Comment un chef d'État peut-il nommer un Premier ministre - de surcroît un Premier ministre non partisan - et lui mettre des bâtons dans les roues ? Cette question qui, pendant plus de deux ans, a hanté les esprits de certains commentateurs politiques, très inspirés et qui a donné lieu aux analyses les plus farfelues, vient de trouver sa réponse de la manière la plus claire de la bouche même de Driss Jettou plus intuiti personae que jamais. Comment un chef d'État peut-il nommer un Premier ministre - de surcroît un Premier ministre non partisan - et lui mettre des bâtons dans les roues ? Cette question qui, pendant plus de deux ans, a hanté les esprits de certains commentateurs politiques, très inspirés et qui a donné lieu aux analyses les plus farfelues, vient de trouver sa réponse de la manière la plus claire de la bouche même de Driss Jettou plus intuiti personae que jamais. Rappel des faits. Nous, on commence par dire que Jettou est une mauvaise pioche, il constitue un écart à la feuille de route de transition démocratique, car, justement il n'est pas partisan. Il ne peut exciper a priori d'aucune légitimité politique. Un copain à lui nous répond méchamment dans la presse en nous disant que Jettou a la légitimité monarchique, et qu'elle lui suffit. Le type a confondu la fait d'avoir la confiance royale, ce qui est légitimant, et la légitimité royale, qui, elle ne s'attache qu'à la légitimité du Roi en personne ou à tous ses sujets, mais cette fois tous en même temps, y compris Moulay Abdallah Zaazâa et Sidi Abderrahim Berrada. On nous dit, encore, que le Makhzen, par notre truchement, veut bloquer la marche de Jettou car deux, trois ou quatre visions économiques makhzéniennes se disputent âprement au sommet et que le Premier fait les frais de cette bagarre assez peu légitime. On répond, faux. Driss Jettou est un pur produit du Makhzen économique et sur ce terrain-là très peu d'hommes de pouvoir peuvent le battre. Pour arriver à cette forme de tuning fin, il nous faut, encore, cinquante ans de progrès. On nous redit que c'est un complot contre le Premier orchestré par le syndicat des intermittents du Méchouar infiltré dans la presse. A ce moment on leur a dit Zut… Et tout a basculé. Driss Jettou en personne qui n'a jamais eu un mot de trop à notre égard nous dit : «Écoutez les gars, vous, vous faites votre boulot, et moi je fais le mien. Les arguments qu'utilisent ceux qui veulent m'aider me compliquent la vie, pas plus. Bien au contraire, vos prises de position libres aiguillonnent le gouvernement et poussent mes ministres à se secouer.» Voilà, comment l'affaire a été réglée depuis belle lurette. Aujourd'hui, Driss Jettou dit qu'il est, et qu'il a toujours été, un Premier ministre libre de ses mouvements, de ses initiatives et qu'il assume pleinement sa responsabilité. Nous le croyons, car c'est la vérité. Jamais, avant lui, y compris Si Abderrahmane Youssoufi qui a déjà énormément fait pour ce pays, un Premier n'a eu autant de pouvoir. Point d'orgue de cette autonomie, la dernière loi de Finances 100% Jettou avec ses arbitrages, même les plus sensibles. Maintenant, il y a une contradiction que nous devons -si nous sommes un tout petit peu honnêtes- assumer. Comment se fait-il qu'un Premier ministre avec, au départ, une légitimité politique aussi faible a-t-il pu élargir à ce point, et d'une manière inédite dans notre histoire, le périmètre de sa fonction ? Une bonne question. Première réponse : les qualités personnelles de l'intéressé, que tout le monde lui reconnaît par ailleurs, ne sont pas étrangères à cette mutation. Deuxième réponse : la volonté du chef de l'État de permettre au Premier ministre qu'il a choisi, malgré les renâclements d'une partie de classe politique et de certains observateurs -surtout nous-, d'accomplir au mieux sa tâche avec tout le soutien, franc et loyal, nécessaire. Point à la ligne. Le reste est connu. Les thuriféraires patronaux de Jettou à la CGEM l'ont habilement ligoté. Un soutien de façade et une grève de l'investissement sous le manteau. Ils ont pensé avoir envoyé un membre actif de leur coterie à la Primature, il se sont retrouvés chagrinés face à un homme d'État, certes ami, mais bien pénétré de sa fonction et de ses responsabilités. Bilan, le retour de la confiance que l'on était, sur le papier, en mesure d'attendre de Driss Jettou n'est pas au rendez-vous. Par ailleurs, en collant de très près aux orientations royales, il a fait ce qu'il a pu et, plutôt bien, dans un contexte éminemment difficile et complexe. Nous devons, désormais, lui reconnaître cela. En fait, pour mesurer notre décalage, tout le travail de fond accompli à mettre au crédit de Driss Jettou aujourd'hui aurait dû être fait avant l'avènement du gouvernement de Abderrahmane Youssoufi. Mais on ne refait pas, malheureusement, l'Histoire.