Les islamistes marocains avaient bon espoir que la réforme de la Moudawana soit formatée selon leur vision de la société. Depuis les événements du 16 mai, ils sentent que le rapport de force qui était en leur faveur profite désormais au camp des modernistes. Mais la bataille est loin d'être gagnée. “La commission consultative Royale chargée de la révision de la Moudawana ne rendra pas sa copie avant quelques semaines. Nous avons encore du travail à accomplir, nous a déclaré le président M'Hamed Boucetta. Il ajoute : “nous allons œuvrer dans le sens de la conciliation des différents points de vue“. Notre interlocuteur ne dira pas plus sur un sujet qui n'en finit pas de susciter la polémique. Et pour cause. Chantier délicat et sensible, la réforme de la Moudawana charrie les passions et cristallise les critiques. Dans ces conditions, présenter un rapport final qui contente les différents protagonistes s'apparente à une gageure. M'Hamed Boucetta en est conscient et est contraint de rechercher le consensus sur les points qui posent problème comme l'héritage, la polygamie, la répudiation, l'obéissance de la femme à son mari… Autant de questions où il s'agit en tout cas de trancher de telle sorte d'introduire une bonne dose d'équilibre dans le statut personnel. Avant le 16 mai, les islamistes marocains, fort d'un certain ascendant sur la scène que leur a conféré leur belle performance aux législatives de septembre 2002, avaient bon espoir que le débat sur la réforme de la Moudawana soit tranché en leur faveur. D'autant plus que la composition de la commission est traversée en majorité par une sensibilité conservatrice proche des thèses du PJD sur la question de la femme. Une mainmise que les associations féminines n'ont eu de cesse de dénoncer sous peine de voir leurs revendications passer à l'as. Or, les événements tragiques de Casablanca et les multiples conséquences qui s'en suivirent ont tout chamboulé et fait poindre des inquiétudes dans le camp des islamistes. Du coup, l'espoir a changé de camp. Tenus pour moralement responsable des attaques terroristes de Casablanca, ces derniers sentent de plus en plus le rapport de force qui était le leur bénéficier actuellement au groupe des modernistes. D'où la une du journal Attajdid du lundi 16 juin, organe qui reflète officiellement la position du MUR (Mouvement Unicité et Réforme) qui du reste a un nouveau président depuis la démission de Ahmed Raïssouni qui conserve le poste de directeur de la publication. Dans l'édition en question, un dossier de deux pages a été consacré aux derniers développements de la réforme de la Moudawana. Un des articles porte un titre on ne peut plus clair : “ nouveau complot contre la famille marocaine“. L'auteur y fait remarquer en substance que certains milieux “hostiles à l'identité musulmane“ cherchent à profiter des événements du 16 mai pour accélérer l'adoption du nouveau code selon leurs demandes dans une tentative de “destabilisation de la référence islamique au Maroc et de remise en cause de la cohérence de ses politiques sociale, éducative, scolaire et culturelle avec cette référence“. La position du MUR rejoint-elle celle du PJD ? Une chose est sûre : le patron du parti Abdelkrim Al Khatib, contrairement à un certain nombre de ses lieutenants comme Benkirane et Ramid, est porteur d'une vision plutôt avant-gardiste du statut et de la place de la femme dans la société. Dr El Khatib est par exemple favorable à un partage égalitaire de l'héritage entre l'homme et la femme. En tout cas, le PJD dont nombre de ses figures font partie du MUR est amené à clarifier ses positions sur le dossier de la femme à travers un débat où chacun doit choisir son camp sans faux-fuyants. “Depuis le 16 mai, le PJD voit des ennemis partout. Si ce n'est pas de la paranoïa cela y ressemble beaucoup“, explique une militante de gauche. De son côté, “ Le Printemps d'égalité“, qui regroupe un collectif d'associations féminines se réclamant du courant moderniste, avait adressé il y a quelques jours un mémorandum à S.M le Roi Mohammed VI. Dans ce document, les signataires demandent au Souverain d'intervenir de manière volontariste pour trancher dans le sens d'une vision moderne et démocratique conformément aux orientations Royales aux membres de la commission au moment de la nomination à sa tête de M'Hamed Boucetta en janvier dernier. En clair, Le Printemps d'égalité, qui soupçonne Me Boucetta de s'aligner sur les idées du courant conservateur, craint que ses revendications ne soient pas prises en compte. M'Hamed Boucetta, qui fait l'objet de pressions de toutes parts, saura-t-il maintenir le cap et mener la réforme à bon port ? À travers cette réforme capitale, ce sont deux visions qui s'affrontent. Deux Maroc qui s'opposent. Certes, il faut rendre justice à la femme en lui donnant ses droits, mais il ne faut pas non plus que la Moudawana divise la société marocaine.