Avec la démission de Ahmed Raïssouni de son poste de président du Mouvement Unicité et Réforme, c'est le glas d'une certaine ligne de conduite jugée irresponsable, voire suspecte, qui a été sonné. La déclaration de Ahmed Raïssouni, à l'occasion d'un entretien paru dans ALM du lundi 12 mai sur le statut de commandeur des croyants (Imarat Al Mounine) n'en finit pas de mettre à la peine le PJD et son secrétaire général Abdelkrim El Khatib. Gravissime, l'affaire, qui a pris des proportions considérables, a fait vaciller le parti islamiste sur ses bases. Les attentats-suicide de Casablanca, intervenus à quelques jours d'intervalle, ont aggravé particulièrement le cas de l'intéressé dont les dénégations n'ont servi qu'à l'isoler davantage. Pris en tenaille, il a cru être quitte en annonçant le 12 juin sa démission du poste de président du MUR. Un geste qui fait suite à la réunion de vérité à laquelle il a été convoqué avec l'ensemble des membres du secrétariat général du PJD par le ministre de l'intérieur Mustapha Sahel. Dans ses petits souliers, à court d'arguments, Ahmed Raïssouni bafouillait comme un bambin inhibé. Lors de cette séance de clarification, une figure du PJD sera également sermonnée : Mustapha Ramid. Le député de Casablanca, qui s'est entendu rappeler vertement les multiples dérapages dont il s'est rendu coupable, a tiré à son tour les conclusions de ce savonnage en règle en remettant à Abdelkrim El Khatib sa lettre de démission de la présidence du groupe parlementaire. Ce dernier lui a demandé de continuer à assumer la fonction jusqu'à la fin de l'actuelle session parlementaire. C'est le glas d'une certaine ligne de conduite jugée irresponsable, voire suspecte qui a été ainsi sonné. Apparemment, Abdelkrim El Khatib n'a pas tellement réussi dans son rôle d'encadreur en chef du temple islamiste qu'il a hébergé en 1997 dans son parti le MPDC (Mouvement populaire démocratique et constitutionnel). Ce symbole du nationalisme marocain, dont la vigueur dément ses 82 ans, a été cependant débordée par certains dirigeants du MUR dont le rouleau compresseur idéologique commençait à écraser l'enseigne PJD. Une enseigne mise à contribution par le MUR juste comme façade politique et machine à égrener les votes. Cette dérive représentait un coup de canif aux engagements pris le premier jour par Abdelilah Benkirane et ses amis de travailler dans le cadre des institutions du pays. En effet, les pouvoirs publics avaient intégré ce qui allait devenir le PJD dans le jeu politique dans l'objectif de promouvoir un islamisme modéré et contrer les organisations jugées extrémistes. Passé sous les fourches caudines du MUR, le PJD renvoyait l'image d'un parti dominé plutôt par une aile dure. Adossée au mouvement , celle-ci avait la haute main sur les affaires du parti, y compris sur les accréditations électorales. La tendance modérée El Khatib, marginalisée, avait rarement son mot à dire. Sa voix était inaudible ou presque. Raïssounistes, certains ténors médiatisés du PJD ont profité de leur double appartenance (PJD et MUR) et de leur statut de stars du Parlement qui ont pris un certain ascendant sur Abdelkrim El Khatib pour hausser le ton et verser dans le jusqu'au boutisme religieux. Avec comme arrière-pensée de livrer le moment venu le parti et même le pays au mouvement de Raïssouni dont les objectifs sont à l'opposé de ceux de la frange de Abdelkrim Al Khatib. L'âge de celui-ci devrait à leurs yeux précipiter cette échéance. Est-ce cela la signification réelle de la “politique des petits pas“ adoptée par le PJD ? C'était compter sans la vigilance et la vivacité d'esprit du patriarche qui n'était pas loin de soupçonner les quelques cadres du MUR de vouloir ressusciter le Mouvement de la jeunesse islamique marocain (MJIM) de Abdelkrim Motti à l'intérieur du parti. Dans ce contexte, l'initiative de créer l'association Vertu et Vigilance, dont les rênes ont été confiées à un de ses proches, en l'occurrence, Mohamed Khalidi, devait être comprise pour ce qu'elle est dans le fond : une structure visant à contrecarrer l'influence de plus en plus grandissante du MUR dans les instances du PJD. Même si M. El Khatib, en fin politicien, a évité officiellement de présenter les choses sous cette optique, les observateurs n'étaient pas dupes. Ils ont compris que cette initiative était le prélude à une reprise en main du chef. Désormais, le leader du PJD a eu l'occasion d'assainir les rangs de son parti. Cette action passe d'abord par le divorce du PJD d'avec le MUR. La rupture, inéluctable, est déjà en marche. Elle contribuera à mettre fin à la confusion des genres et à la duplicité favorisées par le lien organique entre les deux structures. Dans ce sens, le PJD réunira son conseil nationale le 7 juillet prochain à Rabat. À l'ordre du jour, la restructuration du parti à la lumière de la nouvelle donne. Un nouveau PJD, revu et corrigé, devrait voir le jour. En faisant la fameuse sortie qui a signé sa mise au tombeau politique, Ahmed Raïssouni a peut-être cru que le moment était venu de passer à la vitesse supérieure. Dérapage calculé ou non, son propos a agi comme un révélateur des véritables intentions du MUR. En tout cas, celui qui se rêvait au moins en mufti du royaume a livré le fond de sa pensée. Le masque est tombé. Sifflement de la fin de la récré.