Le journaliste-écrivain espagnol Manuel Vicent était l'invité de l'Institut Cervantès, du Département de Langue et de littérature espagnoles à la Faculté des Lettres et à l'Ecole nationale d'Architecture, mercredi 13 octobre à Rabat. L'écrivain et universitaire Larbi El Harti nous parle de ce personnage. Manuel Vicent est un Valencien touché par la grâce des dieux de la Méditerranée. Il est écrivain et journaliste à «El Pais». Il a publié des romans, des récits, des reportages et des articles. Parmi ses œuvres on pourrait souligner «Las horas paganas» (1998), «Cuerpos sucesivos» (2003), merveilleux ode à l'amour, et «Nadie muere la vispera «(2004), et aussi «Espectros», «Del Café Gijon a Itaca y A favor del placer», des volumes rassemblant ses articles publiés dans «El Pais». Il est né en pleine guerre civile, ce qui lui insuffla une sérénité propre à ceux qui connaissent l'enfer. En dépit des avatars de la politique et de sa versatilité, Manuel Vicent a su maintenir l'équilibre exact afin de ne pas perdre la distance des choses. L'ironie, les voyages et ce sens de l'humour, qui lui fait parcourir Harlem en limousine blanche à la recherche d'anciens musiciens noirs de jazz, représentent les meilleurs antidotes contre toute esthétique idéologique et toute sacralisation du moi et de ses tentacules. Manuel Vicent est un homme conscient que la "révolte", comme pause et non comme attitude, s'est transformée en quelque chose aussi indispensable que les téléphones mobiles. Il voit que le monde est plein d'acteurs, de politiciens, d'intellectuels, de mannequins, de pommes de terre frites, de yogourts et de papier hygiénique rebelles. C'est pourquoi il n'est pas un rebelle. Il est un homme qui regarde sans peur, mais plutôt avec une tendresse qui frôle le mysticisme un monde qui se remue dans ses grandeurs et ses misères. Il sait que nous vivons à une époque de pensées et de valeurs faibles. Un monde où il est impossible de trouver une personne qui n'ait pas une histoire à dissimuler. Pour lui, le seul tribunal qui juge l´Homme quotidiennement, c'est le miroir devant lequel il se rase ou se maquille. Il sait que les rebelles qui voulaient changer le monde se sont habitués au nouvel ordre des choses et que cette soumission au confort leur a engraissé le visage et que chacun des principes rompus les a chargés d'un peu plus de chair collant à leurs joues pour s'adapter finalement au spectre qui les identifie. Le vieux rebelle de part et d'autre ne se préoccupe plus du devenir de l'Humanité. Il est perturbé uniquement par ce qui peut arriver à ce fils impossible qui étudie aux USA et par la voiture qui lui a tant coûté. Manuel Vicent oppose aux masques, la bonne Méditerranée. Il le fait, car cette mer de lumière sereine est l'héritage d'une manière d'être et de sentir le monde. Et comme il le dit lui-même, c'est une grâce qui lui permet de rejeter toute ambition, de vivre le soleil avec une austérité élégante, de prendre de l'huile d'olive, de marcher déchaussé sur le sel, de naviguer dans des eaux de douceur et de ne désirer rien d'autre que des amis et une salade de céleri. L´élégance marque le métier de Manuel Vicent. Ses narrations et ses articles maintiennent un dialogue de connivence saine. Ils établissent une relation sensuelle de dévouement mutuel au plaisir. Ensemble, ils libèrent le meilleur de ce qu'ils ont, mais toujours avec une attitude de respect admirable envers la différence. L'écrivain valencien écrit contre la mort. Il le fait avec une sagesse rare et avec sa certitude cernudienne que seul l'amour est éternel, et non pas ce que l'on a aimé. Son écriture syncrétique unit vie, pensée et fiction. Elle constitue une sorte d´idéologie de l'auteur, qui peut se lire comme une éthique de la vie. Écrire représente dans l'œuvre de Vicent un chemin vers une espèce de satori bouddhiste. Elle est sa manière de proposer la différence comme un état d'esprit et de beauté. La seule explication qui pourrait être extraite de cette relation quasi religieuse avec l'écriture, c´est que l'auteur est à l'aise avec la langue et avec ce qu'il écrit. Son attitude devant un article ou un roman est la même. L'essentiel n'est pas dans le genre ou le volume qu'il engendre, mais dans la valeur du mot et dans l'inhérence qui ressort de la vie. Il tire ses sujets et ses personnages de la réalité. Cependant même les plus fragiles et les plus répulsifs, acquièrent dans son univers littéraire, quelque chose de mythique. Manuel Vicent, auteur enraciné dans la vie et dans le sens large de l´engagement, révèle comme dans les «daguerréotypes» la crasse et la grandeur des hommes et des femmes. Sa manière de s'approcher du monde est tendre et agréablement mordue par une ironie incisive. Et cela n'est possible que par sa défense des sens. La vérité dans l´univers de l´écrivain ne vit et ne se nourrit que de cette sensualité qui émane du regard, du toucher, du goût, de l´ouie et de l´odorat. Manuel Vicent a été invité à Rabat, par l'Institut Cervantès, le mercredi 13 octobre. Il s´est exprimé sur la relation de l´architecture avec la littérature au Département de langue et de littérature espagnoles à la Faculté de lettres et á l'École nationale d'architecture. Il a présenté aussi la série de la télévision espagnole «L'éloge de la Lumière», qui décrit un voyage fascinant dans l'architecture espagnole contemporaine. La série présente douze des meilleurs architectes espagnols. Chacun des reportages, accompagné de textes de Manuel Vicent, développe le portrait personnel et professionnel des douze personnalités choisies. Par Larbi El Harti