Les 14 mois de crise entre Madrid et Rabat ont fait éloigner les deux pays. Sans préjuger de la rencontre Benaïssa-Palacio, voici des réflexions d'un historien. Ces derniers temps, les relations maroco-espagnoles ont pris une tournure très spéciale de par la complexité des intrigues et le non-dénouement de maintes affaires en suspens. Aux vues de l'histoire, on ne peut renier le fait de la complexité de ces relations ainsi que la persistance de contact à travers le détroit, cette bicéphalie rend l'étude et la recherche dans ce domaine encore plus difficile et plus complexe. Nos propos se limiteront dans cet article en premier lieu, à relater une chronologie approximative des relations entre les deux entités tout en scrutant cet aspect de conflit éternel qui maquille et enveloppe ces contacts. En second lieu nous essaierons de survoler la vision endogène de ces relations à travers la mémoire populaire et à travers la conception savante et politique. L'histoire nous rapporte que depuis l'aube des temps les contacts de par et d'autre du détroit étaient des plus fréquents, par obligation géographique et humaine. Ainsi les recherches archéologiques et historiques concernant la préhistoire prouvent la pérennité de ces relations. En passant par le périple d'Ulysse à travers le récit homérique et son passage par le détroit et son contact mythique, avec les deux rives on remarque une connaissance antique de l'espace en question, en même temps qu'une peur de l'au-delà des colonnes et qui, suivant la mythologie, empêchent les monstres d'envahir la mer intérieure, le détroit serait alors ce paravent en même temps qu'une porte entre le connu et l'inconnu, entre la vie des dieux et des humains et celle des monstres. Et c'est à Hérodote de nous transmettre la réalité historique suivante : "la navigation dans ces régions restait une affaire divine". Quant à la légende d'Héraclès, second héros de la mythologie grecque à avoir visité les deux contrés, elle dénote un changement de ton qui diffère de celui d'Ulysse; il se peut que les évènements politiques de l'époque aient influencé le récit. Ainsi les deux combats menés par Héraclès en occident ( contre Géryon et contre Antée) déterminent cette vision de force et de conquête de ce lointain occident dont l'orient cherche à s'approprier les richesses, et ce en continuité avec le récit d'Ulysse qui se veut le découvreur de cet occident. La séparation des deux continents par Héraclès couronne l'entré des deux rives dans une nouvelle ère de leur histoire commune en faisant fi de l'ancienne unité antique ou plutôt mythique. Mais qui se retransmet par des passages fréquents de populations ibériques et africaines de par et d'autre du détroit, ce qui donnera un brassage et une culture à part. Conquête et commerce s'en suivirent entre les deux rives. Une large diffusion des types humains, des outils et des croyances s'était effectuée entre le Maroc et l'Espagne de l'époque. C'est ainsi que Salluste déterminait la prospérité des libyens (population du Maghreb antique) par leur rapprochement ou leur éloignement de l'Espagne. Suivant la chronologie, plusieurs périples s'ensuivirent surtout des phéniciens ,des carthaginois et autres. La plupart de ces aventuriers cherchaient un passage maritime en suivant les côtes maroco-mauritaniennes vers le sud. Ce qui prouve l'intérêt de la rive africaine occidentale pour le monde méditerranéen, et non pas seulement pour l'Espagne. Après le troisième siècle avant notre ère, le Maroc et l'Espagne se trouvent en plein dans le bain des guerres puniques, Rome et Carthage influencèrent ces relations devenues encore plus antagoniques. Le Maroc était le passage obligé des carthaginois vers la conquête de l'Espagne et vis-versa, ainsi que la participation des deux populations dans les différentes armées antagoniques ; ( Hamilcar, Hannibal, Masinissa). Après vint la période romaine dont l'Espagne sert de pont vers le passage au Maroc antique d'autres envahisseurs suivirent de part et d'autre. Ce qui nous amène à dire que la sécurité de l'une des deux rives dépendait largement de la situation politique de l'autre et surtout de ses alliances étrangères ou de sa situation de dépendance vis-àvis à une autre force méditerranéenne. • Khalid Chegraoui, Historien en Fac. des lettre Sais-Fès