Présenté comme un gouvernement de compromis entre le politique et le technocratique, entre des individualités expérimentées et de nouvelles compétences prometteuses, le Cabinet obéit à une architecture volontariste qui vise l'efficacité et l'innovation dans le traitement des priorités économiques et sociales. Nommé jeudi 7 novembre après environ un mois de consultations, le gouvernement Jettou tiendra son premier conseil le mardi 12 courant. Une première prise de contact officielle entre les différents membres de la nouvelle équipe qui aura aussi à plancher sur la déclaration de principe que le chef du gouvernement doit lire devant les députés. Ce n'est pas la seule tâche des hommes de Jettou. La Loi de Finances de cette année budgétaire, approuvée en conseil de ministres il y a quelques semaines, a besoin d'être adaptée, notamment au plan de sa nomenclature et de certaines rubriques, à la nouvelle architecture du gouvernement qui est différente de celle de l'ancien exécutif. Dans ce sens, les attributions des ministres, des ministres délégués et de certains secrétaires d'État feront certainement, par la même occasion, l'objet d'une discussion avec Driss Jettou. Définir et clarifier les compétences des uns pour éviter tout empiètement sur celles des autres. Ainsi, chacun saura dans quel cadre il aura à exercer son action de membre du gouvernement. Le Premier ministre tient d'autant plus à travailler avec son équipe dans un esprit de cohésion que cette qualité semble manquer, à première vue, au nouveau cabinet. Enfanté dans la douleur, ce dernier porte en effet la marque du compromis. Cela se voit, Driss Jettou n'avait pas totalement les mains libres. Autrement, il aurait fabriqué un attelage gouvernemental différent. Or, le sens du consensus reconnu à l'intéressé a montré ses limites au seuil des fauteuils et du confort qui va avec dans l'esprit des candidats. Prisonnier de la logique partisane souvent étriquée prévalant au sein de certaines formations, confronté aux ambitions personnelles de tous ceux qui voulaient être ministres, Driss Jettou a dû tenir compte de facteurs complexes. Un exemple : était-il possible que Mohamed El Yazghi ne figure pas dans l'actuel gouvernement, lui, qui contrôle l'essentiel de l'appareil de l'USFP sans mettre en danger les équilibres à l'intérieur même de ce parti ? Que répondre à un Abbas El Fassi menaçant qui tenait absolument à redevenir ministre même sans portefeuille sous peine que son parti passe à l'opposition ? Seule satisfaction personnelle pour Driss Jettou : avoir réussi à imposer deux ministres apparentés à l'Istiqlal : Karim Ghallab et Adil Douiri dont le Premier ministre apprécie particulièrement la compétence. C'était donc une gageure pour n'importe qui dans un contexte qui est ce qu'il est avec ses pesanteurs, ses contraintes et sa course effrénée à la ministrabilité que de sortir avec une équipe plus ramassée et ne comptant que des visages nouveaux. La realpolitik à la marocaine quand il s'agit de distribuer le “gâteau gouvernemental“, Driss Jettou l'a côtoyé de très près cette fois-ci. Il a été édifié. Résultat des courses : celui-ci a fait beaucoup de mécontents à l'intérieur de certains partis composant son cabinet, tels que l'Istiqlal, l'usfp, le RNI et le PPS. L'humeur de la foule des frustrés, qui se recrute en particulier parmi les députés de la majorité, risque de s'exercer au Parlement. Comment apaiser les esprits pour s'attacher leur bonne collaboration ? “ Il n'y pas que les fauteuils ministériels“, note un observateur. Allusion faite aux autres postes comme les offices publics et les ambassades… Si le Premier ministre a anticipé in extremis sur la colère des habitants des provinces du sud en nommant à la Santé un homme issu de cette partie du pays (Mohamed Cheikh Biyadillah), force est de constater qu'il n'a pas eu le même réflexe à l'endroit da la région du Souss. Négligence ou oubli ? En tout cas, l'élite de cette zone économique importante du Maroc ne cache pas son mécontentement, voire sa colère. En bout de course, un gouvernement qui comporte pas moins de 39 membres. Pléthorique. C'est le même nombre de postes du premier cabinet d'alternance que les observateurs avaient taxé à l'époque d'ingérable. Deux ans après sa formation, un recentrage était devenue nécessaire. Le remaniement ministériel de septembre 2000 a ramené l'équipe Youssoufi à 33 ministres le premier d'entre eux inclus. Le cabinet Jettou éprouvera-t-il le même besoin de re-profilage ? En attendant, le chef du gouvernement est appelé à déployer tout son savoir-faire pour faire travailler les éléments de son équipe. Notamment les nouveaux qui n'ont pas d'expérience dans la gestion des affaires publiques et que M. Jettou doit formater selon sa vision d'efficacité et de cohérence de l'action gouvernementale. Un ministère attire particulièrement l'attention : l'habitat confié à l'istiqlalien Ahmed Taoufiq Hjira. Ce département est rattaché directement au Premier ministre. Ce n'est pas un hasard. Loin de là. Driss Jettou fait de l'habitat un chantier personnel et le défi majeur de son mandat. La question du logement est synonyme pour le chef du gouvernement de la lutte contre les bidonvilles et l'habitat insalubre. Il semble que Driss Jettou s'est donné une période 5 ans pour éradiquer ce fléau social sur lequel a prospéré le phénomène islamiste marocain. D'ailleurs, la carte électorale du PJD issue des législatives du 27 septembre dernier se recoupe parfaitement avec le Maroc des bidonvilles. Quelle est la recette de M. Jettou dans ce domaine ? Recaser les mal-logés en construisant des habitations très économiques clés en main. Mais comment arrêter l'exode rural qui alimente chaque la cohorte des candidats attirés par les lumières du milieu citadin? Autre préoccupation importante du Premier ministre, la relance de l'activité économique. À cet effet, Driss Jettou a fait de Abderazzak El Mossadeq, un homme avec lequel il a travaillé en bonne intelligence par le passé, son bras droit et son collaborateur le plus proche. Débauché de l'administration des Douanes qu'il a réussie de l'avis général à réformer dans le bon sens, M. El Mossadeq a été propulsé ministre délégué auprès du ministre chargé des Affaires économiques et générales et de la mise à niveau de l'économie. Tout un programme. Cependant, un responsable comme M. Mossadeq, qui a fait preuve de son audace réformatrice et d'un esprit d'initiative remarquable, aurait été mieux utile dans le ministère le plus stratégique du gouvernement : l'Économie et les Finances. Département non moins tentaculaire, voire hermétique, ce dernier avait vraiment besoin de se voir injecter une bonne dose de visibilité. Et puis reconduire Fathallah Oualalou comme argentier du Royaume revient à consacrer la politique de sauvegarde des grands équilibres où l'intéressé n'a pas du reste démérité. Mais compte tenu des défis économiques et sociaux qui attendent le pays, n'était-il pas judicieux de promouvoir une autre politique financière ? Une chose est sûre : le Premier ministre est décidé à élaborer sa méthodologie et son style de gouvernance en imprimant sa touche à toute l'action gouvernementale. De ce point de vue, la primature sera aussi un poste d'observation et d'évaluation du travail de chaque membre de son équipe. Obligation de résultat oblige.