Les 14 mois de crise entre Madrid et Rabat ont fait éloigner les deux pays. Sans préjuger de la rencontre Benaïssa-Palacio, voici la seconde et dernière partie des réflexions de l'historien Khalid Chergaoui. D'abord, la vision populaire et populiste. Au sein de cette vision nous retrouvons les mêmes ingrédients que nous avons expliqués auparavant, concernant la phobie du Maure. Les Marocains en général, exception faite de quelques nationaux du nord, ont une vision réductrice de l'Espagnol, surtout de l'époque datant d'avant la démocratisation. La pauvreté, la prostitution, l'illettrisme, l'anarchie …étaient les qualificatifs courants faisant partie des normatifs et des jugements sociaux culturels. De ce fait la xénophobie n'est nullement l'apanage des européens. La nouvelle donne de démocratisation espagnol propulsa ce pays loin devant le Maroc, d'ailleurs l'exemple économique et politique espagnole est omniprésent dans la pensée marocaine, et l'explication de ce développement prend des allures parfois sérieuses et scientifiques, et d'autres fois des consonances imprégnées d'incompréhensions et même de jalousie, du fait que bon nombre de marocains auraient souhaité être dans la même situation politique et économique des espagnols. En général, le classement de l'Espagnol par rapport aux autres nationalités européennes, chez le marocain, vient en deçà de ce que penseraient les Espagnols d'eux mêmes. Ensuite la vision politique partisane et militante; vision officieuse. A notre avis, cette position joue un rôle de paravent à la position officielle. Elle se traduit par des articles et des publications qui traitent de ces relations et de ces conflits. Elle se base en général sur l'aspect historique des liens maroco-espagnoles et s'étale sur l'opposition espagnole tant officielle qu'officieuse concernant l'unité nationale marocaine. Nous relaterons dans ce sens deux exemples : M. Larbi Lemssari et M. Abdelkarim Ghallab, tous les deux membres éminents et influents du parti de l'Istiqlal, hommes de lettres et journalistes confirmés. Il faudrait noter à ce stade que le parti de l'Istiqlal a une position claire et définitive et continue vis-à-vis des relations maroco-espagnols et de l'unité nationale du royaume. Larbi Lemssari en tant que grand connaisseur de l'Espagne moderne, de sa culture et de sa politique interne, se positionne par rapport aux multiples conflits maroco-espagnoles en se référant aux origines historiques de la phobie du Maure, tout en cherchant des passerelles tant en Espagne qu'au Maroc afin de remédier à cette tare. Abdelkrim Ghallab, pour sa part tend vers une provocation et une escalade politique, qui plaient énormément aux lecteurs du quotidien istiqlalien Al-Alam. Sa production sur le sujet essaie de faire la parallèle avec le problème basque, ce qui à son avis gêne énormément les décideurs espagnols, d'ailleurs ses éditoriaux ont réussi à créer semble -t- il un incident diplomatique entre les deux royaumes. Un de ses éditoriaux, rédigé le 27 – 11 – 2001, reprend encore cet aspect de la question, mais cette fois il se propose en moraliste de la politique et de l'art de la gestion diplomatique, avec un brin d'ironie. Son discours se place dans une certaine grandeur de la civilisation marocaine issue d'une tradition morale du comportement diplomatique sensible au respect des règles internationales, son message clairement annoncé est le suivant : «Le Maroc ne se permettra jamais de se comporter comme l'a fait l'Etat espagnol, il n'appuiera jamais une entité scissionniste chez des pays voisins et souverains». En résume cette position qui estime que le comportement étatique espagnol envers le Maroc est une hypocrisie officielle. Enfin la vision politique gouvernementale : vision officielle. De par la tradition politique marocaine, les affaires étrangères sont du ressort de la monarchie, qui loin de s'afficher publiquement tient à une certaine pudeur politique. Ses sorties médiatiques concernant le sujet sous l'égide du nouveau monarque sont minimes, à notre connaissance elles consistent en deux interventions qui stipulent une position largement différente de celle du précédent roi. Elles sont distinctes par une sévérité de ton mêlée à une discrétion sur le fond du problème. A l'opposé, feu Hassan II préconisait la constitution d'une cellule de réflexion sur le problème des enclaves espagnoles au Maroc, ainsi que la poursuite des négociations avec une grande souplesse sur les positions, ce qui diffère largement avec le discours du ministre des affaires étrangères et surtout du secrétaire d'état dans le même ministère et qui semble –t- il est "porte-parole" du cabinet royal. • Khalid Chegraoui, Historien en Fac. des lettre Sais-Fès