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«Raïssouni a rompu le pacte»
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 27 - 06 - 2003

Le fossé ne cesse de se creuser entre le Mouvement Unicité et Réformes (MUR) et le Parti de la Justice et du Développement (PJD). Une dynamique de remise en cause et d'autocritique est déjà perceptible dans les couloirs du parti. Les grandes lignes de cette remise en cause sont révélées par l'un de ses principaux acteurs, Mohamed Khalidi.
ALM : Ahmed Raïssouni vient de démissionner de la présidence du Mouvement Unicité et Réformes (MUR). Comment cette démission a-t-elle été perçue au sein du PJD ?
Je considère que les déclarations de Raïssouni sur Imarat Al Mouminine ont provoqué une grande indignation chez les militants du PJD et certains de ses dirigeants dont le leader du parti, Dr El Khatib. Car, il faut se rappeler que le Secrétaire Général accorde une très grande importance à Imarat Al Mouminine qu'il considère comme l'un des piliers de la stabilité de notre pays et l'un des acquis qu'il faut préserver. D'ailleurs, en 1962, Dr El Khatib était l'une des personnalités qui avaient exigé à ce que le statut de Commandeur des croyants de Sa Majesté le Roi, qui existe depuis quatorze siècles au Maroc, soit inclus dans la première Constitution du Royaume. Les déclarations de Raïssouni ont provoqué des dégâts énormes, car il s'agit d'un dérapage très grave que le parti ne pouvait aucunement tolérer. Raïssouni nous a trompés…
Mais encore…
La séparation définitive entre le PJD et le MUR est en marche. Cette décision s'explique par le fait que les gens de ce mouvement ont rompu le pacte qu'ils avaient avec Dr El Khatib lorsqu'ils lui avaient demandé d'adhérer au parti. Je vous rappelle que le Secrétaire général du PJD, alors MPDC (Mouvement Populaire Démocratique et Constitutionnel), avait accepté de les intégrer dans le parti sur la base d'un accord axé, entre autres, sur le respect d'Imarat Al Mouminine. Nous considérons donc que les déclarations de Raïssouni, alors président du MUR, constituent une violation impardonnable de cet accord que même la démission de l'intéressé ne pouvait réparer. Donc, le Secrétariat général du parti a décidé de mettre un terme à ce "partenariat" qui existait entre les deux partis et qui prêtait à confusion puisqu'il y avait une duplicité entre les instances dirigeantes du MUR et celles du PJD vu que certains membres du bureau exécutif du MUR sont aussi membres du Secrétariat général du PJD. Aussi, s'étaient-ils permis de favoriser l'infiltration des militants de leur mouvement dans les structures du parti tant au niveau national que régional.
Maintenant que ceux qui ont un pied dans le Mur et l'autre dans le PJD devront faire un choix : Le PJD ou le MUR. La double appartenance, c'est fini.
Raïssouni est depuis 1996 président du MUR et membre influent du parti. La confiance de Dr El Khatib a-t-elle été abusée?
Raïssouni n'a jamais été membre du Secrétariat général du parti et ses déclarations ne reflètent aucunement les positions du PJD. Et de ce fait, nous ne nous sommes jamais préoccupés de ce qu'il pensait sur tel ou tel sujet. Mais dès qu'il a révélé le fond de sa pensée concernant Imarat Al Mouminine, le Secrétaire général a réagi vigoureusement sur-le-champ allant jusqu'à le qualifier d'imbécile.
Considérez-vous qu'il est réellement imbécile ?
Absolument. Aurait-il imaginé que Dr El Khatib, connu pour être un monarchiste convaincu, allait tolérer de tels dérapages ? D'ailleurs, sa démission prouve qu'il a eu un cas de conscience. Mais, c'était trop tard de corriger quoi que ce soit. La balle était déjà partie.
Croyez-vous que les déclarations de Raïssouni ont porté préjudice au PJD ?
Je ne le pense pas. Bien au contraire, j'estime que ses propos nous ont permis de connaître le vari visage de Raïssouni.
Aussi, nous estimons avec toute responsabilité que cela nous a incité à procéder à une révision générale de toutes les structures et les instances du parti afin d'éviter de tels dérapages dans l'avenir. Et je ne vous cache pas que nous sommes entrés dans un processus d'autocritique pour débusquer toutes les lacunes éventuelles et tenter de les corriger.
Quelles sont les décisions que vous avez déjà prises dans ce sens ?
Nous avons rappelé à l'ordre tous les membres du parti concernant certaines déclarations excessives faites au nom du parti. Désormais, tout responsable ou militant du parti devra assumer la responsabilité de ses propos et ne pourra plus jouer sur l'amalgame entre un avis personnel et une prise de position au nom du parti. Vous savez que certaines personnes qui sont à la fois membres du bureau exécutif du MUR et du Secrétariat général du PJD se permettaient de jouer sur la confusion et multipliaient les sorties radicales qui portaient préjudice au PJD puisqu'elles ne reflétaient ni ses idéaux ni ses principes. Tout cela est maintenant fini. Dorénavant, chacun assumera ses responsabilités.
Mais le parti restera un parti islamiste…
Le PJD n'a jamais été un parti islamiste. C'est un parti qui appelle au respect des valeurs de la société marocaine, mais, il n'est pas un parti intégriste. Je vous dirais aussi, que nous sommes contre l'utilisation de la religion pour atteindre des objectifs politiques. Mais, je vous avoue en toute sincérité que l'hégémonie du MUR sur certaines instances régionales du parti avait conduit à une islamisation de certaines de ses structures, ce qui a donné la majorité à leurs militants. Car, pour accepter l'adhésion de nouveaux militants, ils appliquaient une "stratégie de sécurisation du cadre". Cette tactique leur permettait de privilégier leurs adeptes et de bloquer toutes les candidatures des cadres modernistes qui ne partagent pas leurs attitudes radicales et qui voulaient rejoindre les rangs du PJD.
Qu'en est-il de cette stratégie, maintenant ?
Notre première décision, suite à la découverte de ces pratiques malsaines de la part des adeptes du MUR, a été d'y mettre un terme. Désormais, la seule condition est que toute personne désireuse d'adhérer au parti doit accepter les principes du parti tels qu'énoncés dans son statut. Et toute utilisation de la religion à des fins politiques est interdite. Certes, ce principe a toujours existé, mais certains se permettaient de le violer. Maintenant, nous avons décidé de faire face à tous ces dérapages quitte à exiger le départ de ceux qui violeront cette règle.
Comment voyez-vous la participation du parti aux prochaines élections communales ?
Le PJD n'est pas le MUR. C'est un parti qui a beaucoup de cadres et de compétences en dehors du MUR à qui il fera appel au moment des élections. Et, si avant, les militants du MUR avaient la haute main sur les accréditations pour les candidatures aux élections, ce ne sera plus le cas.
Nous nous sommes rendus compte de ce dysfonctionnement et nous allons remédier à cette pratique inquisitoriale instaurée par les dirigeants régionaux appartenant au MUR.
D'ailleurs, les cadres modernistes du PJD avaient déjà décidé, au début du mois d'avril dernier, de combattre cette tendance radicale via la création du mouvement "Vigilance et Vertu".
Cette association, qui regroupe les anciens militants du MPDC, a pour objectif de militer pour le retour aux principes du parti et de remédier à tous les excès en réparant ce que certains dirigeants du MUR ont détruit par leurs déclarations ou leurs attitudes.
Où en est "Vigilance et Vertu" après les derniers rebondissements de l'affaire Raïssouni ?
Nous sommes plus décidés que jamais à poursuivre notre action au sein du parti comme à l'extérieur pour appeler à la défense des valeurs universelles de tolérance et d'acceptation de l'autre. Aussi, nous voulons démontrer que l'islam est une religion ouverte qui accepte l'autre et s'oppose à la violence sous toutes ses formes. Nous défendons aussi un principe élémentaire à savoir que la référence islamique n'est l'apanage de personne.
Dans ce sens, nous comptons prochainement initier une triple action d'explication de nos positions et nos idéaux. La première sera tournée vers l'occident et aura un aspect culturel avec comme objectif de donner la vraie image de l'islam basée sur la tolérance et l'ouverture. La deuxième aura pour objectif de s'ouvrir sur les formations de la gauche marocaine, car nous considérons que la société marocaine, toutes tendances confondues, est musulmane et qu'il faut prendre en considération la culture du dialogue et d'écoute de l'autre. Et enfin, nous allons inaugurer un dialogue constructif avec les tendances islamistes marocaines pour les convaincre que la tolérance et la paix sociale sont des conditions élémentaires à toute aspiration au développement du pays.

Etes-vous donc optimiste quant à l'avenir du parti ?
Oui. Et j'estime que l'opération d'autocritique que nous avons initiée permettra de corriger tous les dysfonctionnements et de se tourner vers l'avenir.
•Propos recueillis par Abdellah Chankou et Omar Dahbi


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