa verve habituelle : «Comment imaginer qu'une telle foucade médiocre ait pu rassembler 20 millions de spectateurs ? (…) Je crains que ce ne soit un signe de la décadence de l'esprit français». Ensuite il réitère une affirmation de 1987 sur les chambres à gaz de la Seconde Guerre mondiale pour laquelle il a déjà été condamné : «J'ai dit que les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale : ça me paraît tellement évident. Si ce n'est pas un détail, c'est l'ensemble. C'est toute la Guerre mondiale, alors». Le fameux «détail » avait fait la fortune médiatique de Jean-Marie Le Pen et lui avait assuré une allégeance militante de l'ensemble des forces du FN. Aujourd'hui, signe des temps, même sa fille, Marine que tout désigne pour prendre la succession de son père, se sent obligée de prendre des distances : «Je dis ce que j'ai toujours dit: je ne partage pas sur ces événements la même vision que mon père (…) ça crée une polémique qui, en l'occurrence, et c'est ce que je regrette, détourne peut-être l'attention des Français de choses plus graves comme la situation de régularisation massive des clandestins à laquelle nous assistons, la situation sociale, l'écrasement des salaires» Si l'âge du capitaine, 80 printemps en juin prochain, est pour beaucoup dans le déclin que connaît le parti de l'extrême droite, la perte d'influence du Front national, qu'a illustrée les débâcles électorales successives, est le fruit d'une conjoncture créée par les choix politiques de Nicolas Sarkozy. Deux raisons majeures propres à l'ère Sarkozy ont démagnétisé le phénomène Jean-Marie Le Pen. La première est sans conteste l'ouverture politique sur la diversité et les minorités ethniques à travers la nomination au sein du gouvernement de personnalités aussi parlante que Rachida Dati, Rama Yade ou Fadéla Amara. Cette pratique a eu le don de désarmer une grande partie de l'argumentaire de séduction et de persuasion lepéniste basé sur la xénophobie. Avoir des personnalités publiques aussi «ethniques» rend difficile la mobilisation des foules sur le principe de la mystification de l'étranger. L'autre raison qui a donné un coup de vieux à la posture de Jean-Marie Le Pen est la reprise par le gouvernement Sarkozy, notamment de son ministre de l'immigration et de l'Identité nationale, Brice Hortefeux, de l'ensemble de la thématique et de la symbolique de l'extrême droite. De la chasse ouverte des clandestins jusqu'à la nature des scandales qui secouent son ministère. En témoigne la plainte très médiatisée déposée par Pierre Damien Kitenge, un agent de sécurité travaillant pour l'enseigne Carrefour contre Gautier Béranger, un haut fonctionnaire travaillant pour Brice Hortefeux. Gautier Béranger aurait tempêté contre le vigile «sale noir vous n'avez pas le droit de toucher mes papiers». L'affaire met la galaxie des associations anti-racistes en totale hystérie. Nicolas Sarkozy est depuis longtemps accusé par la gauche de siphonner les idées de l'extrême droite. Dommage collatéral d'une telle démarche, Jean-Marie Le Pen, au crépuscule de sa vie, a perdu de sa superbe et ses idées de leur éclat, Tandis que sa succession s'avère difficile à assurer.