Les négociations sur l'Accord de libre-échange entre le Royaume et les Etats-Unis évoluent positivement pour aboutir à la ratification dans un an. Robert Assaraf, acteur économique avisé et observateur attentif, met cet événement en contexte. Les Etats-Unis ont adopté une approche ambivalente du système commercial international. Malgré leur engagement en faveur de la création de l'OMC, et la volonté de voir cet organisme étendre l'empire de ses règles et les territoires où celles-ci s'appliquent (entrée de la Chine dans l'OMC), les Etats-Unis ont le souci d'éviter que ces mêmes règles ne s'appliquent à leur encontre, comme le souligne une note interne de la DREE (Direction des relations économiques extérieures du ministère français de l'Economie). L'Administration Bush n'échappe pas, au contraire, à cette dynamique. Professant un engagement toujours plus grand en faveur de la libéralisation commerciale, les actes ne suivent pas vraiment. Ainsi des pressions protectionnistes dans des secteurs aussi sensibles que le textile, le bois, l'acier ou encore l'agriculture ont pu être observées à la suite de l'adoption du « fast track», à la fin de l'été dernier. C'est la première ambiguïté. La seconde réside dans la nouvelle politique américaine visant à la signature d'accords de libre- échange (ALE). Aussi, à côté des négociations multilatérales dans le cadre de l'OMC, l'Administration Bush multiplie-t-elle les démarches bilatérales : 1/ Pour étendre l'Alena, sa zone «naturelle» de libre-échange, avec des contrées en Amérique centrale et latine (Chili). On est, cependant, loin d'une Union douanière de l'Alaska à la Terre de feu. Les réticences du Brésil, réaffirmées à l'occasion de l'élection du nouveau président Lula, en attestent. 2/ Avec des pays du monde arabe (après la Jordanie, le Maroc, et l'Egypte), dans une logique de rapprochement, certes économique, mais également diplomatique dans le cadre des préoccupations actuelles du président Bush. 3/ La zone africaine subsaharienne est également une cible pour les Etats-Unis. Aussi bien les pays de l'Union douanière sud-africaine (la Southern Africa Custom's Union), qui forment autour de l'Afrique du Sud, pays industrialisé, une zone de croissance plus importante, que les pays en voie de développement (PVD) de l'Afrique de l'Ouest. L'intérêt américain pour cette région a ainsi été renouvelé, le 7 novembre dernier , à Washington. Les pays comme le Sénégal, bénéficient déjà de conditions tarifaires d'exportation quasi nulles. Les pays de la zone asiatique (Singapour, Vietnam, Corée du Sud) qui ont une forte intensité d'échanges avec les Etats-Unis, ont été approchés. Ce faisant, les Etats-Unis entrent dans une course à « l'échalote» pour reprendre le mot de Michel Rouquin, directeur adjoint du Centre d'études et de prospectives d'informations (CPII) (France), avec les deux autres pôles économiques de la planète : l'Union Européenne (UE) et le Japon. Cette double ambition relève bien de la logique d'une hyper puissance. Elle converge en un sens, puisque lors de futures négociations de l'OMC, ce sont les dispositions déjà existantes dans les différents ALE qui seront reprises. Ainsi, les Etats-Unis se font les alliés des pays avec lesquels ils ont déjà traité tout en avançant sur le terrain de la norme et du droit. L'adoption du Fast Track A l'issue d'un long et fastidieux travail de négociations au sein du Congrès, auquel ne sont pas étrangers les nombreux gages donnés aux élus afin de gagner leur soutien, le Trade Act 2002, entrait en vigueur, le 6 août dernier. Ce texte comprend le renouvellement, en réalité la réactivation de la Trade Promotion Authority (TPA) qui confère à l'Administration Bush les pouvoirs extraordinaires en matière de négociations commerciales. Ce « Fast Track », refusé en son temps à Bill Clinton représente le cadre des directives fixées par le Congrès à l'Administration Bush, par la voix de son représentant, Robert Zoellick. Le Président pourra négocier des traités sans que les sénateurs et représentants ne puissent en amender le contenu, lors du vote de ratification. Le gouvernement n'a obtenu le TPA qu'en se pliant aux lobbies des congressmen qui ont conditionné son adoption à la mise en place de nouvelles mesures protectionnistes: - Restrictions à l'entrée du bois aux Etats-Unis provenant du Canada, déclenchant la fureur de ce pays membre de l'Alena. - Mise en place de protections douanières visant les importations d'acier, provoquant la colère des pays incriminés (Corée, Japon, Union Européenne), et la saisine de l'ORD, l'Organe de règlement des différends au sein de l'OMC, avec, à la clé, la condamnation des Etats-Unis. - De nouvelles subventions à l'agriculture des Etats-Unis, 190 milliards de dollars sur 10 ans. - L'adoption conjointe du (TAA) Trade Adjustement Assistance ardemment réclamée par les démocrates. Le TAA est censé indemniser les travailleurs américains dont l'emploi sera réduit par les ouvertures commerciales et la concurrence étrangère. - Voilà qui donne le ton. Toutes ces mesures d'encadrement du TPA ne sont pourtant pas seulement inspirées des peurs liées aux futurs rounds de négociation de l'OMC. - Les Etats-Unis pouvant compter sur les divergences d'intérêts entre les différentes zones (U.E, Japon, Chine). Le cas du Maroc C'est également dans la perspective d'accords de libre-échange intégrant d'autres clauses en dehors de celles pesant sur les quelque 4600 produits actuellement listés par l'OMC, que ces barrières ont été mises en place. Deux mois seulement après l'adoption du TPA, Robert Zoellnick s'est empressé d'annoncer officiellement la mise en route du processus initiant les négociations préalables à un ALE avec le Maroc, Singapour, le Chili ainsi qu'avec l'Afrique du Sud. Concernant le Maroc, le négociateur Robert Zoellnick ne cachait pas son optimisme : « l'instauration d'une zone de libre-échange maroco-américaine renforcera nos liens économiques et politiques avec la région », mettant bien l'accent sur le rôle de tête de pont pour le Maghreb, mais également pour l'UE que comptent faire jouer au Royaume les Etats-Unis. Dennis Hastert, le président de la Chambre des représentants s'est également félicité du futur accord avec le Maroc. Nous reprendrons plus loin le cas du Maroc, après nous être intéressés à la politique américaine dans la région. Le positionnement américain dans la région méditerranéenne Les relations économiques des Etats-Unis avec les pays méditerranéens sont relativement faibles, polarisées sur Israël, l'Egypte, la Turquie et l'Algérie. Elles n'occupent une place de premier rang que pour les deux premiers pays. Cette situation est liée à la politique menée par les Etats-Unis, dont l'aide financière, civile et militaire, de 10 milliards de dollars (42% de l'aide US mondiale) est orientée à 95% en faveur d'Israël et de l'Egypte. La politique commerciale US, jusqu'à présent peu active, à l'exception des deux accords de libre-échange avec Israël et la Jordanie, compte tenu de son positionnement sur la question du Moyen-Orient et la place croissante dans la diplomatie américaine, en particulier du Maroc et de l'Egypte. Ainsi en attestent les nombreuses visites de représentants US au Maroc. Mais contrairement à l'Egypte, le Maroc appartient à la sphère économique européenne, se rapprochant, dans cette spécificité, du cas de la Jordanie. Aussi, la mise en place d'un ALE entre le Maroc et les Etats-Unis ne peut s'apprécier qu'au regard de la concurrence commerciale entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Comme le confirmait déjà, en novembre dernier, Richard Johnson, le conseiller économique de la représentation américaine lors d'une conférence à l'école HEM, en insistant sur le volet agricole : «Lorsque nous pensons à de nouveaux accords, ceci comprend de manière définitive l'agriculture, alors que les accords d'association avec l'UE ne le font pas». Les relations Euromed, ou l'échec du mare nostrum Avant d'aller plus loin, un bilan des relations euro-méditerranéennes et Maroc-UE, en particulier, apparaît nécessaire. C'est en 1995, à Barcelone, que le dialogue euro-méditteranéen entre l'UE (à 12 à l'époque) d'une part, et 12 Etats du Sud et de l'Est de la Méditerranée d'autre part, prend forme, aboutissant à une déclaration pleine d'enthousiasme. Ce que la partie française définissait comme un «rééquilibrage» de la politique européenne consistait, en fait, à associer les pays du nord de l'Europe aux efforts des chancelleries française, italienne, espagnole et grecque, dans leur politique en direction de l'autre rive du «mare nostrum». En réalité, il s'agissait de faire contrepoids à l'élargissement imminent de l'UE à certains «Peco» (anciens pays de l'Est), désormais acquis avec le traité de Nice (Pologne, pays Baltes, Slovénie…) Trois enjeux Les trois objectifs principaux sont alors, en particulier, pointés sur les enjeux suivants : - Culturels : la coexistence du monde judéo-chrétien et arabo-islamique n'a jamais été, du point de vue historique, chose facile. Mais, depuis les années 90, les oppositions se sont accentuées. Une partie du monde islamique a succombé à la tentation du repli identitaire. Tandis que l'opinion occidentale en général et européenne, en particulier, manifestait une incompréhension et une inquiétude, y compris à l'égard des communautés immigrées originaires de la zone. La montée de cet antagonisme a motivé à l'évidence le rapprochement euro-méditéranéen en vue de limiter les aspects fortement déséquilibrants de cette fracture, de cette incompréhension. - Géopolitiques et militaires : les conflits inter-étatiques mais également intra-étatiques sont nombreux et violents. Ils datent pour certains de l'après-guerre comme au Moyen-Orient. D'autres sont apparus plus récemment. Parallèlement, ont émergé de nouvelles puissances régionales à la périphérie, comme l'Iran et l'Irak. En outre, il convient de rappeler que la Guerre du Golfe, une idée renforcée par la guerre en Afghanistan, a été vécue par les opinions publiques arabes comme un alignement des Européens sur les Etats-Unis. La politique de Washington visant au « containment » de l'intégrisme islamique, elle, a souvent été perçue comme le prolongement d'un impérialisme d'un autre âge, associé au maintien de gouvernements répressifs et parfois corrompus. Enfin, et c'est la question qui nous occupe- les enjeux sont économiques. Contrairement à l'Amérique latine ou à l'Asie du Sud-Est, le sud de la Méditerranée n'a pas su devenir une région émergente. Exceptés Israël et la Turquie, ces pays se caractérisent par une offre industrielle peu compétitive, tandis que la structure des exportations reste proche de celle des pays en voie de développement (PVD). Quant à l'intégration régionale, on touche au fiasco L'Union du Maghreb arabe, UMA, créée en 1989, n'a pas su dépasser les conflits séculiers entre ses différentes composantes, et notamment entre Rabat et Alger sur la question du Sahara occidental. Plus à l'Est, même constat. Les divisions entre les pays du Machrek, la détérioration des relations israélo-palestiniennes, la fermeture politique de la Syrie, ont ruiné la construction d'un « marché commun levant », une telle situation qui marginalise et fragilise la région, entretenant de nombreux antagonismes culturels et religieux, favorise également une forte pression migratoire aux portes même de l'Europe. Le Maroc et l'Union européenne Pour le Maroc, cela s'est traduit par la mise en place d'un accord d'association avec l'UE signé en 1996 et entré en vigueur en 2000, avec un horizon de 12 ans pour libéraliser totalement du commerce et aboutir à une zone de libre-échange. Si ce processus est en bonne voie concernant les produits industriels, le volet agricole demeure très défavorable au Maroc. En effet, et de manière paradoxale, ce sont les cultures céréalières qui sont favorisées dans l'accord UE-Maroc, alors que les cultures maraîchères et agrumes où les avantages du Maroc sont sensibles, sont contraints par des quotas. Autre source de tension commerciale, la non-reconduction de l'accord portant sur la pêche, renouvellement rejeté par le Maroc, mettant un terme à un deal fortement défavorable au Royaume. (La dernière concession, politique-humaine, ne règle pas le problème à long terme). Les derniers développements Maroc-Etats-Unis Dès 1995 le calendrier d'un ALE Maroc U-E arrêté, le Royaume s'est tourné vers les Etats-Unis, afin de conclure avec ce pays un accord ALE. C'est une fin de quasi-non recevoir, que l'Administration d'alors a fait en guise de réponse : sous la forme d'une étude d'impact, un tel accord avait été jugé économiquement peu pertinent. L'arrivée de l'Administration Bush, la lutte anti-terroriste après le 11 septembre 2001, a radicalement changé le cap de l'Amérique. Les récentes visites, en juin dernier, de Robert Zoellnick en Egypte et celle de Samuel Bodman, le sous-secrétaire américain au Commerce, fin septembre au Maroc, ont été suivies par Don Evans, qui y a commencé sa tournée africaine le 11 septembre 2002 accompagné de représentants de 45 firmes US. La visite de travail, en avril 2002, de Sa Majesté Mohammed VI avait, en effet confirmé la volonté commune d'arriver rapidement à un accord. Un accord ALE est désormais sur les rails officielles, renforcé en septembre, par des lettres de R. Zoellick, indiquant au Sénat et au Congrès le début des négociations avec le Maroc. Non seulement les parlementaires des deux chambres n'ont pas trouvé mot à redire après les 70 jours de réflexions et d'auditions des parties concernées par un tel accord, mais, de plus, 55 membres influents du Congrès ont apporté leur soutien au projet, en signant un document appelant à une rapide conclusion de l'accord. Le calendrier a été défini et des négociateurs nommés afin de parvenir, en fin d'année 2003, à la signature de l'accord et à sa ratification par les deux États. : 1- Négociateurs : pour le compte du Maroc, M. Taieb Fassi Fihri, ministre délégué aux Affaires étrangères est en charge du dossier, nommé par le Roi, représentant exclusif du Maroc et unique responsable de la négociation de l'ALE avec les Etats-Unis. Il a néanmoins, confirmé la création de groupes de travail sectoriels. Côté américain, Robert Zoellick, l'USTR (US Trade Représentative), a délégué Kathy Novelli sur la question d'un ALE avec le Maroc. 2- Calendrier : le 11 septembre dernier, devant la Chambre des Conseillers, M. Taïeb Fassi Fihri, a décrit le processus conduisant à la conclusion de l'ALE. Selon les informations des délégués américains, il est prévu un calendrier définitif pour l'année prochaine. Ouverture des négociations officielles : 20 janvier 2003. Signature la fin du troisième trimestre 2003. 3- Ratification fin 2003, (début 2004) 4- La ratification de l'accord arrêté et signé ne posera sans doute pas de problèmes côté marocain. Côté Etats-Unis, non plus. En effet, ainsi qu'en dispose le TPA, les négociateurs américains sont chaperonnés par des représentants du Parlement. Aussi, le texte tel qu'il sera présenté devant le Congrès et le Sénat, aura-t-il été préalablement discuté et amendé, de sorte que le Parlement l'adopte. Conclusion : une ratification assurée Si la ratification des négociations en cours ne fait pas de doute, la mise en place d'un ALE entre les Etats-Unis et le Maroc met en branle d'autres points essentiels. C'est à l'évidence une chance pour le Maroc, dans la mesure où ses négociateurs vont se frotter aux réalités de ce qui existe en la matière : le personnel américain figure parmi les meilleurs dans les négociations commerciales. Aussi, ces tractations vont permettre au Maroc d'enrichir ses capacités à négocier. Une nouvelle expérience, utile, à terme, dans les perspectives des traités prévus avec l'UE. Mais ils apprendront aussi, comme l'ont appris les Espagnols, à se méfier des normes sanitaires (cf la mise sous quarantaine des importations de clémentines pour cause de présence d'une mouche). Vis-à-vis de l'UE, justement, le Royaume va bénéficier d'un rééquilibrage de ses relations internationales. D'abord politiques. On l'a vu dans le cas du Sahara Occidental comme sur la question des présides espagnols au Maroc. Le même équilibrage est prévu sur le plan économique, comme l'espère la partie marocaine, sans que les gains aient été clairement identifiés. Quelques pistes cependant, peuvent être citées : Sur le plan industriel : malgré la faiblesse de la productivité du pays, ses accords avec l'UE, place le Maroc dans une position idéale de tête de pont, pour des secteurs du type confection à forte intensité de main d'œuvre . Cela se fera d'autant plus facilement avec la mise en place d'infrastructures importantes comme le futur port, près de Tanger (1 milliard de dollars) et l'autoroute Tanger, Rabat, Oran, Alger, Tunis. Sur le plan touristique : il est fortement probable que les voyageurs américains se portent de plus en plus vers la destination Maroc, à la suite du réchauffement des relations avec le Royaume. De quoi alimenter le programme visant les 10 millions de touristes à l'horizon 2010 au Maroc. Il reste évidemment, d'espérer avant tout un développement rapide des investissements initiés par des groupes américains dans l'industrie, le tourisme ou la finance. A la condition que l'Administration marocaine s'adapte rapidement aux urgences juridiques de l'ALE. Mais aussi, en compagnie des banques marocaines à l'initiative des participants marocains qui doivent s'imposer à la base de la réussite des investissements étrangers.