Saïd Lakhal, professeur chercheur sur la mouvance islamiste au Maroc, estime que le PJD regrettera un jour d'avoir complètement adopté les «idées» du patron du MUR. Entretien. Aujourd'hui Le Maroc : Depuis un certain temps, les quotidiens «Al Ahdath Almaghribia» et «Attajdid» se livrent à une bataille médiatique acharnée où se mêle insultes, diffamation et propos désobligeants. Comment expliquez-vous cette situation ? Saïd Lakhal : Tout d'abord, pour mieux comprendre les contours de cette situation, il faudrait rappeler certains faits. En premier lieu, la position du journal « Attajdid » à propos de plusieurs affaires, entre autres, ce regard porté vers «l'autre» en tant qu'adversaire politique. «Attajdid» porte toujours des accusations d'extirpation menée à son égard et particulièrement depuis les événements du 16 mai. Et de ce fait, ce quotidien se révèle plus virulent et va plus loin en interprétant les choses comme une hostilité contre la religion, la morale, la famille, les ouléma et les mosquées. En revanche, on remarque que l'hebdomadaire du même parti en l'occurrence «Al Asr», n'adopte pas du tout la même attitude. Et cet état de choses a une explication : à la tête d'Attajdid se trouve le Dr Ahmed Raïssouni, tandis que « Al Asr » est dirigé par M.Khalidi. Raison pour laquelle l'hebdomadaire en question n'a aucun soutien du parti dominé justement par le «Mouvement Unicité et Réforme» (MUR). Le MUR part du fait qu'il représente l'Islam «correct et sain» et que ses membres sont porteurs du message de l'Islam aux gens et que les socialistes et les modernistes et autres laïcs complotent contre la religion, la nation et la société. Le Mouvement se considère par conséquent comme le protecteur de la religion. De là on peut comprendre cette hostilité sans limites notamment contre « Al Ahdath Almaghribia » accusée par « Attajdid » d'incarner le courant «extirpationniste». C'est regrettable ces accusations qui n'ont épargné ni le Prince Moulay Hicham, ni Ahmed Boukhari ni l'USFP. Vous voulez dire que le quotidien islamiste pouvait adopter une autre attitude, alors que pour ses dirigeants, il ne fait que se défendre contre Al Ahdath ? Je pense que «Attajdid» aurait mieux fait d'adopter un rythme modéré et équilibré que ce soit dans les propos ou dans les prises de position. On peut se défendre contre des critiques ou même des accusations d'une manière qui ne va pas jusqu'à l'exagération et la grande colère. De son côté, Al Ahdath et particulièrement son rédacteur en chef Lamrani, part du fait que le Maroc est menacé et que le devoir national nécessite le combat de la source des menaces. Et que peut-on attendre de quelqu'un comme Lamrani dont l'honneur est atteint et qui est accusé d'anti-Islam et qui est menacé dans sa vie que la réplique et l'autodéfense ? Quoi qu'il en soit, les gens d'Attajdid ne devraient pas se laisser aller en narguant, à l‘extrême, les autres. D'ailleurs, même votre journal ALM n'a pas été épargné suite au fameux entretien avec le même Raïssouni. Les observateurs nationaux s'accordent sur le fait que c'est le MUR qui dirige le PJD. Est-ce vrai selon vous ? Ce n'est un secret pour personne que c'est le « MUR » qui tire toutes les ficelles du PJD, d'abord sur le plan organisationnel puisque le Mouvement tient de main ferme toutes les instances du parti tout en excluant les membres fondateurs du MPDC. Puis sur le plan médiatique, c'est « Attajdid » qui est le porte-parole du parti qui couvre ses activités et reflète ses orientations, tandis qu'« Al Asr » est confiné dans un rôle humiliant qui a conduit à sa fermeture. D'ailleurs la fermeture de cet hebdomadaire est une exclusion systématique de ce qui est resté des voix du MPDC. Autrement dit, c'est Raïssouni et non El Othmani qui est le vrai patron du PJD… ? Le Dr Ahmed Raïssouni est le théoricien du MUR et un symbole avec lequel personne ne peut rivaliser surtout après qu'il s'est débarrassé d'Abdelbari Zemzmi son rival direct sur le plan symbolique. Raïssouni dispose de beaucoup d'adeptes et un courant puissant que ce soit au sein du MUR ou au niveau du PJD. Pour preuve, il a récolté le plus grand taux de voix lors du dernier Congrès malgré qu'il fût absent. Plus encore, le courant Raïssouni a même réussi a empêcher le Dr Abdelkrim El Khatib de prononcer son allocution lors du Conseil national. Les adeptes de Raïssouni avaient brandi des pancartes du genre « PJD= MUR » ou encore «Nous sommes tous Raïssouni». Ce qui avait obligé El Khatib à se retirer de la salle. Encore faut-il rappeler que Raissouni bénéficie de cette position malgré qu'il n'occupe aucun poste officiel dans l'organigramme, car il a été obligé après l'intervention de l'Etat à présenter sa démission de la présidence du MUR. Comme il l'a reconnu sur les colonnes d' « Al Ayyam », il avait démissionné dès qu'il avait senti que le ministère de la Justice allait engager la procédure de dissolution du MUR. Il n'en demeure pas moins que c'est un dirigeant idéologique du Mouvement et du parti. Il se trouve derrière toutes les guerres menées par les péjidistes et c'est ainsi qu'il avait causé de graves problèmes au parti comme au Mouvement. Et le secrétaire général M. El Othmani dans tout cela ? Saâd-Eddine El Othmani sait parfaitement que quiconque ose manifester une quelconque opposition à Raissouni se retrouvera au mieux marginalisé et au pire chassé du parti. Un risque que M. El Othmani n'est pas prêt à prendre. Ce dernier n'est pas un théoricien et encore moins un fquih, et de ce fait, il ne peut s'opposer aux « fatwas » du tout-puissant Raïssouni. C'est un poste symbolique que celui occupé par M.El Othmani. Raïssouni, lui, est le catalyseur et le planificateur du PJD. Et je crains qu'un jour ne vienne où le PJD regrettera amèrement de s'être laissé guider par les idées de Raïssouni.