Depuis quelque temps, une chasse ciblée au bakchich de certains petits fonctionnaires, en contact avec la population, est engagée. Voudrait-on accréditer l'idée que la corruption est confinée dans le bas d'échelle de l'administration ? Quel est l'impact de la campagne de la moralisation de la vie publique sur la société marocaine ? Difficile de le mesurer en l'absence d'instruments indiqués pour ce genre de travail. Certes, l'initiative du département de Ahmed Lahlimi est louable dans la mesure où pour la première fois au Maroc, la corruption, qui y est banalisée, fait l'objet d'un combat national sur les plus de l'éducation et de la sensibilisation. Objectif : amener chaque citoyen à dénoncer les actes liés à ce phénomène. Les bienfaits de cette action d'envergure ne sont pas immédiats. C'est un pari sur l'avenir, la citoyenneté des générations futures. Cependant, il y a lieu de relever un constat : la presse rapporte régulièrement des cas de corrompus arrêtés en flagrant délit et traduits devant la justice. Il s'agit essentiellement pour ne pas dire exclusivement de policiers, de gendarmes et d'agents d'autorité soudoyés par des citoyens. De la petite, très petite corruption. Récemment, deux agents de la sûreté de Casablanca ont écopé d'une mesure disciplinaire pour avoir touché d'un marchand de fruits et légumes ambulant un billet de 10 Dhs chacun et un kilo d'oranges. Ces deux hommes en uniforme se sont vus reprochés “un délit de mendicité“. La pire des humiliations. Une question se pose : ces cas d'assainissement, qui fleurissent dans certains médias, sont-ils concomitants à la campagne de la moralisation de la vie publique ou faut-il y voir au contraire une conséquence heureuse de cette même campagne ? Autrement dit, voudrait-on donner l'exemple en tombant à bras raccourcis sur les agents en bas de l'échelle pour donner l'impression que la corruption ne concerne que cette catégorie des sans grade et accréditer l'idée que ce mal est confiné dans les petits postes qui induisent le contact direct avec la population? Une chose est sûre : les petits fonctionnaires ont de plus en plus le sentiment qu'ils sont des victimes expiatoires et des lampistes pour justifier la lutte contre la corruption et payer ainsi pour tout le monde. Or, jusqu'ici, aucun cas lié à la grande corruption, celle qui fait fureur dans les marchés publics et dans les postes importants qui secrètent privilèges et prébendes, ne fut signalé. Cette situation stigmatise les uns (les faibles) et exonère les autres (les forts). Les corrompus d'un côté et les modèles de vertu de l'autre. Une vision manichéenne qui tend à pervertir la réalité et les données. Petite ou grande, visible ou invisible, la corruption est condamnable. Au Maroc, à l'instar des pays en voie de développement, la corruption est favorisée par la nature de l'environnement dans sa globalité et le mode de gestion des affaires publiques. Les administrations publiques, telles qu'elles “dysfonctionnent“ avec leurs lourdeurs et leurs tares, les rendent perméables à la corruption sous toutes ses formes. Les résistances à la modernisation de ces administrations participent en grande partie de la volonté de perpétuer les circuits du bakchich. La lutte contre la corruption ne passe pas seulement par la sensibilisation mais aussi et surtout par la mise en place d'organes de contrôle et de leur fonctionnalité permanente. Tant que les gardes fous institutionnels, qui dissuadent et obligent à rendre des comptes, sont absents ou inopérants, les pratiques de corruption seront monnaie courante…