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Datation d'une démission
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 13 - 06 - 2003

Abdelkrim Khatib traite d'imbécile Ahmed Raïssouni - fait notable - sans utiliser le conditionnel qui est, comme chacun sait dans notre pays, un puissant rempart déontologique contre les pulsions diffamatrices irrépressibles.
Ahmed Raïssouni a donc démissionné de la présidence du Mouvement Unicité et Réforme (MUR). Un mouvement auquel s'est adossé pendant longtemps le PJD qui est à la croisée des chemins entre l'intégrisme activiste avec toutes ses dérives souvent criminelles et l'islamisme politique « institutionnalisé » avec tous les dangers que comporte son entrisme nocif dans les rouages de la démocratie marocaine.
Monsieur Raïssouni a une vision iconoclaste d'Imarat Al Mouminine. Il a développé sa thèse dans un entretien, bien évidemment enregistré, qu'il a accordé à ALM et qui a été publié le 12 mai 2003. Sa thèse est manifestement en opposition avec la stratégie publique que met en avant le PJD. Mais cela n'a pas empêché le quotidien islamiste Attajdid, organe d'expression essentiellement du Mur et accessoirement du PJD, dans son édition du 14 mai de publier l'interview traduite de Ahmed Raïssouni dans ALM. Le 15 mai 2003 les choses prenant naturellement les proportions qu'elles devaient prendre Ahmed Raïssouni se fend d'un communiqué dans lequel il choisit de revenir sur les propos qu'il a tenus sur l'institution d'Amir Al Mouminine.
Dans la foulée, le 16 mai 2003 le MUR également par communiqué met en cause l'interview et reformule officiellement, compte tenu des circonstances, sa position sur la question centrale du rôle majeur de l'institution d'Amir Al Mouminine dans notre pays. Ce même jour, donc le 16 mai 2003, Abdelkrim Khattib en sa qualité de premier responsable du PJD prend connaissance de l'enregistrement de Raïssouni pour se faire légitiment une religion sur l'affaire de l'interview. Sa religion est faite. Le soir de ce même jour Casablanca subit dans le drame, l'effroi et la douleur les attentats terroristes des intégristes de la Salafya Jihadia. Bilan : 43 morts.
Le 17 mai 2003 nos confrères d'Al Ittihad Al Ichtiraki et Al Ahdat Al Maghribia saluent à juste titre dans leurs éditions respectives du 17 mai 2003, bouclées avant les attentas terroristes sanglants et meurtriers du 16 mai au soir, la qualité de la traduction du français vers l'arabe de l'interview de Raïssouni en se basant, comme de bien entendu, sur la publication par Attajdid de celle-ci. Le 12 juin 2003 dans l'hebdomadaire Tel Quel, Abdelkrim Khatib traite d'imbécile Ahmed Raïssouni - fait notable - sans utiliser le conditionnel qui est, comme chacun sait dans notre pays, un puissant rempart déontologique contre les pulsions diffamatrices irrépressibles. Interrogé sur cette fine appréciation de sa personnalité par Abdelkrim Khatib, Ahmed Raïssouni avec une finesse inhabituelle rétorque que si El Khatib a dit cela c'est que ça doit être vrai !
Le 11 juin 2003 Ahmed Raïssouni démissionne et son mouvement le MUR déclare par communiqué à la une d'Attajdid que "Certains passages de l'entretien ont fait l'objet, de façon non délibérée, de plusieurs interprétations de la part du journaliste, notamment ceux relatifs à l'institution d'Amir Al Mouminine, que nous considérons tout comme M. Raissouni, comme l'un des fondements constants de l'Etat marocain et de son identité à laquelle nous sommes attachés". Et l'on apprend que la démission de Raïssouni est intervenue "en signe d'estime et de considération pour l'Institution d'Amir Al Mouminine et pour assumer ainsi la responsabilité de l'erreur commise dans l'entretien qui n'a pas été rectifiée et des effets négatifs qui en découlent". En outre le communiqué conclut en exprimant "sa reconnaissance pour les services rendus par M. Raissouni au Mouvement et pour sa disposition à poursuivre ses efforts au service du pays, sous la sage conduite d'Amir Al Mouminine, SM Le Roi Mohammed VI, que Dieu l'assiste et couronne de succès ses actions".
Si on exclut la tentative grossière de faire assumer à ALM une part de la responsabilité qui incombe naturellement à Ahmed Raïssouni en sa qualité d'idéologue, de cadre, de leader et de théoricien de l'intégrisme islamiste le plus obscurantiste tel qu'il est de moins en moins dormant à l'intérieur du PJD, la boucle est bouclée. En offrant à Ahmed Raïssouni un enterrement de première classe, le MUR et le PJD amorcent conjointement et concomitamment un timide et stratégique aggiornamento politique marqué par le sceau de la contrition. Est-ce suffisant dans la conjoncture actuelle ? Manifestement non car cette gesticulation au demeurant assez pitoyable n'est pas le produit d'un travail politique de fond, mais elle prend uniquement acte, d'une manière plutôt tactique, d'un retournement de conjoncture. Cette nouvelle conjoncture née dans le sang après le 16 mai ne laisse plus de marges au double langage, à la dissimulation, à la tromperie et au travail méthodique de sape à la mouvance intégriste islamiste marocaine, dans toutes ses déclinaisons, qu'elle soit clandestine, terroriste ou institutionnalisée.
C'est pour cela qu'aujourd'hui le lâchage au milieu du gué de Raïssouni par ses frères musulmans ne signifie rien. N'importe quel laïc, impie, moderniste et impénitent sait que Dieu ne peut changer les gens que s'il change ce qu'il y a à l'intérieur de leurs cœurs. Le reste, tout le reste, n'est, au mieux, que littérature de circonstance ou, au pire, une gestion calculée des risques.


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