Fin connaisseur de l'Amérique, Robert Assaraf revient dans cet entretien sur la portée du projet de la zone de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis. Pour lui, cette zone risque de mettre fin au quasi-monopole historique des entreprises européennes implantées dans le Royaume. ALM : François Loss, ministre français délégué au commerce extérieur, a laissé entendre, lors de sa visite à Rabat, qu'il est “difficile pour le Maroc d'être un partenaire privilégié de l'UE et de conclure en même temps une zone de libre-échange avec les Etats-Unis“. S'agit-il d'une menace à peine voilée ou d'une inquiétude fondée ? Robert Assaraf : En tout cas, les insinuations du ministre français prouvent que le projet maroco-américain est sérieux. En effet, les Américains, qui commenceront les négociations avec leurs homologues marocains au plus tard à la fin de ce mois, ont l'intention de conclure cet accord dans les délais impartis. Mais les opérateurs économiques n'attendront pas la date de 2004 pour réagir. Ils débarqueront au Maroc dès le mois prochain pour prospecter le marché marocain. Aux hommes d'affaires marocains de faire de même en allant à la rencontre de leurs futurs partenaires. Donc, la zone de libre-échange est une affaire sérieuse… Bien sûr. C'est pour cela que les Européens se sentent un peu bousculés. Nombre d'entreprises françaises, anglaises, espagnoles… installées depuis longtemps au Maroc risquent d'être gênées dans leur activité par le débarquement économique des Etats-Unis dans le Royaume. Les entrepreneurs américains vont venir avec leurs entreprises, leurs produits et leurs marchés. Et ne se lanceront dans les affaires qu'avec des partenaires locaux dans le cadre d'un partenariat Win-Win. Un partenariat avec les risques que cela comporte… Évidemment. C'est en prenant des risques certes calculés que les Américains ont réussi à bâtir des empires commerciaux, à fructifier leur capital et à créer des richesses. Les Marocains et le Maroc ont tout à gagner à s'associer de la sorte avec leurs futurs partenaires. Faut-il rappeler que l'accord de la zone de libre-échange maroco-américain est axé essentiellement sur un partenariat avec les opérateurs privés des deux côtés. L'État dans cette affaire doit seulement édicter des règles du jeu en laissant les protagonistes travailler ensemble dans le cadre ainsi tracé. Si un Américain a la possibilité de fabriquer ses produits avec un coût de revient moins cher au Maroc que chez lui, il va bien sûr tenter d'opérer à partir du Royaume. Dans la tête des Américains, une zone de libre-échange, une fois conclue avec des garanties de part et d'autre, est quelque chose de définitif qui s'inscrit sur le très long terme. Quels sont à votre avis les secteurs susceptibles d'intéresser éventuellement les opérateurs américains ? Je dirai l'artisanat. Voilà un secteur qui ne souffre pas vraiment de concurrence en dehors de celle des pays du Moyen-Orient. Peu d'Américains connaissent le style artisanal marocain. La zone de libre-échange offre à ces produits l'occasion d'être commercialisés à grande échelle outre-Atlantique. Les artisans marocains sont appelés d'ores et déjà, s'ils veulent développer leur activité, à trouver des partenaires américains. Par ailleurs, les Américains sont intéressés par le secteur financier marocain où les banques US ne sont pas présentes , hormis la Citibank qui est, elle, une institution qui s'occupe des relations entre l'État marocain et son homologue américain. Donc, il faut s'attendre à ce que des banques américaines prennent pied au Maroc ? Absolument. Pour les américains, le service bancaire est un produit comme un autre. Pas besoin de produire des garanties ou des cautions personnelles pour accéder à un crédit pour monter un projet. Autre secteur qui pourrait les intéresser, l'immobilier. Sur ce plan aussi, les promoteurs américains peuvent faire des choses très intéressantes. Les entrepreneurs européens implantés au Maroc auront donc raison de s'inquiéter… À mon sens, l'arrivée des Américains sur le marché américain avec tout ce que cela suppose comme technicité et gros moyens risque de remettre en cause le quasi-monopole historique des Européens sur le marché marocain. L'ouverture de ce dernier va stimuler la concurrence entre les divers protagonistes. Une chose est sûre : Le Maroc ne peut pas obtenir plus de l'union européenne, en termes d'assouplissement, des quotas pour ses exportations agricoles. Le problème pour l'UE par rapport à la zone de libre-échange va-au delà de ce volet. Les Européens savent que l'ensemble de leurs produits qui circulent au Maroc seront sérieusement concurrencés par les marchandises américaines.